C’est la deuxième visite de Mohammed ben Salman (MBS) en moins d’un an à Paris et la première étape de son voyage en France. L’objectif, pour le prince héritier d’Arabie saoudite, est de redorer et développer sa stature internationale. Depuis sa précédente visite à Paris en juillet 2022, MBS est en effet redevenu un acteur incontournable. Le royaume a par exemple normalisé ses relations cette année avec l’Iran, sous l’égide de la Chine et entretient par ailleurs toujours des relations étroites et profondes avec la Russie.
De plus, il a prouvé sa volonté et son courage de s’émanciper de la tutelle, voire de l’emprise diront certains, des Etats-Unis de l’administration Biden, en refusant, depuis le début de la guerre en Ukraine, de s’aligner sur la politique américaine et européenne de sanction contre Moscou, et au contraire, en réaffirmant et consolidant son partenariat (pétrolier et stratégique) avec Poutine depuis l’automne 2017 et les premiers accords OPEP+Russie.
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La politique de diversification des partenariats et d’alliance de MBS est donc pour l’instant un succès.
La France, même si elle semble mal dirigée à l’heure actuelle et dont la politique étrangère paraît ces temps-ci plus qu’erratique, demeure toutefois un acteur qui pourrait (espérons-le !) de nouveau compter à l’avenir. Elle reste l’un des membres des 5 pays du Conseil de sécurité de l’ONU, une puissance nucléaire et l’un des 3 premiers pays qui exportent le plus d’armes dans le monde chaque année.
L’Arabie « salmanite » depuis 2015
Au-delà de la modernisation spectaculaire du pays et les grands projets lancés par Mohammed ben Salman, comme la ville futuriste de Neom, sur la Mer Rouge, le prince héritier a également entrepris une véritable révolution dans le pays depuis 2015 et l’arrivée de son père sur le trône, concernant notamment les mentalités. De fait, l’Arabie saoudite (on pourrait même dire « l’Arabie salmanite ») d’après 2015 ne sera plus jamais la même qu’avant cette date. Je m’explique : le premier et principal objectif de MBS fut de combattre franchement et concrètement, sans les ambiguïtés de ses prédécesseurs ou de certains pays arabes, l’islam politique des Frères musulmans, le salafisme jihadiste et le terrorisme. Dès lors, au-delà de la force brute, et avec ses deux alliés régionaux que sont l’égyptien Sissi et l’émirati MBZ, il a compris pertinemment que l’on ne combat une idée ou une idéologie qu’avec une autre idée. C’est pourquoi sa lutte contre l’islam radical, encore une fois sans précédent dans la région et surtout dans son propre pays (pays phare du wahhabisme/salafisme), est multiformes et multidirectionnelles. Elle passe d’abord par une amélioration des conditions sociales, la lutte contre la corruption endémique et une modernisation de leurs économies puis par la promotion d’une sorte de néonationalisme arabe, des réformes profondes dans leurs systèmes éducatifs et les enseignements religieux ainsi qu’une véritable volonté de révolutionner des mentalités. Autre exemple important, Mohammed ben Salman a coupé, de manière brutale et historique, les vivres à toutes les organisations salafistes extrémistes et douteuses dans la région mais aussi dans le monde via les purges au sein de la Ligue islamique mondiale et surtout, en écartant les grands féodaux du royaume qui jouaient leur propre partition dans ce domaine à l’international… Aujourd’hui, le prince héritier ne tolère que les mouvances les plus strictement « quiétistes » du wahhabisme à l’instar des madkhalistes… Et c’est en cela, que l’Arabie saoudite est devenue à présent, et plus que jamais, un véritable partenaire de l’Occident.
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L’Élysée mais surtout l’exposition Mondiale 2030
MBS a donc été reçu ce vendredi 16 juin à l’Élysée. Au cours de son déjeuner de travail avec le président français Emmanuel Macron, plusieurs dossiers ont été évoqués : la guerre en Ukraine et ses conséquences pour le reste du monde, les grands dossiers de stabilité régionale dont l’impasse politique au Liban, le nucléaire iranien ou encore les échanges économiques et commerciaux entre Paris et Riyad. Mais à propos de la guerre en Ukraine, le royaume ne changera pas sa ligne de conduite, sachant pertinemment que Paris est dans l’erreur dans cette affaire et ce, depuis le début. Le royaume saoudien a la main sur les cours du pétrole et ne voudra jamais rompre ses bonnes relations avec Moscou. D’ailleurs, l’Arabie saoudite est un médiateur dans le conflit ukrainien alors que la France a finalement pris parti de Kiev en suivant piteusement et contre ses propres intérêts les positions anti-russes de Washington et Bruxelles. Il y a quelques mois, MBS, lui, a été au cœur, avec un certain succès, des négociations concernant un échange de prisonniers entre Russes et Ukrainiens. L’Arabie saoudite est bien en position de force à l’international. Quant à la France, elle est totalement devenue inaudible et malheureusement, comme on l’a vu sur la guerre en Ukraine, mais également sur le Liban, la Syrie, l’Iran, où les positions française et saoudienne ne convergent plus, les premières étant toujours embourbées dans une Irrealpolitik déconcertante !
Lors de son séjour parisien, après l’Élysée, plusieurs autres rendez-vous étaient prévus pour le dirigeant saoudien, comme le 22 et 23 juin, le sommet pour un nouveau pacte financier mondial organisé par l’Élysée.
Mais le point d’orgue et qui fut assurément le plus important pour MBS, c’est la cérémonie dans la capitale française, pour officialiser la candidature de l’Arabie saoudite à l’exposition universelle de 2030. Le royaume a toutes ses chances grâce à sa puissance financière. Ce serait par ailleurs un grand succès pour le futur roi puisque cela coïnciderait avec la date de l’aboutissement de son fameux plan, le plan « Saudi Vision 2030 », un projet ambitieux de développement et de modernisation du pays mis en place par le gouvernement saoudien en 2016 et porté à bout de bras par MBS, visant à faire sortir le pays de sa rente pétrolière historique tout en diversifiant son économie.
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Roland Lombardi : Pourquoi la Russie est toujours influente au Moyen-Orient ?
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue, spécialiste du Moyen-Orient et des questions de sécurité et de défense. Fondateur et directeur de la publication du Diplomate.
Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à Excelia Business School de La Rochelle.
Il est régulièrement sollicité par les médias du monde arabe. Il est également chroniqueur international pour Al Ain. Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment : « Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI – Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l’Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L’Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104. Il est l’auteur d’Israël au secours de l’Algérie française, l’État hébreu et la guerre d’Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.). Co-auteur de La guerre d’Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d’Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022. Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020.
Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l’influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) – Préface d’Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023).
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