Pendant que l’Europe peine à trouver les meilleures pistes pour parvenir à assurer au mieux sa souveraineté énergétique, l’Amérique s’est dotée de moyens gigantesques pour devenir une « super puissance des énergies vertes ». Par un malicieux hasard de calendrier, le 1er mai dernier, tandis que les Français manifestaient sur la réforme des retraites, The Economist publiait un édito qui résonnait presque comme un défi dans le contexte actuel : « How America can be a clean-energy superpower?[1] »
Plus d’un an après le démarrage du conflit russo-ukrainien, désormais converti en épicentre d’un rebattage des cartes géo-politico-énergétiques européenne et mondiale, le nouveau positionnement américain a de quoi nous interpeller… car en Décembre 2019, il y a, à peine un peu plus de 3 ans, c’est l’Europe qui avait tous les atouts en main pour devenir cette super-puissance.
Depuis, malheureusement, la terrible pandémie de Covid et le dramatique retour de la guerre sur notre continent sont passé par là. Le gaz russe a cessé de couler dans nos gazoducs et le pétrole, de même provenance, semble s’être également tari, même si, dans la pratique et en matière de garantie d’origine du pétrole on n’est jamais complètement sûrs de rien… mais la question est ici accessoire.
Au cours de ces 3 dernières années, nous sommes passés du Pacte Vert, -Green Deal-, qui a su projeter notre continent, comme le premier dans l’histoire, à afficher haut et fort son engagement à atteindre la neutralité carbone à horizon 2050 («2050 net zéro »), à une stratégie de « RePower EU » ayant vocation à compenser, au mieux, les approvisionnements désormais devenus inaccessibles, en provenance de Russie, avec le souci premier de construire une « souveraineté énergétique européenne ». Bien sûr, en théorie, on pourrait accepter la séduisante idée que finalement l’accélération du Green Deal pourrait provenir de la mise en œuvre de la stratégie de RePower. Dans la pratique, et à l’épreuve de la réalité, les choses risquent de s’avérer plus compliquées que prévues. En effet, le prix à payer pour notre indépendance énergétique entraine des conséquences majeures sur notre compétitivité industrielle. Or cette question est devenue un sujet brûlant face aux ambitions désormais clairement affichées de la Chine et des États-Unis, de se convertir en puissances vertes.
La nouvelle équation éco énergétique est ainsi désormais beaucoup moins facile à résoudre. En effet, il s’agit maintenant non seulement de décarboner, objectif premier du Pacte Vert, mais en plus de garantir les conditions d’une souveraineté énergétique, et des approvisionnements aux meilleurs prix possibles pour pouvoir regagner en compétitivité industrielle doublement mise à l’épreuve de la Covid, de la guerre russo-ukrainienne et maintenant du choc commercial entre les titans américain et chinois. D’autant que la crise énergétique à laquelle l’Union Européenne s’est retrouvée confrontée, du fait de sa forte dépendance au gaz russe -utilisé, rappelons-le, tant comme énergie finale (pour les bâtiments – chauffage et production d’eau chaude sanitaire -, carburant ou pour ses industries) qu’énergie primaire (pour la production d’électricité[2]) – a non seulement mis à dure épreuve les différents pays européens, mais a surtout, également mis en évidence un patchwork de politiques énergétiques parfois diamétralement opposées. Ainsi, le niveau moyen de dépendance de l’UE aux importations d’énergie russe révélait des logiques de dépendance totale, ou quasi totale aux approvisionnement russes selon les pays, avec en tête l’Allemagne et plusieurs pays d´Europe centrale et orientale.
Les politiques énergétiques ont, en conséquence, dû se recalibrer pays par pays, en tenant compte des différences historiques, notamment autour du nucléaire, toujours loin de faire l’unanimité, ou de recherche d’approvisionnements alternatifs au gaz russe, et visant désormais à privilégier les importations en provenance du Qatar, de l’Azerbaïdjan, de l’Algérie ou encore de GNL américain, quant à lui majoritairement issu de la fracturation hydraulique interdite en Europe, et avec une empreinte carbone de 2 à 3 fois supérieure au GNL classique. On a également vu une nouvelle ruée vers les énergies renouvelables, avec là encore, un objectif commun ambitieux mais, à atteindre à partir de taux d’équipement très disparate, et, pour notre pays, en particulier, la nécessité de rattraper le temps perdu, car nous distinguant comme le seul à n’avoir pas atteint les objectifs qui avaient été fixés pour 2020 (19% vs 23% fixés).
Bref, pendant que l’Europe, empêtrée dans ses différentes problématiques essaie de gérer au mieux ses meilleurs dénominateurs communs, les États Unis, pourtant en retard en matière de transition énergétique, en particulier (pour mémoire, Trump avait décidé de sortir des accords de Paris), et de conscience écologique, en général, avancent à grande vitesse et n’en sont plus désormais, à se demander s’ils pourraient devenir une superpuissance verte sinon à expliquer le comment. Une étape encore loin d’être franchie en Europe (en plus de ce qui était cité précédemment).
Jennifer Granholm, la secrétaire américaine de l’énergie expliquait avoir mis à disposition « une série de carottes pour rendre les US irrésistibles ». Ces « carottes » font, bien sûr, référence aux 3 dernières lois d’envergure qui ont définitivement vocation à transformer l’Amérique en champion de la lutte contre le changement climatique et, de facto, en leader mondial des énergies propres.
La première de ces lois est l’IRA (Inflation Reduction Act). Cette dernière n’a pas échappé aux européens. Adoptée en août dernier, dans la foulée de la loi bipartite sur les infrastructures[3] et de la loi CHIPS (destinée à recouvrer une indépendance en matière de semi-conducteurs), elle vise à faire d’une pierre deux coups, en injectant jusqu’à 800 milliards de $ sous diverses formes très faciles d’accès (subventions, crédits d’impôts, prêts…)., pour booster tous les domaines de l’industrie verte, tout en luttant contre l’inflation. A date ce sont déjà près de 200 milliards de dollars d’investissements qui auraient été investis dans la fabrication de batteries, de voitures électriques, ou dans l’hydrogène vert notamment, dont environ 65 milliards de dollars depuis l’adoption de l’IRA.
C’est évidemment des montants gigantesques et donc plus que prometteurs, à l’heure de se hisser au rang de superpuissance verte. Bien entendu, à l’instar de ce que nous avons découvert, depuis longtemps, en Europe, les Etats-Unis d’Amérique devront, probablement, gérer le fait que l’argent reste une condition nécessaire mais pas suffisante pour exprimer tout le potentiel de déploiement qui s’impose pour leur permettre d’accéder à ce statut de superpuissance du nouveau paradigme éco énergétique. Cela n’a d’ailleurs pas échappé parue dans The Economist. En effet, l’article précédemment mentionné, évoque différents obstacles possibles. Parmi ces derniers, est cité le syndrome -devenu quasi universel- du BANANA, à savoir Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anybody (Ne construis absolument rien, nulle part, près de qui que soit) ou aussi décliné comme NIMBY (Not In My Backyard -pas dans mon jardin-). Une façon d’illustrer, de façon directe, la grande question de l’acceptabilité citoyenne, avec une vigilance accrue aux questions de sécurité industrielle, de risques environnementaux et en matière de respect de la biodiversité, de nuisances en termes sonores, visuels, etc.
Le deuxième grand risque, toujours d’après l’article, est également une problématique connue des européens, à savoir, celui de mise en œuvre concrète, même si, dans la pratique, les manifestations sont très différentes. En effet, les dispositions américaines, inscrites dans les trois lois, ont d’abord été conçues pour contrecarrer la menace perçue de la Chine, qui, elle, a depuis longtemps, et paradoxalement, pris le virage de la croissance verte[4]. Ainsi, si les mesures protectionnistes sont appliquées, stricto sensu, par les bureaucrates américains il existerait un risque de renchérissement qui impacterait les coûts de construction des infrastructures d’énergie propre et pourrait se traduire en un allongement des délais de « permitting » (même s’il est difficile d’imaginer des délais aussi importants que ceux que nous connaissons dans certains pays européens dont le nôtre).
Néanmoins, ces risques semblent clairement identifiés, et il semblerait que l’administration Biden, soit bien en alerte, pour rester le plus pragmatique possible dans ces questions de mise en œuvre et notamment sur les questions normatives. Une récente décision bureaucratique sur les chaînes d’approvisionnement des véhicules électriques, par exemple, a été rédigée de manière générale afin que l’approvisionnement auprès des alliés américains soit admissible à des subventions… même si la tentation protectionniste et la consécutive gestion d’’un équilibre fragile, dans le contexte encore actuel de globalisation déclinante, reste un risque important.
Enfin, l’IRA est mise en œuvre sous forme de subventions versées à tous les types de technologies possibles, et, cela pourrait entrainer une déperdition d’efficacité, en étant moins ciblés que les outils fiscaux explicitement dédiés à la décarbonation (dont la taxe carbone, mais pas seulement). Ernest Moniz, ancien secrétaire à l’énergie, souligne, dans l’article, qu’il existe certaines réglementations dans la loi actuelle – par exemple, sur les émissions de méthane de l’industrie pétrolière et gazière en amont – mais cela ne représente que des « carottes et des brindilles ». Il insiste sur le fait que l’IRA et la loi bipartite sur les infrastructures constituent une excellente base pour les efforts climatiques de l’Amérique, mais souhaite voir un durcissement de l’approche réglementaire au fil du temps. L’Agence de protection de l’environnement (EPA) et d’autres agences auront l’occasion dans les semaines à venir de renforcer diverses réglementations qui agiraient comme les bâtons nécessaires pour soutenir l’approche de Biden. En fait, l’EPA a récemment annoncé un projet de réglementation des émissions d’échappement des automobiles qui, selon elle, pourrait faire passer la part des véhicules électriques d’un maigre 8% des nouvelles voitures particulières l’année dernière à 67% d’ici 2032.
Toutefois, malgré les risques d’opérationnalisation, tout à fait surmontables quand clairement posés, notamment dans une le nouveau rêve américain de se transformer en superpuissance verte en développant son secteur des énergies renouvelables et de l’industrie décarbonée parait tout à fait réaliste. Alimenté par un déploiement de moyens massifs, l’Amérique a le pied sur l’accélérateur face à une Europe toujours sous tension et encore loin de réaliser son vieux rêve d’ « Energy Union », avec des spécificités nationales projetées dans des logiques énergétiques issues des héritages historiques respectifs, des tissus industriels locaux, de la prise en compte des ressources naturelles existantes, des caractéristiques géographiques, de visions ou d’enjeux géopolitiques particuliers, etc.
Dans le contexte décrit précédemment, il est pourtant, sans doute, plus important que jamais de continuer à s’interroger sur cette Energy Union ni complètement utopique ni complètement aboutie…. Il pourrait ainsi être intéressant de prendre le sujet différemment en réfléchissant aux plus petits dénominateurs communs. Cela nous conduirait ainsi à nous intéresser d’un peu plus près à l’exception qui confirme la règle.
En effet, force est de constater que les différents pays de l’Union Européenne semblent, quand même, être parvenu à se mettre d’accord, certes, sous contraintes, sur l’idée de sobriété énergétique, qui, face à la raréfaction des approvisionnements, voire au risque de pénurie, et à l’explosion des prix, partout en Europe, s’est imposé -enfin- naturellement, comme un vrai socle commun et pertinent de politique énergétique commune.
Ainsi, l’hiver dernier, tous les citoyens européens se sont retrouvés sommés d’économiser de l’énergie, et, à gérer au plus juste leurs consommations pour « passer l’hiver ». Et ça a marché !… même si, bien sûr, les réserves stratégiques de gaz, la hausse significative des importations de Gaz Naturel Liquéfié -GNL-, (plus cher et avec une empreinte CO2 plus élevée que la GN importé via gazoduc) , la politique de diversification des fournisseurs et le facteur « chance » d’un hiver doux, notamment, ont également joué un rôle fondamental dans ce premier succès, consacrant la question des économies d’énergie, en le faisant passer de l’ « anecdote » un peu à la marge, en outil de politique énergétique, à part entière. Il était temps… car depuis la moitié des années 2000, le sujet a bien été identifié, mais semble n’avoir jamais réussi à acquérir ses lettres de noblesse, même dans notre pays, dont l’inconscient collectif a pourtant baigné dans le leitmotiv des années 70 : « En France on n’a pas de pétrole mais on a des idées », à renouveler urgemment, en « En Europe on n’a pas de gaz mais on sait faire le meilleur usage de notre énergie ».
[1] Comment l’Amérique peut devenir une super puissance des énergies propres ?
[2] Avec, le fait est suffisamment paradoxal pour être signalé dans le contexte actuel, un doublement de la part du gaz naturel (de 7 à 15%) dans la production électrique -par les centrales à cycle combiné-, sur l’année 2022, ainsi devenue année record, du fait, de la minoration des quantités d’électricité produites par les centrales nucléaire
[3] Infrastructure Investment and Jobs Act (IIJA) également connue sous le nom de « Bipartisan Infrastructure Law ». Votée fin 2021 cette loi prévoit des investissements de long terme record -550 Mds de$- étalés de 2022 à 2026 visant à rénover l’ensemble des infrastructures de transport public (routes, pont, transport public, mais aussi en matière de gestion de l’eau et de résilience.
[4] Voir mon article paru dans Atlantico à ce sujet en 2018 : https://atlantico.fr/article/rdv/la-chine-en-pleine-conversion-ecologique-myriam-maestroni
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