Notre chroniqueur Marco B. Turk nous gratifie cette semaine d’un article de haute tenue philosophique – mais sans langue de bois ni détours – sur la dérive des sociétés occidentales postchrétiennes gagnées par l’extrémisme wokiste qui sont en fin de compte les cibles et les victimes des plans économiques et consuméristes des grandes firmes mondialisées et des multinationales que le philosophe italien Diego Fusaro a qualifiées de « turbo-capitalistes » et dont les intérêts sont tournés contre les peuples, les souverainetés, les traditions familiales, les religions et les diversités entre nations et civilisations.
Le christianisme se distinguait autrefois par le dicton d’un de ses ordres les plus stricts, les Chartreux : « La Croix demeure alors que le monde tourne ». Cet ordre n’a jamais été réformé, à comprendre, déformé. L’expression indique que la foi est quelque chose de si solide et puissant qu’elle reste éternelle et représente le point d’appui de la civilisation.
Les mouvances dans le monde actuels ressemblent de plus en plus au chaos imprévisible et à l’anarchie. L’objectif final serait de créer un homme universel, qui serait totalement inclusif. Cela signifie qu’il ne se soucierait pas de l’identité nationale, religieuse ou de toute autre identité qui le définit. Il serait un athée, aussi sexuellement neutre. Ni mâle ni femelle, ni lui ni elle, mais plutôt “un celui-ci”, dans le sens freudien d’ « id ». Il s’agit d’une sorte de fluidité, de passage entre les sexes, les races, les cultures. Ce qui compte n’est pas ce qui se tient fermement dans l’espace, mais ce qui est brumeux, indétectable, évasif. Aussi fou que cela puisse paraître, le fait est que cette indéfinissabilité permet de lancer n’importe quel nombre de produits, dont la demande est plus grande si l’homme est constamment en processus de transition. C’est aussi facile à expliquer : si vous êtes un homme, vous n’avez besoin que d’une garde-robe masculine. Si vous êtes une femme, vous avez besoin d’un prêt-à-porter féminin. Mais si vous êtes transsexuel, vous avez besoin des deux. Seule ce qui s’écoule avec facilité permet une “ouverture universelle” à la vie dans la consommation. L’argent ne connaît pas de limites, ne regarde pas sous la peau et ne demande pas de nom. Aujourd’hui, tout cela est incarné dans l’idéologie dite wokisme (le réveil ou l’éveil) dont les promoteurs sont précisément des multinationales (Nike, Adidas et autres).
Comment une institution, qui est la première appelée à protéger la tradition et à soutenir l’homme en ces temps tumultueux, voit-elle cela ? Tout au début de son document fondamental, Le Livre des livres, il est écrit que Dieu a créé l’homme à son image, en tant qu’homme et femme. La Bible a doté l’humanité de lois et de commandements, de ce qu’elle peut et ne peut pas faire. Tout cela est en contradiction logique avec la tendance du monde moderne, en particulier avec le wokisme.
L’Église catholique risque-t-elle donc de répéter l’erreur du temps du Concile Vatican II ?
C’est alors qu’elle a inventé le dialogue avec l’un des précurseurs de l’éveil, le marxisme. Elle n’a pas compris que l’un des objectifs du marxisme est de nier Dieu, et donc de nier elle-même. L’un des effets du dialogue avec le marxisme a été l’évidement des églises en Europe de l’Ouest. Rien que dans les années soixante, plus de 10 millions de Français abandonnèrent le culte de la messe dominicale.
Aujourd’hui, ce qui flotte dans l’air, c’est l’impression que certaines parties de l’Église essaient d’entrer en dialogue avec le wokisme ou même d’adopter ses éléments. Les évêques allemands, qui sont allés le plus loin dans la nouvelle foi, ont ainsi réussi à rendre possible l’octroi du sacrement du mariage aux couples de même sexe. Dans certaines églises, les drapeaux LGBT+ sont déjà affichés.
Le Vatican a certes réagi avec malaise, mais c’était tout. Nous comprendrons une telle tiédeur si nous posons l’hypothèse qu’il ne pouvait pas agir autrement. Le Saint-Siège actuel est en effet plus une partie du problème qu’une solution. Qu’entend-t-on par-là? Le pape François est apprécié par les médias de ce monde, contrairement à son prédécesseur, Benoît XVI. Il jouit en effet d’une popularité sans précédent. Tôt ou tard, c’est parce qu’il dit ce que le monde aime entendre. En fait, il gomme les différences entre les chrétiens et les non-chrétiens. Il lave les pieds des musulmans: il ne manque jamais une occasion de les inviter en Europe. Il se bat pour les réfugiés. De plus, il efface les différences entre les nations, en particulier la différence entre les autochtones et les nouveaux arrivants d’autres continents. Tous sont censés être égaux. Il affaiblit également l’essence même de la foi. C’est à dire la sainteté, telle qu’elle a été accordée par le Christ. La sainteté est l’essence de la foi et devrait être au premier plan.
À cet égard, il est impossible d’ignorer que l’Église s’est historiquement fondée sur les saints. En dit assez l’étymologie du mot : un saint est quelqu’un qui est saint. Les saints des premiers siècles de l’Église étaient souvent des martyrs : ils ont donné leur vie pour témoigner de leur foi, c’est pourquoi ils sont également appelés de cette façon : en grec le mot signifie le témoin. Combien est-ce qu’il y en a encore qui seraient prêts à donner leur vie pour le christianisme? Probablement personne, car la foi est devenue quelque chose d’optionnel et pas essentiel dans la vie. La société d’aujourd’hui, fondée sur la consommation, ne pourrait accepter la spiritualité. Celle-ci présente en effet son déni le plus élémentaire, car elle enseigne le renoncement à la vie terrestre au profit de l’éternité. La consommation, en revanche, mise sur le réflexe inverse.
Comment ces faits sont-ils vus par le Vatican?
Le pape François ne pourrait qu’à la limite être défini comme un prélat qui cherche d’abord la sainteté. Et qui se soucie de la question théologique de première importance. Sa politique est notamment la promotion de l’idéologie de la fluidité, dont la marque de fabrique est la veste de sauvetage jaune d’une personne perdue quelque part sur le chemin de l’Afrique vers l’Europe, comme il ressort des lignes ci-dessus. On n’a rien contre cela, on souligne simplement que cette attitude n’est pas en accord avec les besoins réels de l’Église.
En effet, ce n’est pas sa mission première, et encore moins celle du christianisme sur lequel repose l’Occident. Car chaque civilisation nécessite une idée, une métaphysique, sur laquelle elle s’appuie. C’est toujours ainsi dans l’histoire et ce sera toujours le cas. Le problème est d’autant plus urgent que l’idéologie du réveil, successeur du marxisme, se fonde sur le vide créé par la dévastation athée parmi les nations autrefois chrétiennes d’Occident. Le réveil doit d’abord être compris comme un phénomène quasi-religieux, comme une sorte de révolution (dans le domaine spirituel).
En juin, les parades de fierté ont résonné en Europe. Celles-ci nuisent le plus à la majorité silencieuse des homosexuels, qui désirent une intégration paisible. Pourtant, on entend souvent la phrase suivante: « Même le Christ avait deux pères. » Il s’agit d’une allusion à l’idée que l’adoption d’un enfant par deux hommes est fondée sur l’exemple offert par le Saint des saints. Sur cette question, nous partageons l’avis du philosophe Michel Onfray, à savoir qu’il vaut mieux pour un enfant avoir deux pères que pas du tout. Qu’au moins quelqu’un l’aime, à condition bien sûr qu’il l’aime. En fait, c’est de l’amour, le vrai, et non celui qui se pavane sur les drapeaux arc-en-ciel, qu’il s’agit.
« Les représentants du wokisme, tout comme les marxistes d’autrefois, s’approprient le terrain abandonné par le christianisme »
Les représentants du wokisme, tout comme les marxistes d’autrefois, s’approprient le terrain abandonné par le christianisme. Car l’homme a un besoin profond d’absolu : c’est pourquoi les religions ont accompagné l’humanité depuis ses débuts et le feront jusqu’à sa fin. Mais tout comme le marxisme s’est proclamé une nouvelle religion qui résoudrait les problèmes de l’homme, alors qu’il n’était qu’un substitut, l’éveil s’articule également comme une nouvelle religion, éclairée par l’aura d’un zélotisme sans pareil. Après tout, les premiers saints étaient également tels : autrement, ils n’auraient pas pu donner leur vie pour la foi. Cependant, il y avait un Dieu derrière. Mais au fond du wokisme, il n’y a rien d’autre que des multinationales, l’industrie de la mode et la pharmacie. Tout comme du coté opposée à la face des révolutions, engendrées par le marxisme, il n’y a jamais eu rien. Ou, si on lit Le Livre noir du communisme (édité par Stéphane Courtois), il y avait quelque chose. Notamment, un crime gigantesque, prémédité.
L’Église devra bientôt affronter une nouvelle pseudo-religion dans l’Ouest, qui a l’agressivité de l’ancien marxisme. L’équipe actuelle au Vatican et ailleurs en Europe est-elle prête à affronter ce tour de force ? Puisqu’il s’agit de l’un des plus grands défis pour le christianisme dans son histoire, tout à fait comparable à la lutte qui a été menée contre le marxisme. Et qui a été, dans une large mesure perdue. La réponse sera malheureusement négative, aussi indulgents que nous soyons.
Négative, mais il y a une exception. C’est un homme dont le profil le prédestine à prendre le bâton de l’évêque de Rome, c’est-à-dire du pape, lors du prochain mandat. Il parait être le plus compétent pour affronter le fléau menaçant, parce qu’il puise dans les profondeurs du christianisme et de la culture occidentale. Aujourd’hui, aucun de ses collègues au Vatican n’ose démontrer une telle audace. Lorsqu’on a annoncé ces attributs, on a implicitement proféré son nom. C’est le cardinal Robert Sarah, qui était déjà considéré comme papabile en 2013. Pourquoi lui donc ?
La réponse est universelle : il est pratiquement le seul à comprendre profondément le lien essentiel entre la civilisation et la métaphysique, entre l’Occident et le christianisme. A témoigner haut et fort que l’un ne peut exister sans l’autre. Robert Sarah est originaire de Guinée : peut-être est-ce précisément son origine qui lui permet de ressentir si fortement la puissance de l’Occident, basée sur le christianisme. Il soutient : « L’Occident a une mission spéciale. Ce n’est pas pour rien que Dieu a choisi l’Occident pour apporter la foi à l’humanité. Et ce que Dieu nous donne est permanent. L’Occident a une mission universelle en raison de sa culture, de sa foi, de ses racines, de son lien personnel avec Dieu. Si l’Occident perd ses racines, le monde connaîtra un bouleversement considérable. »[1]
Le cardinal perçoit la question des migrants d’une manière différente de ses prédécesseurs, et surtout des centres du pouvoir. Si on le lit à la lettre, on constate que ses vues sont très proches de celles de Robert Schuman. Une journaliste lui a demandé : « Vous êtes également préoccupé par la migration et ses conséquences. Vous écrivez que l’éradication culturelle et religieuse qui frappe les Africains jetés dans des pays occidentaux qui traversent eux-mêmes une crise est sans précédent. Selon vous, quelle est la vision chrétienne de la migration ? »[2] Il lui répond du point de vue de l’universalisme cosmopolite, et surtout du conservatisme politique si caractéristique des pères fondateurs de l’Europe. Il ne voit rien de positif dans le déracinement des populations indigènes d’Afrique et d’Asie. En énonçant les raisons de ces démarches douteuses, il s’oppose au « main stream » qui voit dans le phénomène migratoire quelque chose qu’on devrait accepter a priori sans se poser des questions sur ses causes. Les médias ne communiquent pas le choc que subissent les migrants à leur arrivée dans le « nouveau monde ». C’est pourquoi il s’agit d’une source précieuse d’informations réelles que le cardinal nous révèle : « Lorsque les immigrants arrivent en Occident, ils découvrent sur place que c’est un Occident qui a perdu Dieu. Il est plongé dans le déni et le matérialisme. L’Occident ne voit que la technologie et le bien-être, et ils sont déconcertés. Je connais l’Occident, et je connais l’Afrique et l’Asie. L’Asie et l’Afrique sont des continents qui sont profondément liés à Dieu et à la transcendance. Venir ici et être confronté à la domination du matériel sur le spirituel est déconcertant. » [3]
En guise de conclusion…
De 1945 à 1990, l’Est de l’Europe a vécu sous le communisme, un modèle social basé sur le marxisme. L’opinion unanime des historiens est qu’il s’agissait non seulement d’une sortie de l’histoire, mais aussi d’une sortie de la civilisation. Il en a été de même partout où cette idéologie régnait. Le réveil procède des mêmes erreurs. Si l’Europe lui succombe un jour, elle sortira ipso facto de l’histoire et de la civilisation. Comme le dit Robert Sarah, cela ne peut pas se produire sans conséquences pour le monde entier, car l’Occident a une mission spéciale. Efforçons-nous de la préserver.
[1] Boulevard Voltaire – Robert Sarah – L’Occident est en grand péril. Youtube. 8 avril 2019.
[2] Ibidem.
[3] Ibidem.