Ce jour-là, dans sa course entre l’aube et le zénith, le soleil d’hiver est aussi éclatant que le froid est mordant. Nous sommes à la moitié de la séance de sport matinale, la douzaine que nous sommes. Ce matin, le sport se « résume » à une course en montagne enneigée.
Fidèle à moi-même, je suis bon dernier, puisque j’ai toujours détesté courir… Nous formons une file dans la neige pour avancer sur le trait d’une ligne de crête entre deux petites vallées. La lumière de l’astre diurne à notre gauche est cristalline, et donne l’air de s’amuser avec les ombres projetées.
Le contraste entre la douceur, presqu’une caresse, côté soleil, et la dureté du froid sur le verso du jour, me font l’effet d’un Janus. On pourrait presque sentir le galop de la journée se levant qui vient chasser la froideur du soir. Il me vient même à l’esprit que ce même soleil, ce même air, ce même froid ont peut-être accompagné Alexandre le Grand sur cette même montagne.
C’est presque un reflex à chaque fois que je cours, et auquel il me faut m’accrocher, que de rêvasser pour ne pas arrêter ma course.
Pour autant, il est une « chose » qui me sort de cette quasi-torpeur mentale. En contrebas, à environ deux cents mètres, sur ma droite, un détail attire mon attention dans le jeu des gris clairs à foncés des ombres. Il me semble que l’une d’elle se met à bouger alors que tout le reste est immobile. C’est là que mon regard croise celui d’un animal, qui aussitôt, se met à courir en sortant de l’ombre dans laquelle il était resté caché et immobile. Il s’agit d’un loup solitaire avec une fourrure dont il est presque impossible de voir si elle est grise ou presque bleue entre deux chatoiements … Il est simplement majestueux.
Ayant remarqué mon arrêt, un yéménite devant moi, se tourne pour observer ce qu’il attire mon regard, et le voit également. Lui et moi avons le même geste de mettre à l’épaule notre ak47 pour viser ce loup. Puis, je me ravise et pose ma main gauche sur le canon de Abou ‘Omar al Madani, en lui disant « mat qoutlouch ya sahibi, hasha khlaq Allah wa al makhlouq al jamil…», « ne le tue pas mon ami, par respect pour la création d’Allah et la beauté de cette créature… ». Ce « frangin » est un véritable sniper et s’il l’avait voulu, il aurait abattu sa cible d’un seul tir. Mais il semble que mes mots aient eu l‘effet escompté, puisqu’il baisse son arme et me répond «‘andik al haq sahibi», « tu as raison mon ami. »
Les autres du groupe, plus haut, se sont arrêtés aussi, et ont vu le loup. Nous ayant vus, le yéménite et moi le pointer de notre arme, ils étaient sur l’observation de qui allait le toucher. Puis, en remarquant que ni Abou ‘Omar ni moi n’avions tiré, les voilà qui se mettent à vouloir faire feu.
Le temps que tous se placent pour tirer, le loup avait atteint un petit col et disparaitra avant les premiers tirs, pour échapper à ceux-là.
A cet instant me reviendra cette maxime : « Homo homini lupus », «l’homme est un loup pour l’homme».
Paradoxalement, la horde que nous étions aura été humaine, pour partie à tout le moins, avec ce loup…