Il est désormais clair que l’économie bleue, 14ème objectif du développement durable de l’ONU, figure en bonne place au cœur du Pacte vert. On commence, enfin à s’intéresser à la croissance bleue porteuse de nombreuses opportunités… mais avec un corollaire fondamental…. La croissance bleue sera verte ou ne sera pas… en clair il n’est pas concevable d’imaginer l’exploitation des ressources des écosystèmes marins et fluviaux, qui englobe également les côtes et des zones côtières si ce n’est de manière durable. Cela implique bien sûr de s’intéresser à la santé de ces écosystèmes longtemps négligée. La France, est sans doute, plus concernée que beaucoup d’autres pays en théorie, car nous disposons du 2ème territoire marin au monde…. Et pourtant cette économie bleue est encore loin de s’imposer avec beaucoup de questions dans l’ensemble des secteurs qu’elle regroupe qu’il s’agisse de la pêche, de l’aquaculture, des biotechnologies, du transport maritime, ou encore du tourisme côtier et bien sûr des énergies marines, pour ne citer que les exemples plus importants. Les préoccupations en matière de gestion durable de ces activités et de leurs impacts sur les écosystèmes marins est sans doute une des raisons, mais pas seulement. En effet, la France est une vieille dame qui ne regarde pas l’océan. Eric Tabarly résumait cette situation en affirmant : « La mer, c’est ce que les Français ont dans le dos quand ils sont sur la plage ».
C’est sans doute ce qui explique que nous parlions de paradoxe de l’économie bleue en France, avec un grand écart qui n’a pas encore trouvé toutes les ressources de leadership nécessaires pour réconcilier l’immense potentiel économique lié à ces nouvelles frontières que représentent les activités côtières et maritimes, avec les préoccupations écologiques et sociales liées à ces activités. Il est donc désormais clair que les différentes parties prenantes, des scientifiques aux responsables politiques en passant par les investisseurs doivent s’accorder pour trouver un équilibre entre ces différentes logiques et mettre en place une feuille de route pour assurer les conditions de succès d’une croissance bleue durable et verte.
Sortir de la logique binaire des « pour » et des « contre » qui bloque notre pays sera le pré-requis pour projeter une vision de long terme, et aller au-delà des clivages simplistes. D’un côté ceux qui estiment que les opportunités économiques sont immenses et ceux qui pensent qu’il est possible de trouver un juste équilibre entre les impératifs écologiques et économiques. De l’autre ceux qui considèrent que les impacts négatifs sur les écosystèmes marins sont trop importants pour pouvoir être ignorés et qu’il est nécessaire de réduire les activités côtières et maritimes pour protéger les milieux naturels.
Sommes-nous dans une impasse ? ou est-ce qu’il s’annonce un océan d’opportunités ?
Si l’on se pose la question de cette façon-là, c’est certainement une façon de poser un paradoxe sur lequel je vais revenir un peu plus en détail dans un instant, mais aussi peut-être pour nous rappeler de ce qu’avait l’habitude de dire Einstein : “Est-ce qu’on peut régler les problèmes ?” Il affirmait d’ailleurs l’inverse en disant : “On ne peut pas régler les problèmes au même niveau de conscience que celui auquel on était lorsque nous les avons créés.” Et il se trouve qu’aujourd’hui, quand on aborde finalement la question de l’économie bleue, on se retrouve face probablement à de nouvelles frontières, en tout cas pour notre pays. On aura l’occasion d’avoir des illustrations avec les tables rondes que nous allons organiser et que nous allons avoir l’occasion de découvrir ensemble tout au long de ces deux journées. La première chose que je souhaitais peut-être en préambule dire, c’est que finalement, il n’y a pas une seule définition l’économie bleue aujourd’hui. Déjà, c’est quelque chose d’assez récent. Le concept a été inventé en 2009-2010 par l’entrepreneur belge Gunter Pauli. Et on se disait que ça se veut, cette économie bleue, non polluante, créatrice d’emplois, de cohésion sociale, de valeurs. Là, il vient de sortir un nouvel ouvrage qui parle de « l’économie bleue 3.0 ». On verra au fil des définitions différents types d’activités économiques liées à ces grands écosystèmes que forment les océans, les mers, les côtes. En France, Bertrand Blancheton inclut dans l’économie bleue tout un tas de sujets — le tourisme littoral, les produits de la mer, le transport maritime, la construction navale, la production d’énergies marines, les services parapétroliers et gaziers offshore, la gestion des câbles sous-marins, l’extraction des matériaux marins, ou encore les assurances et services bancaires maritimes. Il a émis une des définitions les plus complètes. Mais on voit que si on prend la définition de la Banque mondiale, on va parler de l’utilisation durable des ressources océaniques en faveur de la croissance économique, de l’amélioration des revenus et des emplois, de la santé — on commence à introduire cette idée —, et des écosystèmes océaniques.
La vision de l’Union européenne
L’Union européenne, elle, englobe dans l’économie bleue tous les secteurs et les industries liés aux océans, aux mers et aux côtes, qui relèvent du milieu marin — comme le transport maritime, la fourniture de produits de la mer, la production d’énergie — ou du milieu terrestre, donc les ports — on est au cœur du sujet —, les chantiers navals ou les infrastructures côtières. Et pour l’Afrique, l’économie bleue inclut tout ce qui va être étendue d’eau, rive : on va parler d’océans, de mers, de côtes, de lacs, de cours d’eau ou de nappes souterraines. Donc, on voit qu’on est encore dans une matière où on ne peut pas se dire que l’idée est posée, hyper claire. On commence à en avoir un bon aperçu. Mais il y a encore plusieurs dimensions dans cette idée d’économie bleue. Ce qui est certain, c’est qu’on a les ODD, les fameux Objectifs de développement durable de l’ONU à 2030, qui reprennent certaines de ces activités dans les différents ODD. Je ne les ai pas repris en détail, mais il y en a un en particulier dont on parle certainement un peu plus aujourd’hui qu’hier et sans doute moins que demain, qui est l’ODD 14. Il ne parle pas d’économie bleue, mais parle de Life below water et laisse peut-être un peu ouvert ce qui peut se passer au-dessous de la mer. Et on verra que quand on parle de ports, quand on parle de transport, on a aussi à inclure ce sujet. Là, spécifiquement, ce 14e objectif de développement durable de l’ONU vise à une gestion plus durable des ressources via la préservation de 10 % des zones maritimes et côtières : donc, la lutte contre la surpêche ou la pêche illicite, bien sûr. Puis, l’accélération des recherches scientifiques et du transfert de techniques pour renforcer la résilience des écosystèmes et réduire au maximum l’acidification des océans. Je croyais que c’était intéressant de démarrer avec ces réflexions, parce qu’il se trouve que depuis peu, cette économie bleue se retrouve au cœur du Pacte vert de l’Union européenne.
Nous sommes au cœur de ce que peut signifier ce Pacte vert avec, bien sûr, au cœur de ce Pacte vert, l’économie bleue qui est vue par l’Union européenne, comme pouvant inclure cinq grands secteurs : l’aquaculture, le tourisme côtier — y compris la croisière et la plaisance —, les biotechnologies marines, les énergies marines et l’exploitation minière des fonds marins. Donc, finalement, quand on s’interroge un peu et que l’on joue un peu à la prise de hauteur, que l’on regarde la planète bleue comme une orange d’un peu plus haut, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de hasard. Comment a-t-on pu autant tarder ? On se rappelle ce qu’on sait tous, puisque l’on apprend très jeune que l’eau représente les trois quarts de la surface de la Terre : 97 % de l’eau de la Terre représente 99 % des espaces de vie disponibles.
Si les océans étaient un pays, leur PIB serait le septième mondial, avec 2 500 milliards !
Aurélie Baudhuin, directrice de la recherche ISR chez Meeschaert AM, affirme que si les océans étaient un pays, leur produit national brut se situerait à la septième place des Nations, à 2 500 milliards de richesses créées chaque année et en plus, avec 200 000 espèces identifiées. Mais on est aujourd’hui encore très loin du compte, puisqu’il pourrait y avoir jusqu’à 100 millions d’espèces marines existantes. On s’aperçoit finalement, cet univers commence à peine à être exploré. On a e effet exploré à peu près deux % des fonds océaniques. Rappelons que les conditions de vie dans les profondeurs des océans sont extrêmes et que, passés 500 mètres, la lumière ne passe plus, en tout cas, celle perceptible pour l’œil humain. Pourtant, la Vie se développe dans ces conditions extrêmes. Hélas, on retrouve dans la mer énormément de déchets plastiques.
Dernièrement, j’ai eu la chance de rencontrer Mike Horn qui racontait qu’il avait fait sa première traversée en 2006 : il marchait avec ses skis et on devait le récupérer avec un avion où étaient, raconte-t-il, sa femme et ses deux filles. Et il mesurait précisément l’épaisseur de la glace. Il disait lui-même : “Là où j’avais mesuré 2,50 mètres de profondeur pour que l’avion puisse atterrir, en 2019 — donc, vous voyez, 13 ans plus tard —, au même endroit, nous étions à huit centimètres.” Il a refait la traversée, il était à genoux sur une espèce de kayak en avançant toute la journée, puisque l’épaisseur de la glace ne lui permettait pas de refaire cette traversée dans les conditions qu’il avait eues en 2006.
Sept bonnes raisons de se préoccuper de l’économie bleue
Tout cela nous donne au moins sept bonnes raisons de nous préoccuper sans doute de plus en plus de cette transition énergétique et écologique dans le domaine maritime et plus généralement, de l’économie bleue. Et, parmi ces sept raisons, la première est qu’il s’agit là d’une source de croissance économique extraordinaire, d’un vecteur privilégié d’approvisionnement en nourriture, à un moment où on se demande : “Comment va-t-on nourrir de plus en plus d’êtres humains sur la planète ?” On doit manger moins de viande, est-ce qu’on peut manger plus de poisson ? Ce n’est pas sûr non plus. Évidemment, il y a des lieux qui deviennent premières victimes des menaces climatiques, dans la pollution des érosions côtières, etc. Mais aussi des vecteurs de bien-être, puisque 50 % des populations aujourd’hui vivent assez proches, à moins de cinq kilomètres des zones côtières. Évidemment, ressource clé dans le transport maritime, je vois François (inaudible), qui connaît très bien ces sujets, et on aura l’occasion d’y revenir avec lui, et de plus en plus prisé par l’industrie touristique, avec tout un tas d’innovations en la matière, des bateaux à l’hydrogène ou des bateaux électriques. Il y a bien sûr la question des biotechnologies, et celle de la captation de CO2, de ce puits de carbone naturel que sont les océans, mais qui se saturent, puisque lorsque le taux de CO2 augmente, il y a une acidification. Il suffit pour cela de vérifier sur les bouteilles d’eau minérale gazeuse, le pH, et l’on comprend tout de suite qu’il est plus bas – donc plus acide – lorsque l’on boit de l’eau gazeuse que quand on boit de l’eau plate.
La France : deuxième domaine maritime mondial
On l’oublie souvent, mais la France est le deuxième domaine maritime mondial avec plus de 22 860 kilomètres de frontières maritimes, avec 30 États, ce qui est plus que tous les autres pays dans le monde. La France arrive juste après les États-Unis et devant l’Australie ou la Russie, et elle détient une zone économique exclusive, une ZEE, qui recouvre 11 millions de kilomètres carrés sur les océans Atlantique, Pacifique et Indien et sur nos propres côtes. La France est aujourd’hui ici riveraine de la Manche, de la mer du Nord de la Méditerranée. IL y a donc énormément d’enjeux pour notre pays qui, en même temps, détient la première position pour son domaine sous-maritime au niveau mondial, avec évidemment, toutes les zones qui figurent autour des îles Kerguelen, de l’archipel des Crozets ou Clipperton, ou de la Polynésie, de Saint-Pierre-et-Miquelon, ou encore des Antilles, pour n’en citer que quelques-unes. Hélas, ce potentiel est souvent largement sous-estimé à tous les points de vue. Alors, je répète souvent cette phrase parce qu’elle est très emblématique, et ça sera aussi un hommage à Eric Tabarly – qui avait une grande conscience de ces enjeux et qui a laissé sa vie dans cette grande bleue : “La mer, c’est ce que les Français ont dans le dos, quand ils regardent la plage.” Dans son ouvrage, Une Histoire de la mer, Jacques Attali explique que tous les pays continentaux ont une obsession maritime, sauf nous, la France, qui a même décidé, en créant le port du Havre sous François Iᵉʳ, d’avoir un premier grand chantier naval, mais avec un petit problème puisque le Collège royal de la Marine était à Angoulême.
“60 % de la population mondiale vit à moins de 150 kilomètres d’une mer, d’un océan, contre 30 % un siècle plus tôt
La majeure partie des marchandises transitent par les flots. Les fonds marins regorgent de trésors économiques. Mais les cinq plus grands ports de la planète sont en Asie. Et donc nous, la France, pourtant l’un des pays au monde les mieux dotés en la matière, nous paraissons négliger ce formidable eldorado bleu que nous avons pourtant devant les yeux. Mais les choses changent, puisque le président Macron faisait un discours en décembre 2021, à Montpellier, où il expliquait que la vision maritime que la France doit développer doit être claire avec des actions dont on mesurera sans doute les impacts. Et l’une de ces actions, c’est probablement l’idée d’avoir ce grand port maritime Paris-Rouen-Le Havre, qui s’est rebaptisé Haropa depuis juin 2021. Je crois que c’est un élément majeur dans la stratégie de transformation. La France est d’ailleurs également la première marine européenne et au septième rang mondial en termes de marine militaire par le tonnage.
Écosystèmes côtiers et marins
Les eaux côtières et donc évidemment les écosystèmes côtiers, s’altèrent aussi, en raison de la pollution et de l’eutrophisation. Cet appauvrissement de la biodiversité est notamment dû à l’appauvrissement en oxygène. C’est un vrai sujet qui se pose sur la façon de gérer au mieux ces écosystèmes marins. Ne soyons pas trop pessimistes car il existe de nombreux projets et idées pour faire face, sachant en plus de cela qu’un problème bien posé est à demi résolu, pour faire face à ces questions. Évidemment, l’idée de promouvoir une pêche plus responsable n’est pas forcément aisée non plus. Et l’on se rend compte que penser l’économie bleue passe obligatoirement par le fait de garder des mers en bonne santé, et évidemment de gérer de façon durable, responsable, de la meilleure façon possible les ressources. Ceci m’amène à reprendre les mots de Frans Timmermans, qui, en évoquant le sujet de l’économie bleue dit : “Pour que l’avenir soit réellement vert, nous devons aussi le voir en bleu, avec cette condition préalable qui doit être portée à la santé des océans au sens large, pour pouvoir gérer responsablement cette économie bleue.” J
En guise de conclusion : l’économie bleue sera verte ou ne sera pas
Le fait de pouvoir capitaliser sur cette richesse que représentent ces écosystèmes marins au sens large, et en même temps, éviter le plus possible des externalités négatives, que ce soit par les nouveaux carburants, ou, évidemment, en réfléchissant à ce que doivent être les ports. Comment relever ce défi du changement climatique au niveau des infrastructures portuaires et pluviales ? Quels sont les meilleurs mix énergétiques ? Est-ce qu’il y a de la place pour l’efficacité énergétique ? Comment les ports se réinventent pour répondre à ce défi de la neutralité carbone et l’exporter au-delà de ces infrastructures qu’ils représentent, dans le transport international et vers les grands océans et les grands horizons ? Est-ce qu’on a des nouvelles technologies environnementales, et est-ce qu’on a des possibilités de financement ? Ou est-ce qu’on est sous investis en général ? Ou est-ce qu’on est sous investis en France ? Est-ce que le niveau d’investissement est suffisant ? Et comment les acteurs économiques, finalement, souhaitent s’impliquer dans ces enjeux ou s’impliquent-ils à notre connaissance aujourd’hui ? Est-ce que des questions ? Est-ce que l’on peut apprendre du paradoxe de l’acceptabilité des énergies renouvelables, et notamment celui de l’éolien en mer, le fameux éolien offshore, où on a du mal à trouver une position définitive ? Pourquoi pas l’énergie des vagues ? On sait qu’il y a des énergies bleues. Et puis, comment cohabitent finalement les différents acteurs, les riverains, les commerces, les industries, les écoles, les activités touristiques ? Comment s’interfacent-ils entre eux ? Est-ce que ça fonctionne bien ? Est-ce qu’on a des suggestions avant de s’orienter vers cette idée nouvelle qu’est le carbone bleu ?
On ne prétend pas répondre à tous les défis, à toutes les questions que posent ce vaste sujet de l’économie bleue, mais probablement en interrogeant des experts, en posant les questions, souhaite-t-on, et pourra-t-on jouer un rôle, apporter un petit grain de sable à l’édifice de cette vaste réflexion, pour en faire un champ des possibles ? Et pourquoi pas une pierre angulaire de la décarbonation ou de cette nouvelle économie ou de ce nouveau paradigme écoénergétique, dont j’aime beaucoup parler.
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