L’OTAN à Vilnius cible l’Iran et la Chine

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Notre chroniqueur, expert des questions stratégiques et géopolitiques et surtout politologue et historien portugais qui suit de façon assidue tant la politique française et européenne que l’évolution du monde multipolaire versus globalisme occidental, nous dresse un portrait et un bilan peu rassurants du dernier sommet de l’OTAN, de plus en plus interventionniste et « globaliste », qui s’est tenu sur fond de défense de l’Ukraine dans son effort de guerre, d’élargissement à la Suède et de désignation des ennemis russo-chinois, à Vilnius, capitale de la très russophobe et atlantiste Lituanie, les 11 et 12 juillet derniers.

Ils étaient tous là, comme une grande famille compliquée. On voyait l’Américain, perdu et défiant, le Turc, duplice et tenace, le Français, courtois et élusif, entre autres. Les membres de l’alliance atlantique atterrirent à Vilnius dans une Europe très éloignée de son Océan.

Le dialogue entre les alliés était timide et plat. Comment peut-on concilier les positions de la Grèce et de la Turquie ? Du Portugal et de la Lituanie ? Vaste question laissée sans réponse comme d’habitude. Une alliance comporte des risques, et pendant les sommets, il faut se focaliser sur les points communs qui échappent aux incohérences.

Le choix de la Lituanie était tout sauf anodin. Quand la Russie décida d’envahir l’Ukraine en 2022, les membres orientaux de l’alliance se trouvèrent en première ligne. Séduits par le parapluie américain et fascinés par le mode de vie occidentale à cause de décennies de joug soviétique, ils étaient certains que l’Oncle Sam serait au rendez-vous. Ils ont vite déchanté. On oublie aujourd’hui, en juillet 2023, qu’au tout début, ce fut Londres et non Washington qui ont offert un appui sans faille à Zelensky. Les Américains ont rapidement compris qu’il fallait s’engager, mais ils ont tergiversé pendant les premières semaines. L’Angleterre ne tergiversa point, quant à elle : elle avait une nouvelle opportunité pour revenir au-devant de la scène après un Brexit turbulent. Boris Johnson a été le premier leader occidental à visiter Kiev, en avril 2022.

Londres a compris très vite que l’invasion de l’Ukraine rebattait les cartes en Europe continentale, et que les orientaux de la Baltique (Lituanie, Lettonie, Estonie, Pologne) pouvaient ouvrir une brèche dans la géopolitique bruxelloise. Cette brèche serait cultivée depuis Londres, pour préparer une autre Europe. Le Brexit ne peut être que le début, car si Londres ne crée pas des divisions sur le continent, le Brexit échouera. 

Cynisme ou réalisme ? Probablement les deux

L’unité anglo-américaine est bien réelle, mais elle est également plus compliquée qu’on ne le dit. Pour l’Amérique, l’adversaire numéro un est la Chine. Pour le Royaume-Uni c’est la Russie. On se souviendra de la mise en garde de Washington à Londres quand celle-ci intégra la banque AIIB (Asian Infrastructure Investment Bank) propulsée par la Chine. Outre-Atlantique les têtes pensantes savent qu’un Royaume-Uni hors Union européen sera plus imprévisible, plus audacieux. Mais retournons à Vilnius.

L’OTAN continue à défendre l’Ukraine, avec des armes, avec des mots, avec son orientation bienveillante. Mais l’OTAN ne déploiera officiellement pas ses soldats contre la Russie : la Troisième Guerre Mondiale semble distante, du moins pour le moment… Compte tenu du chemin à parcourir jusqu’à l’adhésion de l’Ukraine, le sommet n’a rien clarifié sur ce point. Il est ainsi apparu que l’Ukraine devra attendre. 

Penchons-nous sur trois articles du communiqué final de l’OTAN à Vilnius

Le début de l’article 11 : « nous soutenons pleinement l’Ukraine dans son droit de choisir ses propres arrangements de sécurité. L’avenir de l’Ukraine est dans l’OTAN. Nous réaffirmons l’engagement que nous avons pris en 2008 au sommet de Bucarest […] » L’alliance atlantique affirme ici clairement que l’avenir de l’Ukraine est dans l’OTAN. À Moscou « l’opération militaire spéciale » est de ce fait encore plus légitimée, car la Russie a toujours alerté qu’elle n’accepterait jamais une Ukraine antirusse. William J. Burns alerta depuis la fin du siècle dernier que l’expansion de l’OTAN était vue comme une provocation par la Russie. Beaucoup d’autres l’ont fait. Burns, lorsqu’il était ambassadeur en Russie, dirigea en effet une note adressée à Condoleezza Rice qui était on ne peut plus claire : « L’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN est la ligne à ne pas franchir [the brightest of all Red lines] ». Le massacre aurait donc pu être évité.

Mais, comme souvent, le plus intéressant dans le communiqué n’est pas là où on l’espérait. Le commencement de l’article 84 cible directement  l’Iran: « Le soutien de l’Iran à la guerre d’agression que la Russie mène contre l’Ukraine a un impact sur la sécurité euro-atlantique […] » Les géographes auront du mal à placer l’Iran dans l’Atlantique Nord. L’Ukraine peut choisir ses propres arrangements de sécurité mais l’Iran non ?

Ailleurs, dans l’article 85, la Chine est ciblée indirectement. Les moins attentifs penseront que les articles clefs contre la Chine sont le 6 et le 23, où elle est citée, erreur de débutant. L’article 85 démarre ainsi : « L’OTAN attache de l’importance à l’Indopacifique, car l’évolution de la situation dans cette partie du monde est susceptible d’avoir des incidences directes sur la sécurité euro-atlantique […] »

Vers « l’OTAN global » ? 

De l’Atlantique Nord à la mer Baltique, et dans un avenir proche jusqu’au Dniepr ou jusqu’à la Mer de Chine, l’OTAN serait-elle en train de grossir l’Atlantique Nord au point qu’il engloberait la totalité de la planète ?

Une question ramène d’ailleurs à une autre : qu’est-ce que l’OTAN au troisième millénaire ? Certainement quelque chose de très différent de l’OTAN initiale. L’organisation du traité de l’Atlantique Nord fut conçue au départ pour vaincre le totalitarisme communiste. Cette tâche fut accomplie en 1989 ou en 1991. Depuis, l’OTAN s’est métamorphosée. Ses dires s’attachent de plus en plus à la République Universelle et à la « fin de l’Histoire » prophétisée par Francis Fukuyama. Sans un sursaut américain, l’OTAN continuera sa marche, peu importe où, même si elle marche vers l’abîme.

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