La sobriété énergétique, qui consiste, en substance, à modifier l’ensemble des comportements qui pèsent sur la consommation d’énergie, a permis de passer l’hiver à la satisfaction et, surtout, au grand soulagement de tous. Pourtant, la sobriété, ne peut s’imposer que si elle est un élément constitutif de la chaîne globale de l’Efficacité énergétique. Cette dernière est évidemment, beaucoup plus large, et elle reste encore précisément à définir, et même à construire sur des bases d’une compréhension commune par les différents pays-membres de l’UE. Il s’agit là d’ailleurs d’un des grands chantiers en cours qu’il est nécessaire d’accélérer.
Avant de poursuivre plus avant notre analyse sur ce sujet bien particulier, il est sans doute nécessaire de rappeler qu’aujourd’hui, un logement sur deux est « sur-consommateur » d’énergie et cela dans des proportions extrêmement importantes. Nous savons en effet depuis la deuxième moitié des années 2000 qu’un logement classé en catégorie G – la pire des catégories en matière d’efficacité énergétique et donc d’émissions de CO2 – suppose un niveau de consommation neuf fois supérieur à un logement classé en catégorie A. Ceci a d’ailleurs récemment déclenché une série de mesures[1] pour rendre dans les années à venir impropres à la vente ou à la location, voire parfois même à l’habitation, des logements considérés comme des « passoires énergétiques » ou trop sous-performants, en faisant peser l’ensemble de la problématique sur les clients-utilisateurs. Cela concerne près de la moitié des logements en France (soit près de 15 millions) et plus généralement en Europe (près de 100 millions de logements concernés). Cette question déborde les seuls logements puisqu’elle concerne également les bâtiments collectifs privés et publics (tertiaire).
Il pourrait ainsi être pertinent de voir dans ce début de consensus autour de la sobriété énergétique une invitation à penser le problème à l’envers avec la création d’une Europe de l’Efficacité Énergétique et de l’Energie (« Energy Efficiency and Energy Union ») … et, sans doute aussi, bien sûr, d’une Europe de l’Environnement (E4U : Energy, Energy Efficiency and Environment Union) … Une Europe pour chacun, et où chacun serait reconnu et respecté dans son rôle de « Citoyen-Consomm’acteur ». Cette évolution est nécessaire pour acter la réconciliation de l’approvisionnement et des usages, avec d’un côté les fournisseurs, déjà obligés depuis plus de 10 ans d’aider leurs clients à consommer moins[2], et, de l’autre, des usagers devenus au fil du temps des clients et aujourd’hui des « consomm’acteurs-producteurs ». Ils constituent en fin de compte de véritables « gisements d’économie d’énergie » qu’il convient d’aller explorer et « produire ».
Ce serait l’occasion de faire d’une pierre 4 coups !
Le premier avantage serait d’acter l’avènement d’un « éco-citoyen » européen consomm’acteur capable de reprendre un bout de son destin énergétique en main et de le reconnaitre dans cette position, d’autant qu’il a su répondre présent au moment où il a été sollicité, au début de l’hiver 2022, lorsque les Européens ont tous eu peur de subir des pénuries et des coupures d’électricité en raison de la fin des livraisons de gaz russe en Europe. C’est aussi, une belle façon de créer de nouvelles dynamiques transactionnelles du client vers le réseau, et, inversement, dans un contexte d’électrification croissante de l’économie.
Le deuxième avantage serait de commencer à réfléchir autrement… Albert Einstein n’avait sans doute pas tort quand il affirmait que « l’on ne peut pas régler les problèmes au même niveau de conscience que celui dans lequel on était lorsque l’on les a créés ». Ce serait d’ailleurs l’occasion d’engager un dialogue plus constructif sur les projections futures de mix énergétique, car en impliquant à leur juste place les citoyens qui ont su se montrer réactifs et faire partie de la solution, on aborderait ainsi de façon plus constructive la question de l’acceptabilité sociale, en tenant compte de façon transparente des points positifs et des inconvénients de chaque énergie, et, par là même, des meilleures façons de les faire cohabiter au plus près des ressources locales.
Le troisième avantage serait d’intégrer des perspectives de consommation de 15 à 30% moins élevées dans le secteur du logement et des bâtiments, secteur qui représente le tiers des émissions (soit 4 à 9% du mix), ce qui hisse les économies d’énergie à un élément à part entière du mix énergétique, en rendant visible une « 5ème énergie », celle que l’on ne consomme pas !
Le quatrième avantage, enfin, serait d’aborder ou de consolider le chantier de la décarbonation en le rendant simple et en permettant à chacun de « faire sa part ». Il est bien évident que l’énergie non consommée est celle qui est « produite » localement et qui n’émet aucun CO2e.
De fait, dans le contexte d’urgence du plan européen énergétique « RePower EU », c’est aussi une façon d’augmenter les chances de réussite de la première étape de 2030 (paquet énergétique européen dit du « FitX55 ») en remettant le tiercé dans le bon ordre… En effet, la feuille de route post-Kyoto avait donné lieu au fameux « 3X20 » – fruit d’un véritable effort de marketing économique, fait suffisamment rare pour être souligné -, devenu la colonne vertébrale de la politique énergétique de la décennie passée. Cette équation dite des 3X20 était une façon simple de retenir qu’il s’agissait de baisser nos émissions de CO2 de 20%, d’accroitre la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique jusqu’à un minimum de 20% (objectifs depuis largement revus à la hausse par la plupart des pays européens et plus ou moins atteints), et, finalement de réduire nos consommations d’énergie d’au moins 20%. Les économies d’énergie arrivaient étrangement bonne dernière car la question du CO2 concernait d’abord les industries. Depuis, la désindustrialisation est passée par là, et la partition ne peut plus se jouer sans les citoyens, d’autant que la question de la valeur et du prix croissant des énergies, impliqués dans la hausse de l’inflation et l’érosion du pouvoir d’achat, ainsi que dans la sauvegarde des petites et moyennes entreprises locales, deviennent des enjeux sensibles et donc des priorités.
En synthèse, il s’agit de reconquérir notre souveraineté énergétique en accélérant la mise en œuvre d’une politique commune d’efficacité énergétique qui aura démarré par son premier maillon : la sobriété, mais qui doit se déployer en incluant la rénovation énergétique des logements, le pilotage intelligent des consommations, la production décentralisée au plus proche des clients d’une partie de la production (par l’autoconsommation solaire notamment), et la mobilité électrique et partagée.
La nouvelle gouvernance énergétique suppose d’articuler de la façon la plus pertinente possible les quatre niveaux d’acteurs désormais impliqués dans l’équation énergétique, à savoir : le niveau supra-national (UE) et national (centralisé), le niveau local (décentralisé territorial), et le niveau hyper local. Ce dernier est en fait décentralisé aux points de consommation par le jeu de l’efficacité énergétique et de l’autoconsommation individuelle et/ou collective. Cela est vrai aussi pour les logements et, bien sûr, aussi, pour le tissu industriel local de PME, encore plus sensible et engagé dans la compétitivité locale.
La Commission Européenne, en présentant, le 8 mars 2023, le plan RePowerEU, lançait une stratégie de réduction de la dépendance au gaz russe des deux tiers en un an et esquissait l’objectif d’une suppression totale de la dépendance aux énergies fossiles russes à l’horizon 2030. Elle proposait de mobiliser plusieurs leviers de politique énergétique parmi lesquels trois fondamentaux, à savoir la diversification des fournisseurs de l’Union (un leitmotiv historique dans les marchés de l’énergie mais qu’on avait un peu oublié depuis les années 80), l’accélération des investissements massifs dans les énergies renouvelables (un enjeu aujourd’hui maîtrisé même s’il convient d’optimiser l’opérationnalisation et le développement) et, enfin, l’accélération des politiques d’efficacité énergétique qui semblent enfin acquérir leur lettre de noblesse.
En guise de conclusion : la question va donc se situer désormais dans le « comment » …
Les outils de politique énergétique ont été déployés de façon très différente dans les différents pays européens. Leur efficacité est encore mal mesurée, et l’on est en général encore plus dans une logique d’obligations de moyens que de résultats. Par ailleurs, aucun lien direct n’a encore été clairement établi, aux niveaux européens et nationaux, entre les différents leviers d’optimisation énergétique, les outils de mesure et les obligations minimales de performance. De plus, les ressources fléchées vers les marchés de l’efficacité énergétique restent encore sous dimensionnées tant sur le plan financier que sur le plan de la disponibilité de main d’œuvre requise, pour des emplois à valeur ajoutée, locaux et non délocalisables. En matière d’innovation, de nombreux sujets restent encore à traiter. L’Europe a pourtant une longueur d’avance sur ces sujets ; elle a su la consolider sous la contrainte de risque de pénurie… il s’agit maintenant de transformer l’essai…. Et, qui sait, en créant l’Europe de l’Efficacité Énergétique, l’Europe de l’Energie pourrait suivre !
[1] Interdiction de vendre ou de louer des logements classés
[2] Energy Efficiency Directive
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