Quasiment 30 ans après la fin de la guerre en Bosnie-Herzégovine, en ex-Yougoslavie, la situation politique n’est toujours pas réglée et les tensions sont loin d’être apaisées. Certes les hommes ne se battent plus comme durant les guerres yougoslaves des années 1990, mais la solution politique poussée par les atlantistes lors des accords de Dayton est de plus en plus fragilisée.
L’erreur fondamental des Etats-Unis est d’avoir voulu transformer une république socialiste yougoslave en une nation à part entière avec trois peuples principaux fort différents (Serbes, Musulmans et Croates) qui n’ont pas le même projet politique ni la même vision de ce qu’est leur nation. Dans un pays d’un peu plus de 3 millions d’habitants, il existe deux entités fédérales, la Republika Srpska (république serbe) et la Fédération de Bosnie-Herzégovine (regroupant Croates catholiques et Bosniaques musulmans) et un district autonome (Brčko); quelques 14 niveaux de gouvernance ; plus de 100 partis politiques ; 13 premiers ministres, plus de 180 ministres et plus de 700 parlementaires. La présidence du pays est tripartite, et pour complexifier encore plus l’administration bosnienne, il y a au-dessus du Président de Bosnie-Herzégovine un Haut représentant international, nommé par un Conseil de mise en œuvre des accords de paix négociés en 1995, qui est aujourd’hui l’ancien ministre allemand de l’agriculture Christian Schmidt. La monnaie de la Bosnie-Herzégovine est le Mark. Cette invention étatique ultra technocratique, fruit des accords de Dayton, est irrationnelle, chancelante et ne fonctionne tout simplement pas. Chaque peuple défend ses intérêts et il n’y a pas de sentiment d’appartenance nationale à la nation, à part pour la communauté musulmane qui n’a pas d’autre Etat auquel se rattacher dans les Balkans occidentaux.
La Bosnie-Herzégovine : un Etat sous tutelle internationale…
La Bosnie-Herzégovine est un Etat sous tutelle internationale qui a reçu des milliards de dollars d’aide et de prêts de la part des USA et de l’Union européenne pour un résultat médiocre. Dans ce nouvel Etat des Balkans, le chômage est officiellement à 15% et quasiment un quart de la population est officiellement pauvre. La Bosnie-Herzégovine a aussi un des taux de fertilité les plus faibles au monde et un taux d’émigration parmi les plus élevés des Balkans.
Dans ce contexte politique kafkaïen encouragé par Washington et Bruxelles, le président de la Republika Srpska, Milorad Dodik, défend la volonté d’indépendance de très nombreux Serbes de Bosnie-Herzégovine. Dodik retourne contre les atlantistes leur politique qui a permis de disloquer la Yougoslavie par la guerre et d’inventer l’Etat du Kosovo dans l’illégalité et la violence. Comment en effet justifier l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine de la Yougoslavie et du Kosovo de la Serbie tout en déniant ce même droit aux Serbes de Bosnie-Herzégovine ? Bruxelles et Washington se retrouvent dans le rôle de l’arroseur arrosé et Dodik le sait. Petit à petit, le président de la Republika Srpska avance ses pions en faveur d’une république indépendante malgré les réprobations des atlantistes. La Republika Srpska, en plus de son assemblée parlementaire et de son président, a déjà sa constitution, sa journée nationale (le 9 janvier) et son drapeau. Elle souhaiterait reconstituer son armée démantelée à la fin de la guerre. En juin dernier, l’Assemblée de la Republika Srpska a suspendu la reconnaissance des décisions de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine et a rendu inapplicable les décisions du Haut Représentant allemand. Ce dernier a annulé immédiatement le vote des Serbes et inculpé le Président Dodik qui a déclaré : « Nous ne sommes pas prêt à baisser la tête. La Republika Srpska n’acceptera aucune décision du faux haut représentant. » Il dit aussi : « En ce qui concerne Schmidt, ses décisions ne valent rien. Elles ne seront pas appliquées. » Dodik évoque la possibilité d’interdire le Haut Représentant en Republika Srpska et de l’expulser au cas où il braverait l’interdit. La tension est réelle.
Au lieu de dialoguer avec Dodik, Washington et Londres ont décidé de sanctionner l’homme fort de la Republika Srpska. L’UE adopte une stratégie moins coercitive, mais elle a quand même mis en garde les responsables serbes en juillet dernier et a menacé Dodik de « graves conséquences » s’il poursuivait sa politique sécessionniste. Dodik, lui, dit que la Bosnie-Herzégovine pourrait demander une adhésion aux BRICS et que celle-ci se ferait certainement avant l’intégration dans l’UE. Il semble imperturbable et poursuit son projet politique. Dodik a le soutien du Président Vučić en Serbie, de Viktor Orban en Hongrie et de Vladimir Poutine qu’il a revu à Moscou en mai dernier. Washington et Bruxelles aimeraient éliminer Dodik de la scène politique, mais il est très populaire au sein de la République. De surcroit, Dodik dispose aussi du soutien du Président croate, Zoran Milanović, qui pense que l’organisation politique de la Bosnie-Herzégovine discrimine la minorité croate et a dit que Dodik est « leur (les Croates) partenaire en Bosnie. »
La probabilité de l’indépendance semble actuellement faible pour la Republika Srpska, mais nous sommes actuellement dans un accélérateur mondial de l’histoire où beaucoup d’événements majeurs se déclenchent très vite. La construction atlantiste de la Bosnie-Herzégovine, si elle a apporté la paix à court-terme, n’a toujours pas répondu aux problèmes de fond que le Haut responsable semble incapable de résoudre. En fermant les yeux sur la réalité des relations entre les peuples de Bosnie-Herzégovine et en répondant aux aspirations serbes par des calomnies ou des sanctions, Washington et Bruxelles ne font que rajouter de l’huile sur un feu qu’ils ont contribué à allumer sans jamais réussir à l’éteindre.