Officier parachutiste, instructeur commando, chuteur opérationnel, blessé en opération, Jean-Bernard Pinatel, a été un des fondateurs du Groupe Permanent d’Évaluations de Situations (GPES), créé au SGDN à la demande du Président Giscard d’Estaing chargé de l’évaluation du renseignement et de proposer des options stratégiques. Il a dirigé le SIRPA durant cinq années (1985-89). Il quitte l’Armée avec le grade de Général de brigade à 49 ans à la suite du décès de son épouse.
Créateur d’une société d’analyse des données textuelles multilingue, il est élu, en janvier 2007, Président de la Fédération des Professionnels l’Intelligence Economique (Fépie).
Docteur en études politiques, maitrise de sciences physiques (option physique nucléaire), ancien auditeur de la 37e Promotion de l’IHEDN, Jean-Bernard Pinatel est l’auteur de six livres géopolitiques, dont : « Histoire de l’Islam radical et de ceux qui s’en servent, Lavauzelle, 2017 ». Il est Vice-Président du Think Tank GEOPRAGMA.
Jean-Bernard Pinatel est également chroniqueur régulier pour Le Dialogue et il vient de publier ses mémoires, L’esprit guerrier, aux éditions Balland.
En exclusivité, notre rédaction publie les bonnes feuilles de ce livre passionnant.
Extraits choisis et présentés par Roland Lombardi
Les cinquante prochaines années seront décisives pour la planète tant du point de vue écologique que géopolitique et civilisationnel. Ces défis sont liés. Nous ne pourrons malheureusement pas relever le défi écologique si, d’une part, le monde dépense des ressources immenses dans la course aux armements et qu’il revienne à l’affrontement militaire des puissances du XXème siècle qui a entrainé 70 millions de morts sur notre continent et, d’autre part, fonctionne avec des lois et des pratiques sociales qui existaient en l’an 1000.
C’est à l’Europe, où la conscience écologique est la plus forte et où se sont déroulées au siècle dernier deux guerres meurtrières, de devenir en la matière le phare du monde.
L’humanité ne peut donc se permettre qu’une guerre civile s’y installe parce que nous n’aurons pas su traiter à temps le défi civilisationnel que nous lance l’islam radical, au moment même où tant de décisions sont à prendre pour assurer l’avenir de l’humanité.
Les européens ne peuvent pas non plus accepter sans agir la course actuelle aux armements entre les Etats-Unis et la Chine dans leur recherche d’une suprématie mortifère. Et quoiqu’il arrive, il faut éviter qu’au Pacifique, champ de bataille désigné de l’affrontement sino-américain, les Etats-Unis ajoutent un deuxième front en Europe. C’est le risque inadmissible que nous générons en encourageant les provocations américaines et celles de l’OTAN envers la Russie. Elles contraignent ce grand pays à n’avoir d’autre choix stratégique que celui de rejoindre le camp chinois. Nous acceptons ainsi, de perdre notre autonomie stratégique et de nous ranger de facto dans le camp anglo-saxon avec le risque d’être entrainé contre notre volonté dans une troisième guerre mondiale[1].
D’immenses savants sont à l’œuvre pour nous alerter sur le risque écologique et nous indiquer les chemins à suivre pour le maîtriser. Je leur fais confiance et nous essayons dans ma famille d’être exemplaires. Pour nous nourrir nous limitons la viande et je cultive un potager bio qui couvre durant l’été et l’automne tous nos besoins en légumes et en fruits. En hiver et au printemps, nous mangeons les pommes de terre récoltées en juin et nos poireaux et salades d’hiver. Nous avons équipé notre toit de panneaux solaires et nous rechargeons notre petite voiture électrique quand ils produisent. Nous faisons attention à l’eau et trions nos déchets. La pandémie du COVID-19 illustre clairement cette intuition devenue certitude : la science et la technologie sont les conditions nécessaires pour sortir par le haut d’une menace infectieuse ; cependant, les décisions politiques doivent intégrer d’autres facteurs. Ce qui fera toute la différence est la manière dont le pouvoir politique s’emparera de ces questions et réussira, ou non, à en faire une synthèse.
J’ai conscience d’être dans les dix dernières années d’une vie où je peux encore servir la France et les Français. La petite pierre que je souhaite apporter pour construire un monde plus sûr et plus divers concerne essentiellement les défis géopolitique et civilisationnel qui sont devant nous. Je souhaite transmettre à mes enfants et à mes amis ce que j’ai appris au cours de soixante ans de vie professionnelle et d’études sur les cinq continents au contact des hommes et des femmes qui y vivent.
Ma jeunesse s’est déroulée dans des conditions de vie du XIXe siècle. J’ai connu la guerre telle qu’on la faisait avec les armes et les équipements de la Seconde Guerre mondiale. J’ai rencontré durant ma vie militaire des chefs admirables dont l’exemple a servi à me construire. J’ai vécu et aimé l’accélération du développement scientifique et technologique, les possibilités immenses qu’il nous offrait en termes de connaissance et de prévision. J’ai compris que nous étions désormais des citoyens du monde dans lequel la guerre avec l’escalade aux extrêmes si chère à Clausewitz devrait être raisonnablement révolue. J’ai perçu que cette accélération du changement de nos modes de vie était déstabilisatrice pour la grande majorité des habitants de la planète et qu’une très grande partie d’entre eux, refusaient, étaient incapables ou n’avaient pas les moyens de s’adapter à ce monde en perpétuelle évolution.
Ma conviction profonde est surtout qu’il n’y a pas une civilisation supérieure, un régime politique capable de s’imposer à tous les autres. Quand on est au Japon, en Chine, en Russie, en Iran, en Côte d’ivoire ou en Polynésie ce n’est pas notre couleur de peau, notre langue, notre religion qui nous différencie mais ce que les habitants de ces régions du monde croient au fond d’eux-mêmes comme essentiel et pour lequel ils sont prêts à risquer leur vie.
Je crois à la France et à la nation française qui s’est forgée au cours de siècles et qui ont été façonnées par ce bout de terre tout au bout de l’Europe, partie occidentale de l’Eurasie, traditionnellement considérée comme un des six ou sept continents. Les peuples qui sont arrivés jusqu’à la barrière, longtemps infranchissable de l’océan atlantique, se sont mélangés tantôt pacifiquement mais le plus souvent en se faisant la guerre. Il existe dans cette France, dont certains veulent réécrire l’Histoire, des peuples ayant gardé une part de leur ADN original, entre autres les Basques, les Bretons, les Catalans et le Corses. Les nouveaux démiurges sont prêts à nier et à effacer cette diversité et cette richesse pour transformer les femmes et les hommes qui peuplent ce bout de terre (la 270e partie des terres émergées) en consommateurs standardisés d’un monde unidimensionnel dont les GAFA[2] sont le symbole. Il existe aussi sur notre sol des croyants prêts à s’immoler en tuant le maximum d’infidèles pour une interprétation déviante de la volonté d’un être suprême qu’ils croient dictée et inscrite dans le Coran par les premiers fidèles de son prophète Mohammed.
Cette diversité des femmes et des hommes que j’ai rencontrée depuis plus de 60 ans se retrouve dans des civilisations qui viennent du fond des âges. Ces civilisations se sont donné des institutions qui correspondent à leur croyances spirituelles et façonnées par leur expérience collective. Vouloir imposer au monde entier notre conception de la démocratie est non seulement une utopie mais une source de guerre, civile ou étrangère.
Je suis un homme d’action qui réfléchit et non un intellectuel qui fonde ses croyances sur l’étude des philosophes ou des théoriciens politiques. Je n’ai jamais prétendu détenir la vérité. Je me définis comme un physicien géopolitique et sociétal qui, à partir de l’analyse de faits recueillis sur le terrain, les conceptualise et met en lumière des tendances lourdes, des couloirs de certitude et des faits déterminants qui me permettent d’éclairer l’avenir. J’ai toujours voulu à chaque étape de la vie concrétiser ma pensée géopolitique dans un livre quand je me sentais en décalage avec la pensée dominante. C’est ainsi que j’ai écrit cinq livres dont les deux premiers en collaboration avec des amis.
Je le fais d’abord pour moi car se lancer dans un ouvrage est une discipline rigoureuse qui vous oblige à lire ce qui est déjà publié sur le sujet que vous voulez traiter et à vous positionner par rapport aux faits, aux arguments voire aux désinformations que d’autres auteurs mettent en avant. Je le fais aussi pour mes amis et pour ceux qui me font l’honneur de me suivre car cela permet d’entretenir mon réseau de confiance, de m’ouvrir de nouvelles portes et de rencontrer d’autres femmes et hommes, qui comme moi, souhaitent ne pas subir.
Ces mémoires n’ont pas vocation à développer une théorie philosophique ou sociétale. J’ai voulu par de courtes histoires témoigner de ma vision du monde : elle s’est forgée durant les soixante années de ma vie professionnelle. Dans sa dernière partie, je me concentre sur les défis que la France et l’Europe auront à relever. J’ai conçu ces mémoires comme un patchwork de rencontres et d’actions qui, dans la douleur et dans la joie, dans le travail intense et dans le divertissement, a construit ce que je suis : « un homme d’idéal sans illusions ». Elles ont l’ambition de révéler par petites touches ce que je crois et ce pourquoi j’ai risqué ma vie et bien souvent ma carrière.
[1] Alors que les dépenses militaires dans le monde atteignaient 2000 milliards de $ en 2019. Le total des dépenses de l’Europe Russie comprise était de 356 milliards de $ en croissance de 5% par rapport à 2018 et 8.8% plus élevée qu’en 2010. Cela représente 19% des dépenses mondiales faisant de l’Europe la troisième région du monde après les Amériques et l’Asie. 5 pays parmi les 15 des pays qui dépensent le plus pour leurs armées se trouvent en Europe : Russie rang 4, France rang 6, Allemagne rang 7 Grande-Bretagne rang 8 et Italie rang 12 . Les USA à eux seuls représentent 38% des dépenses mondiales et la Chine 14% Trends in world military expenditure, 2019 (sipri.org)
[2] En 2019 Google (dont la maison mère est Alphabet) : 161,9 milliards de dollars de chiffre d’affaires (CA) Amazon : 280,5 Mds. Facebook : 49,6 milliards de CA. Apple : 265 milliards de CA en 2018. Soit le 20ème PIB du monde comme celui de la Turquie.