Pays réputé pour son goût du secret et sa stabilité, la Chine a depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir semblé assumer le rôle de rival géostratégique de l’Amérique. Encore aujourd’hui cette stratégie ne dévie pas d’un iota, au plan militaire, diplomatique et économique.
Militaire tout d’abord. Un rapport très détaillé publié en octobre par le Pentagone a révélé que la Chine est en train de développer son arsenal nucléaire à un rythme plus rapide qu’estimé auparavant par les États-Unis. Simultanément, les pressions militaires se sont faites de plus en plus insistantes sur Taïwan avec l’intensification des sorties de J16, les derniers jets de pointe de l’armée chinoise équipés de missiles à courte portée, à proximité de l’espace aérien taïwanais.
Au plan économique, le 15e sommet des BRICS de Johannesburg (août 2023), ce regroupement informel de cinq grandes nations « émergentes » dont le seul véritable point commun est l’ambition de proposer un autre ordre international, a été l’occasion pour Pékin de s’affirmer comme puissance économique globale en prenant le leadership de ce contre-G7. La Chine, a également tout récemment assumé la pérennisation de son programme de financement d’infrastructures lancé en 2013 lié aux nouvelles routes de la Soie qui visent à épauler une clientèle de pays largement anti-occidentale.
Au plan diplomatique, Xi Jinping a toujours en marge du troisième Forum de la Ceinture et de la Route (Nouvelle Route de la Soie) qui s’est déroulé en octobre à Pékin, affiché sa complicité avec Poutine. Enfin, en avril, il a enregistré l’un des plus beaux succès de la politique étrangère chinoise – le rapprochement de l’Iran et de l’Arabie saoudite pour mettre fin au conflit au Yémen, lui permettant de se positionner en puissance globale.
Pourtant, derrière cette apparente stabilité, la machine semble s’enrayer. Réélu le 10 mars 2023 à la tête de la République Populaire de Chine, Xi Jinping avait assuré son pouvoir et placé des hommes liges au conseil d’État et au gouvernement. Le mot d’ordre semblait être d’assumer un « esprit combattant », en assumant d’accuser les pays occidentaux, menés par les Etats-Unis de mettre en œuvre un endiguement, un encerclement et une répression complets de la Chine.
Curieusement, les têtes de ces fidèles en charge des affaires militaire et diplomatique viennent de rouler à terre, débarqués au bout de quelques mois de leurs fonctions. Le ministre de la Défense Li Shangfu avait remplacé Wei Fenghe, en poste depuis 4 ans, et n’a toujours pas de successeur. Il est accusé de corruption.
Le ministre des Affaires étrangères, Qin Gang, ancien ambassadeur à Washington était quant à lui un « loup guerrier » très représentatif du durcissement diplomatique chinois. Qin Gang, qui aura contribué au rapprochement irano-saoudien, aura cependant duré six mois à ce poste avant de tout simplement disparaître de la circulation. Il été remplacé au pied-levé par Wang Yi, qui avait occupé ces fonctions pendant 9 ans avant lui.
A ces deux ministres, il faut ajouter les noms du ministre des Finances, Liu Kun et du ministre en charge de la Science et des technologies, Wang Zhigang. Leur profil était cependant différent, car moins politique. Tous les deux en poste depuis 5 ans, ils ne venaient pas d’être nommés et n’étaient pas des proches de Xi Jinping. Ils n’avaient pas non plus le même poids politique. Ainsi, Liu Kun avait été nommé alors qu’il n’était pas membre du Comité central du Parti Communiste, une entorse rarissime au fonctionnement chinois.
Cette valse des dirigeants est le signal de conflits internes au régime chinois, face à des difficultés majeures. Sur le front diplomatique et militaire, sauf à considérer qu’il s’agit d’une coïncidence frappant deux ministres, l’un accusé de corruption et l’autre qui aurait pu être compromis dans une affaire de mœurs, l’explication la plus logique est que Xi Jinping a préféré revenir à des hommes du passé, peut-être pour donner des gages à l’État profond, voire négocier en interne au moment où la situation internationale se tend dramatiquement. En revanche, sur le front économique, le remaniement traduit plutôt une reprise en main de Xi Jiping et un constat d’échec. En effet, alors que la Chine est en passe de réussir son pari international, elle est tétanisée, comme le Japon avant elle, par la fin du miracle économique lié au rattrapage des économies occidentales.
Après des années d’une croissance exceptionnelle bâtie sur l’endettement des collectivités locales et du privé, un ralentissement est en cours, marqué par une chute des exportations, une hausse du chômage, une baisse de la consommation et le retour de la déflation. Le pays traverse des troubles économiques intérieurs majeurs, notamment un déficit budgétaire record qui a obligé Pékin à s’endetter massivement. Pourtant, cet endettement n’est pas mis au service d’un interventionnisme d’État : Xi Jinping refuse de relancer l’économie car les précédentes réponses keynésiennes ont nourri l’endettement et la corruption. Le remplacement de Liu Kun, qui s’était justement distingué en 2009 en ouvrant les vannes budgétaires alors qu’il était en poste dans la province du Guangdong, s’explique peut-être ainsi.
La bulle immobilière, en éclatant, a contribué à enclencher une crise quasi-systémique avec des volumes de vente qui s’effondrent, ce qui menace plusieurs fleurons du secteur. Le milliardaire Hui Ka Yan, fondateur et patron du conglomérat Evergrande, dont l’action a été suspendue en Bourse, a ainsi été placé en détention. Il semblerait que la réponse de Xi soit de faire de nouveau la chasse à la corruption.
En voulant se propulser comme puissance globale, Pékin a hérité également des problèmes géopolitiques qui l’accompagnent. Ainsi, son nouveau statut de puissance marraine du rapprochement irano-saoudien a été secouée par la crise au Proche-Orient, obligeant la Chine à suivre ses alliés arabes. Pékin, qui a perdu six citoyens dans l’attaque, a ainsi refusé de condamner le Hamas puis, sous la pression, a durci ses éléments de langage, en évoquant « l’injustice historique » subie par les Palestiniens, tout en affirmant que « les actions d’Israël allaient au-delà de l’auto-défense ». Néanmoins, il n’est pas sûr que l’initiative iranienne aille dans le sens de ses intérêts.
Affaiblie, peut-être que la Chine prend conscience que ses intérêts géopolitiques ne coïncident pas toujours avec ses intérêts économiques, et qu’un armistice dans la compétition avec Washington lui serait bien utile pour régler ses problèmes intérieurs et calmer la situation internationale, de plus en plus bouillonnante. Le fait que Pékin ait envoyé concomitamment des signaux de coopération à Washington en prévision d’une visite d’État explique peut-être cela.