La déclaration Balfour de 1917 : tournant géopolitique majeur au Moyen-Orient

Shares

Publiée le 2 novembre 1917, la déclaration Balfour de 1917 reste l’un des documents diplomatiques les plus importants du XXe siècle. Ce document donne corps au projet sioniste embryonnaire du siècle dernier. Londres, par l’intermédiaire d’Arthur Balfour ministre des Affaires étrangères britannique de l’époque « envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national juif ». Cette lettre adressée à Lord Rothschild façonnera l’histoire du Moyen-Orient jusqu’à aujourd’hui.

L’émergence du mouvement sioniste :

La notion de sionisme date de la fin du XIXe siècle. La lente et difficile intégration des populations juives dans les pays européens poussent certains penseurs juifs à théoriser un concept sur la nation juive. De surcroît, en raison de la montée des théories antisémites en Europe de l’Est, notamment dans la Russie tsariste et les répressions violentes au sein des pogroms de la fin du XIXe, des Juifs veulent s’émanciper et favoriser le renouveau de l’identité juive. Dès lors, certains prônent déjà l’émigration des juifs en Palestine. Or à cette époque, le sionisme ne s’enracine pas dans les esprits et les consciences de la majorité. C’est un courant radicalement opposé à leurs identités européennes et aux préceptes du judaïsme.

L’attachement de la communauté juive à la Palestine n’est pas nouveau. Il s’explique par le fait que les juifs habitaient en Terre Sainte avant d’être chassés par les Romains en 135 après J-C. De plus, le mot sionisme fait référence à Sion, une colline de Jérusalem. Les références à Sion sont nombreuses dans la liturgie et dans les prières juives. Néanmoins, les Juifs pratiquants attendent la venue du Messie pour retourner en Terre Promise.

Il faut attendre les écrits du journaliste juif d’origine hongroise Théodor Herzl afin que le sionisme s’inscrive dans la durée. Il conceptualise le sionisme politique à une époque où l’antisémitisme fait rage en Europe. Dans le contexte de l’affaire Dreyfus en France et face à l’impossibilité de l’assimilation des populations juives, Théodor Herzl écrit en 1896 « Der Judenstaat » (l’État des juifs). L’année suivante, il préside l’Organisation sioniste mondiale. Cependant, il hésite sur le lieu de ce futur foyer national juif. Initialement, il envisage l’Ouganda ou l’Argentine avant de se focaliser sur la Palestine.

Théodor Herzl se rapproche des puissances financières juives (notamment la famille Rothschild), pour asseoir et donner du poids à son projet. Dès le début du XXe siècle, les riches financiers juifs achètent des terres en Palestine pour l’établissement des futurs colons (les Kibboutz). De ce fait, les idées de Herzl se diffusent rapidement en Europe et outre-Atlantique.

En 1882, 20 000 juifs sont présents en Palestine. Ils ne représentent que 3% de la population qui compte 600 000 musulmans et chrétiens. Avec l’émergence du sionisme, l’émigration juive en Palestine se déroule en plusieurs étapes. Lente au départ, en raison de la méfiance de l’Empire ottoman et des réticences des Juifs européens, elle s’accélère et devient exponentielle avec la déclaration Balfour de 1917.

Les dessous de la déclaration Balfour : 

Durant la première guerre mondiale, la Grande-Bretagne participe activement à la refonte du Moyen-Orient selon ses propres intérêts. Après les accords secrets de Sykes-Picot en 1916 et la fausse promesse d’indépendance faite aux Arabes, Londres voit dans le mouvement sioniste une opportunité à saisir. En mauvaise posture sur le front européen et oriental, les Britanniques cherchent à canaliser les aspirations sionistes pour s’assurer un soutien de poids au Proche-Orient contre l’Empire ottoman. En effet, la Grande-Bretagne entend sanctuariser le Canal de Suez pour son commerce vers les Indes en sécurisant l’Égypte et la Palestine.

Bien que touchant simplement une minorité, le mouvement sioniste est soutenu par d’influentes personnalités juives en Europe et en Amérique. En défendant les revendications sionistes, Londres s’assure un soutien économique. Les motivations anglaises sont donc d’ordre commercial, financier et territorial. Dès lors, les contacts entre le gouvernement anglais et les différentes organisations du mouvement s’intensifient. Arthur Balfour, ministre des Affaires étrangères britannique, rencontre Lord Rothschild et Chaïm Weizman, vice-président de la fédération sioniste de Grande-Bretagne. Leurs négociations doivent aboutir à un accord, indiquant que le gouvernement britannique est favorable à la création en Palestine « d’un Foyer national juif ».

Après cinq versions, Arthur Balfour publie le 2 novembre 1917 une lettre à Lord Rothschild :

« Le Gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour les Juifs et fera tout ce qui est en son pouvoir pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, soit aux droits et au statut politique dont les Juifs disposent dans tout autre pays. »

Les mots de cette déclaration sont choisis avec minutie. Arthur Balfour emploie le terme de « Foyer » et non d’État, pour « rassurer » les populations autochtones sur les desseins sionistes. Néanmoins, les Arabes ne sont pas véritablement nommées, il les désigne par « les communautés non juives ». En une lettre, le cours de l’Histoire régionale se trouve bouleversé et plongé dans un cycle infernal de tensions communautaires et territoriales, dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui avec l’épineux dossier israélo-palestinien. 

Bibliographie :

https://www.lesclesdumoyenorient.com/Sionisme-et-creation-de-l-Etat-d.html

https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1954_num_63_335_14349

https://blogs.mediapart.fr/mongi-benali/blog/301217/une-nation-solennellement-promis-une-seconde-le-territoire-dune-troisieme

https://www.lesclesdumoyenorient.com/Declaration-Balfour.html

Le Monde diplomatique, Manière de voir « Palestine : un peuple, une colonisation », Février-Mars 2018, p-91

Henry Laurens, « La Question de Palestine tome premier, 1799-1922, L’invention de la Terre sainte », Fayard, 1999.

Shares
Retour en haut