Diplômé de l’école de commerce (ESSEC IMD) et titulaire d’un master en management, Philippe Pulice est le fondateur de la chaîne Youtube « Les Réveillés ».
Il sera un nouveau chroniqueur du Dialogue où il tiendra la rubrique Progressisme.
Propos recueillis par Angélique Bouchard
Philippe Pulice, pourquoi avez-vous choisi de vous engager dans la lutte contre le wokisme, notamment en créant une chaîne Youtube dédiée à cette thématique ?
Mon opposition à ce mouvement découle d’un processus de réflexion amorcé à la fin des années 90, lorsque je me suis intéressé aux théories du genre et de la race qui allaient devenir les deux piliers du wokisme. La première jetait un énorme pavé dans la marre en considérant que le genre n’a aucun rapport avec le sexe biologique. La seconde, au nom d’un nouvel antiracisme, faisait entre autres, resurgir le concept de la race. Rapidement, j’ai anticipé le fait que le genre allait finir par s’imposer comme le nouveau paradigme et que ces théories allaient donner naissance à un mouvement à la fois subversif et vindicatif. En d’autres termes, révolutionnaire et revanchard. En plus d’avoir été choqué par la résurgence du concept de la race, j’estimais que ces idées allaient davantage fragmenter une société déjà profondément divisée, opposer de plus en plus les individus, et surtout raviver le racisme. Je qualifierais cette première étape comme une prise de conscience visionnaire.
La suite de ma réflexion a confirmé que le wokisme avait étendu son influence dans notre société et que peu de gens étaient conscients des dangers inhérents à ce mouvement. En plaçant la lutte contre le racisme et les discriminations au premier plan, le wokisme bénéficie d’un capital de sympathie considérable. Cette réalité complique les oppositions. Cependant, derrière cette façade, se cache une idéologie dangereuse, méconnue du grand public. C’est pourquoi j’ai choisi de m’engager activement pour éclairer nos concitoyens de manière pédagogique, accessible, et sans polarisation, en raison de la sensibilité des sujets abordés. J’ai considéré que Youtube était un excellent moyen de toucher un large public.
Les questions d’équité et de justice sociale semblent être au cœur des préoccupations du wokisme. N’est-ce pas une manière un peu simpliste de présenter les choses ? Est-ce que les médias et la société en général, cherchent à éviter la complexité de la pensée woke ?
Le mouvement qui a donné naissance au wokisme s’appuie sur des revendications légitimes. Indubitablement, le racisme est une plaie, et les discriminations ainsi que les injustices sont inadmissibles. Tous les individus doivent être traités avec dignité et respect. Le problème, c’est que le mouvement originel s’est transformé en un mouvement subversif et vindicatif. Et peu d’acteurs, en particulier dans les médias, abordent cette mutation qui est pourtant essentielle. C’est la face cachée du wokisme, uniquement abordée par ceux qui émettent réserves et critiques. L’omission de cette dimension par les médias traduit souvent une prise de position idéologique, suggérant une forme de complaisance. Il est symptomatique de notre époque que la simplification prévale sur la complexité de la réalité. Les enjeux sont réduits à des oppositions binaires, comme le bien contre le mal, le progressisme contre le conservatisme, et ainsi de suite. Trop de sujets sont abordés de manière superficielle et sont réduits à des slogans simplistes. Prenons l’exemple du principe d’équité, qui occupe une place centrale dans l’idéologie woke. Il est surprenant de constater le manque d’articles explicatifs (c’est un euphémisme) qui détaillent concrètement ses implications. Les Français ont-ils vraiment saisi les conséquences de ce principe, notamment en ce qui concerne la remise en cause de l’égalité des droits et des chances, la fin de la méritocratie, et la promotion de la discrimination positive, qui est elle-même souvent mal comprise ? Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.
Que pensez-vous de la notion du “Privilège blanc”, forgée par Peggy McIntosh ? Qu’en est-il en France ?
La notion du privilège blanc va à l’encontre du principe d’universalisme qui considère entre autres, que tous les êtres humains sont égaux au-delà des leurs distinctions biologiques et culturelles. Cette notion assigne les individus à leur couleur de peau en les enfermant soit dans la catégorie des dominants soit dans celle des dominés. C’est terrible ! Indépendamment de notre volonté, en fonction de notre couleur de peau, nous serions racistes ou victimes. Il est notable de souligner la nature dichotomique et manichéenne de la pensée woke.
La notion du privilège blanc vise à persuader les individus de race blanche qu’ils portent, dès leur naissance, le fardeau d’un racisme latent, parfois inconscient. De surcroît, ils sont invités à prendre conscience de leurs privilèges, dans l’objectif ultime de les conduire vers un acte de repentance. Cette approche rencontre un certain succès, surtout aux États-Unis. En France, bien que cette notion chemine dans les discours, elle n’est pas toujours qualifiée de manière explicite. Le sentiment de culpabilité et la tendance à l’autodépréciation (voire, la haine de soi) sont des caractéristiques marquées des sociétés occidentales, créant un terrain favorable à l’approche accusatoire et victimaire des militants wokes issus de minorités ethniques.
Pour appréhender l’idéologie woke dans son ensemble, il est crucial de saisir ces dynamiques complexes en premier lieu.
Votre chaîne YouTube et la prochaine rubrique sur le Progressisme que vous tiendrez au sein du Dialogue sont-elles notamment une réponse aux établissements privés et publics qui diffusent la pensée woke ?
En premier lieu, c’est l’opportunité de donner voix à une perspective alternative, une résistance face à la pensée unique, qui, il est crucial de le rappeler, se montre excessivement complaisante envers le wokisme. Il est impératif de sortir de ce piège, qui est celui du simplisme et de la diabolisation. Je critique le wokisme, mais cela ne m’empêche pas de lutter contre le racisme et toutes les formes de discriminations. Cette lutte ne se limite pas exclusivement à celles qui touchent les femmes, les minorités ethniques et sexuelles. Je suis également sensible à la question du handicap, et m’insurge du fait qu’il y ait une discrimination dont on ne parle quasiment jamais, celle liée à l’âge. Celle-ci est particulièrement manifeste, en particulier dans le contexte du monde professionnel. Et enfin, il est essentiel de ne pas omettre l’antisémitisme, à la fois inquiétant et répugnant. Il est primordial de faire comprendre que la critique du wokisme ne signifie pas s’opposer à la lutte contre le racisme et les discriminations. Cette clarification est cruciale car les voix critiques à l’égard du wokisme font l’objet de vives réactions visant à les discréditer.
Dans cet esprit, il est urgent de fournir une information éclairée au plus grand nombre et de révéler la face cachée du wokisme, celle-là même qui représente un péril pour notre société. En ce sens, tous les moyens de communication disponibles sont précieux. Il est indéniable que la pensée woke s’infiltre dans certains établissements publics, en particulier dans les universités. Elle trouve également son chemin au sein de nombreuses associations. À titre d’exemple, l’année précédente, le Planning familial communiquait sur une affiche sur laquelle on pouvait lire : « Au Planning, on sait que des hommes aussi peuvent être enceints ». Critiquer le wokisme, c’est apporter naturellement la contradiction à ces établissements !
Est-ce que l’écriture inclusive n’est pas un marqueur fort de l’idéologie woke avec d’un côté les progressistes et de l’autre côté, les réactionnaires ?
Indéniablement, l’écriture inclusive représente un marqueur puissant, dénotant sans équivoque une position idéologique bien précise. Bien que Jean-Michel Blanquer, lors de son mandat au ministère de l’Éducation Nationale, ait proscrit l’usage de l’écriture inclusive, cette pratique suscite de vives controverses au sein même des établissements éducatifs, notamment au sein des universités telles que Lyon II, Clermont-Auvergne et Grenoble-Alpes, pour n’en citer que quelques-unes.
Du côté des associations militantes, l’écriture inclusive s’impose bien entendu. Des personnalités politiques se font un point d’honneur en écrivant de la sorte, et Sandrine Rousseau en est la parfaite illustration. Néanmoins, il serait excessif d’affirmer que l’écriture inclusive est une caractéristique commune à toutes les personnes se revendiquant du mouvement woke. Elle est davantage revendiquée par les néo-féministes et les membres des minorités sexuelles que par les minorités ethniques.
Au-delà de la question de l’écriture inclusive, les idées wokes se réclament du mouvement progressiste. Comme je l’ai souligné précédemment, par simplisme, mais aussi dans l’objectif de manipuler l’opinion publique, les personnes qui critiquent le wokisme sont souvent regroupées, entre autres, dans la catégorie des réactionnaires.
Peut-on croire en la possibilité d’un dialogue entre ces 2 camps ? D’une manière plus large, est-ce que le wokisme représente une menace pour les démocraties occidentales ?
L’instauration d’un dialogue semble être à la fois une quête vaine et une entreprise stérile. En effet, la radicalité des wokes est sidérante, et leur posture intellectuelle constitue une barrière infranchissable en ce qui concerne la possibilité d’échanger. En d’autres termes, essayer de faire changer les positions idéologiques des wokes relève de l’exploit. Dans cette optique, il est préférable de concentrer les efforts vers ceux qui méconnaissent ou n’ont qu’une vague idée de ce qu’incarne réellement le wokisme. Ce sont les plus nombreux ! Ils forment la majorité silencieuse. Le devoir d’information et d’alerte s’adresse précisément à cette majorité de Français qui se retrouve dans une position délicate, prise en étau entre la pensée dominante qui impose le politiquement correct et le phénomène de diabolisation, employant des stratégies de dissuasion bien rodées.
Ma participation à cette lutte n’aurait pas été envisageable si je n’étais pas convaincu que le wokisme représente un danger pour notre société. Cette conviction constitue le socle même de mon engagement ! Parmi les risques encourus, l’un d’entre eux me tient particulièrement à cœur, à savoir la perte progressive de la liberté d’expression. Ce sujet mérite une attention particulière, et j’y reviendrai inévitablement.
Peut-on aujourd’hui réellement critiquer la théorie du genre sans être qualifié de misogyne, sexiste, homophobe, transphobe, etc. Est-ce devenu un sujet tabou ?
Effectivement, le sujet est devenu tabou ! La notion de genre s’est imposée, non sans une certaine forme de violence. Comme le conseillait Lénine, « Faites-leur avaler le mot, vous leur ferez avaler la chose ». Il est indéniable que poser des questions et exprimer des critiques sur la théorie du genre est devenu une entreprise délicate. À titre d’exemple, le Planning familial menaçait d’intenter des procès contre ceux qui osaient critiquer leur slogan : « Au Planning, on sait que des hommes aussi peuvent être enceints ». Cependant, ceci illustre le modus operandi du wokisme. Les opinions divergentes ne sont pas discutées, et poser des questions est considéré comme répréhensible. Les wokes imposent leur version, à laquelle la majorité doit adhérer, qu’elle le veuille ou non. Ils cherchent à réduire au silence ceux qui pensent différemment, usant d’une violence aux limites floues, illustrée par la ‘cancel culture’ que l’on pourrait traduire par la culture de l’annulation. De nombreuses personnes en sont les victimes, le cas le plus célèbre étant celui de la romancière JK Rowling. C’est pourquoi, je considère que la liberté d’expression est menacée.
Notre rédacteur en chef et géopolitologue Roland Lombardi déclare que le « wokisme et le progressisme en général des dirigeants européens et américains, sont deux facteurs importants du déclin de l’Occident et surtout de sa perte d’influence et de son rejet massif parmi les pays dits du Sud Global, en Afrique et dans le monde arabe particulièrement ». Qu’en pensez-vous ?
Tout d’abord, il est essentiel de noter que le phénomène woke ne touche que le monde occidental, même s’il commence à se manifester en Asie, en particulier au Japon. L’écart entre une société où les idées wokes sont prédominantes et une société conservatrice, comme on peut en trouver dans le monde arabe, est tout simplement abyssal. Ce constat n’est pas de nature à faciliter le rapprochement entre ces différentes sociétés.
En conséquence, le modèle de la société occidentale attire de moins en moins, et pire encore, il suscite des peurs et des rejets. Le monde occidental a souvent cherché à exporter ses valeurs, les présentant comme universelles, mais avec le wokisme, on assiste à une sorte de repli protectionniste de la part de ces sociétés conservatrices qui cherchent à éviter toute forme de « contamination ».
Il est indéniable que l’influence de la Chine et de la Russie s’accroît en Afrique, mais bien sûr, on ne peut pas expliquer ce rapprochement uniquement avec le prisme du wokisme, ce serait stupide. Cependant, l’idée qu’il y ait une certaine corrélation n’est pas à écarter d’un revers de main. Si le wokisme continue à gagner du terrain et finit par s’imposer, il contribuera incontestablement au déclin du monde occidental. Du moins, c’est ce que je crois et c’est pourquoi je m’y oppose. Mais il y a une question néanmoins qui mérite d’être posée : Est-ce le wokisme qui a affaibli l’Occident, ou bien est-ce que c’est parce que l’Occident est affaibli que le wokisme a pris naissance et se propage ? J’essaierai de répondre à cette question dans mes prochaines chroniques.
Diplômée de la Business School de La Rochelle (Excelia – Bachelor Communication et Stratégies Digitales) et du CELSA – Sorbonne Université, Angélique Bouchard, 25 ans, est titulaire d’un Master 2 de recherche, spécialisation « Géopolitique des médias ». Elle est journaliste indépendante et travaille pour de nombreux médias. Elle est en charge des grands entretiens pour Le Dialogue.