Selon les sondages, seulement environ 15% des Français ont déjà entendu parler du wokisme. Au premier abord, cette information n’étonne guère lorsque l’on commence à évoquer ce terme autour de soi. Cependant, en réalité, ce n’est pas tout à fait exact. En effet, bien que la majorité des Français ne connaisse pas le wokisme en tant que tel, il est plutôt rare de discuter avec des personnes qui n’ont jamais eu écho de la terminologie, des revendications et des événements directement liés à ce mouvement idéologique. Pour illustrer ce propos, il suffit d’évoquer l’écriture inclusive, le genre qui s’impose au mot sexe et dont la déclinaison fait l’objet d’innombrables « innovations » (piste cyclables genrées, budgets genrés, toilettes non genrées, jouets pour enfants non genrés…), le sigle LGBTQIA+, les femmes ou les hommes transgenres, les personnes se définissant comme racisées, la déconstruction, le déboulonnage des statues, l’affiche provoquante du Planning familial parlant de l’homme enceint, etc. Pour faire une analogie avec le monde médical, la connaissance de certains symptômes ne permet pas forcément de faire le lien avec telle ou telle maladie. Quels que soient les sujets, le problème ne réside pas dans le manque d’information. Au contraire, celle-ci est bien souvent pléthorique. La véritable difficulté consiste à ranger cette information dans quelque chose de plus fédérateur et porteur de sens : un concept, une théorie, un mouvement idéologique, un mouvement politique, etc. Ceci est symptomatique de notre époque, et le wokisme en est une illustration. Force est de constater qu’il est peu connu et mal compris, bien qu’il représente le mouvement idéologique révolutionnaire du 21ème siècle. L’objectif de cet article est de présenter son origine.
Le terme “woke” vient des États-Unis et s’inscrit dans le mouvement de lutte des Afro-Américains pour l’accès aux droits civiques. Il trouve son origine dans un discours du pasteur Martin Luther King qui, en juin 1965, à l’université d’Oberlin dans l’Ohio, a exhorté les étudiants à rester éveillés, ‘remaining awake’ en anglais, face aux discriminations et aux injustices. L’expression ‘remaining awake’ en argot, se transforma en ‘to be woke’. Cette expression argotique tomba dans l’oubli jusqu’en 2008, année où une chanteuse afro-américaine du nom d’Erykah Badu a répété près d’une quarantaine de fois ‘I stay woke’ dans sa chanson ‘Master Teacher’, popularisant ainsi cette expression auprès de la jeunesse américaine. L’expression a été reprise en 2013 par le mouvement ‘Black Lives Matter’ qui a été créé en réaction à l’acquittement d’un vigile nommé George Zimmerman, responsable de la mort du jeune Afro-Américain Trayvon Martin. Cet événement, survenu sous la présidence de Barack Obama, le premier Président noir des États-Unis, a déclenché une vague de contestation nationale dénonçant le racisme systémique ainsi que les violences policières subies par les Afro-Américains. L’événement le plus emblématique de ce mouvement est vraisemblablement la mort de George Floyd, lui-même Afro-Américain, asphyxié par Derek Chauvin, un policier blanc. Cette mort tragique fut filmée et diffusée à grande échelle ce qui provoqua une indignation internationale. Dès lors, cette vague de contestation ne se limitera pas aux Etats-Unis ni à la question du racisme. Elle va s’étendre à d’autres pays et agréger des minorités qui elles-aussi, estiment être victimes de discriminations, d’injustices et de violences. Dans un premier temps, on retrouvera des minorités ethniques, telles que les Afro-Américains aux États-Unis et celles issues des anciennes colonies, comme en France et en Angleterre, pour ne citer que ces deux pays. On y trouvera également des minorités sexuelles, notamment des gays, des lesbiennes et des personnes transgenres, ainsi que des femmes revendiquant leur appartenance à un féminisme moderne. Le wokisme prend alors naissance et devient rapidement un mouvement international en se limitant cependant aux pays occidentaux : les Etats-Unis, le Canada, les pays d’Europe de l’Ouest, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
La force du wokisme réside dans le fait qu’au départ, il était fondé sur des revendications légitimes. Cela lui a permis de gagner rapidement en puissance, car on ne peut pas nier les inégalités, les injustices, les discriminations, voire les persécutions dont certains groupes de personnes ont été ou sont toujours victimes. On ne peut que se réjouir des progrès accomplis grâce aux nombreux combats menés, d’ailleurs, bien avant même que le wokisme prenne naissance. A titre d’exemple, gardons en mémoire que les Afro-Américains ont dû attendre le 2 juillet 1964 pour que leur lutte pour l’accès aux droits civils aboutisse enfin. À cette date, le président Johnson a promulgué la loi appelée le ‘Civil Rights Act’, mettant fin à toutes les formes de discrimination, notamment celles basées sur la race et la couleur. Gardons également en mémoire qu’en Afrique du Sud, le régime politique de l’Apartheid a perduré pendant 43 ans, prenant fin sous le mandat du Président De Klerk. Ce régime a été en place de 1948 à 1991 et imposait explicitement la ségrégation raciale ainsi que la domination d’un groupe racial sur un autre, en l’occurrence la domination des Blancs sur les Noirs. Et il est bon de se rappeler qu’en France, les femmes ont dû attendre l’ordonnance du 21 avril 1944 pour obtenir le droit de vote, et elles ont pu exercer ce droit pour la première fois au printemps de l’année 1945 lors des élections municipales. Elles ont également dû attendre la loi du 13 juillet 1965 pour obtenir le droit de travailler et d’ouvrir un compte bancaire sans nécessiter l’autorisation de leur mari.
En matière de lutte contre les discriminations, de nombreuses victoires ont été remportées, mais il reste encore beaucoup à faire à l’échelle mondiale. Et en cela, le wokisme à sa naissance, a apporté sa contribution et c’est la raison pour laquelle il a gagné un certain capital de sympathie auprès des opinions publiques. Le problème est que ce mouvement a progressivement dérivé vers une autre dimension, restant méconnue du grand public à ce jour. Et cette méconnaissance fait le lit du wokisme car les wokes communiquent en utilisant des arguments à la fois séduisants et fallacieux tels que la lutte contre le racisme et les discriminations. La dérive de ce mouvement réside dans sa radicalité et son extrémisme. Il s’articule autour du concept de déconstruction, attribuable à des philosophes français dans les années 60 et 70. C’est ce que nous verrons dans mon prochain article.