La Russie au même titre que la Turquie mène depuis plusieurs années une offensive diplomatique en Libye pour y supplanter les puissances occidentales.
La Libye attire toutes les convoitises car elle dispose d’importantes réserves de pétrole – soit la bagatelle de 41 milliards de barils, lesquelles sont principalement situées dans le sud du pays.
Parallèlement, la Libye possède, au large de ses côtes, des réserves de gaz naturel off-shore, découvertes depuis une dizaine d’années dans toute la Méditerranée orientale
Pour Ankara, il s’agit d’étendre durablement son assise sur le territoire libyen et de raviver des contrats qui représentaient environ 18 milliards d’euros avant l’élimination de Mouammar Kadhafi.
Son empreinte en Libye est ainsi clairement liée à ses ambitions maritimes et de prospections offshores en Méditerranée, faisant de toute une zone méditerranéenne un continuum turc qui aurait également pour avantage d’isoler encore plus Chypre…
En outre, la Turquie pourrait s’affirmer alors comme une puissance régionale de poids vis-à-vis des autres puissances sunnites concurrentes, développant en Afrique du Nord son modèle d’Islam politique déjà véhiculé en partie par la mouvance des frères musulmans.
La Libye est donc indirectement un vecteur de tensions stratégiques en Méditerranée.
Pour Moscou, la Libye est un client de choix pour les produits traditionnels vendus par Moscou. Indique Alexis Feertchak dans le Figaro. «Il y a bien sûr l’armement. Le marché est estimé entre 5 et 10 milliards, mais la Russie est aussi une grande puissance agricole, notamment céréalière. Elle a besoin de nouveaux marchés pour écouler son blé», précise Igor Delanoë le Directeur-adjoint de l’Observatoire Franco- Russe, qui rappelle que, sous Kadhafi, «un projet de train à grande vitesse entre Syrte et Benghazi avait même été envisagé».
En outre, la Libye pourrait «former un avant-poste russe sur le front méditerranéen de l’Otan», envisager de disposer d’installations navales dans ce pays pourrait aussi être avantageux, y compris comme tête de pont vers le reste du continent africain, où l’implication sécuritaire de Moscou s’accroît», indique Igor Delanoë.
De plus , on ne saurait occulter que ce pays du Maghreb est l’un des principaux points de transit migratoire vers les pays européens. On l’aura compris, contrôler la Libye est synonyme de moyen de pression sur l’Europe.
Mais si la Turquie et la Russie et dans une moindre mesure la France et l’Italie ont marqué de leurs empreintes en Libye, les Etats-Unis ont contre toute attente, dorénavant la ferme intention de jouer un rôle décisif dans ce pays et dans la région.
De fait, les États-Unis redoublent désormais d’efforts afin de limiter l’influence russe en Libye, en faisant notamment pression sur les acteurs locaux et régionaux afin qu’ils rompent avec le groupe Wagner. La guerre en cours au Soudan ne fait qu’accroître la crainte américaine d’une intervention de Moscou depuis la Libye voisine.
Au cours des 12 années qui ont suivi l’assassinat de Mouammar Kadhafi et l’effondrement de l’État, Washington est demeuré à l’écart de tout engagement direct dans la guerre civile libyenne.
La visite de 24 heures du directeur de la CIA, William Burns, en janvier 2023, est une indication de la nécessité – plutôt que du désir – de se réengager. Tout comme de la visite de l’envoyé spécial américain Richard Norland en mai 2023 qui en disait long sur« l’intérêt commun de la Libye et des États-Unis pour obtenir un cessez-le-feu au Soudan », souligne Khaled Mahmoud dans les colonnes d’Orient XXI dans son article : « Les États-Unis en Libye. Contenir la présence russe à tout prix » publié le 8 juin 2023.
Dans la même veine, sur X, la sous-secrétaire d’État américaine aux affaires du Proche-Orient Barbara Leaf a souligné auprès du commandant de l’Armée nationale libyenne, le maréchal Khalifa Haftar, ce qu’elle a décrit comme « la nécessité urgente d’empêcher les parties extérieures, y compris le groupe russe Wagner soutenu par le Kremlin, de déstabiliser davantage la Libye ou ses voisins, y compris le Soudan… »
La raison la plus immédiate réside assurément dans la volonté de freiner l’influence croissante de Moscou à la fois parmi les factions belligérantes en Libye et plus largement dans la région où la crise au Soudan a été aspirée dans le vortex plus vaste de violence et d’instabilité régionale.
Dans ce contexte, Hany Khallaf, ancien ambassadeur égyptien en Libye, estime que les Américains, qui contrôlent à distance les affaires libyennes, cherchent à se substituer à toute autre partie internationale afin de peser sur l’avenir de la Libye.
L’objectif étant de rivaliser avec d’autres pays comme la Russie, la France et l’Italie avec fort de leur présence militaire et économique.
Du reste, le General Mohamed Abdel Wahed, un expert en sécurité égyptien l’annonce tout de go : «Washington entend bel et bien maintenir la présence américaine dans la durée dans la région et ne pas laisser l’arène vide à la Russie que ce soit directement ou par l’intermédiaire de Wagner, à la lumière d’une stratégie américaine visant à expulser les Russes de Syrie, de Libye et de la région du Sahel…à l’aune de la guerre en Ukraine, et sa forte présence dans la région du Sahel et sa contribution à l’expulsion des forces françaises dans le Sahel » Or comme chacun le sait, Washington a bien défié Paris au Niger…
La Libye est minée par les divisions depuis l’élimination de Mouammar Kadhafi en 2011. Ce Pays est gouverné par deux administrations rivales : l’une à Tripoli, dans l’Ouest, dirigée par Abdel Hamid Dbeibah et reconnu par les Nations Unies, l’autre dans l’Est, incarnée par le Parlement et affiliée au camp de Khalifa Haftar.
La Russie entretient des relations étroites avec le maréchal Haftar, qui avait eu recours à des mercenaires du groupe paramilitaire russe Wagner dans sa tentative ratée de s’emparer de la capitale Tripoli, d’avril 2019 à juin 2020. Cet échec avait été suivi en octobre 2020 d’un accord de cessez-le-feu, dont le respect est supervisé par une commission militaire composée de cinq officiers de chaque camp.
Moscou mène depuis plusieurs années une offensive diplomatique en Afrique pour y supplanter les puissances occidentales traditionnelles. Elle a décuplé ses efforts depuis le début de « l’opération spéciale » en Ukraine, en février 2022.
Alors que les États-Unis et la Russie se disputent une plus grande influence respective en Afrique, Moscou cherche à accéder pour ses navires de guerre à un port méditerranéen en Libye, ce qui pourrait étendre sa présence navale dans l’arrière-cour de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.
De hauts responsables russes, dont le vice-ministre de la Défense Yunus-Bek Yevkurov, ont rencontré le chef de guerre libyen Khalifa Haftar ces dernières semaines pour discuter des droits d’amarrage à long terme dans les zones qu’il contrôle dans l’est du pays déchiré par la guerre. Les Russes ont demandé l’accès aux ports de Benghazi ou de Tobrouk, ont indiqué les responsables et conseillers libyens, tous deux situés à moins de 400 milles de la Grèce et de l’Italie.
Les pourparlers avec Haftar sur l’accès au port surviennent alors que le Kremlin cherche à accroitre son influence en Afrique et à déjouer les manœuvres des États-Unis, qui font pression sur les États africains pour qu’ils rejoignent l’alliance occidentale afin d’isoler la Russie suite à son « opération spéciale » en Ukraine.
On l’aura compris, les Etats-Unis qui défient la Russie en Ukraine sont désormais résolus à lutter contre Moscou partout, et particulièrement dans l’arrière-cour de l’OTAN à savoir en Libye.