La diplomatie chinoise a reçu les ministres des Affaires étrangères de l’Arabie saoudite, de l’Indonésie, de l’Égypte, de la Palestine, de la Jordanie ainsi que le secrétaire général de l’Organisation de la coopération islamique. Pékin insiste sur l’urgence d’un cessez-le-feu et d’une solution à deux États. La Chine est de plus en plus active au Moyen-Orient et entend de plus en plus se poser en médiatrice de l’épineux dossier israélo-palestinien
La Chine a reçu le 20 novembre plusieurs chefs de la diplomatie de pays arabes et islamiques pour évoquer la situation à Gaza et tenter de faire pression pour imposer un cessez-le-feu. Le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi s’est entretenu avec ses homologues étrangers, le prince Faisal bin Farhan Al Saoud (Arabie saoudite), Ayman Safadi (Jordanie), Sameh Shoukry (Égypte), Retno Marsudi (Indonésie), Riyad Al-Maliki (Palestine) ainsi qu’avec le secrétaire général de l’Organisation de la coopération islamique Hissein Brahim Taha, a fait savoir son administration.
La diplomatie chinoise a tenu à réaffirmer son engagement pour « l’équité et la justice dans ce conflit » en promouvant « une désescalade », «la protection des civils » et « l’expansion de l’aide humanitaire ». Pékin a d’ailleurs de nouveau insisté sur «la solution à deux États » et « une résolution rapide de la question palestinienne ».
La Chine s’est déclarée prête à collaborer avec ses partenaires arabes et islamiques pour « mettre fin au conflit à Gaza ». Pékin et les différentes délégations ont d’ailleurs « appelé la communauté internationale à prendre des actions responsables » afin d’arriver à « un cessez-le-feu immédiat » et à «la fin du conflit ». Les pays arabes et islamiques présents en Chine ont insisté sur l’importance du soutien de Pékin « pour éviter la propagation de la crise, relancer le processus des pourparlers de paix » et empêcher « la reproduction du cycle vicieux de réponse à la violence par la violence ».
La diplomatie chinoise prend le contre-pied de la diplomatie américaine
Cet intérêt pour la question palestinienne s’est également vu en juin dernier. Recevant sur ses terres, du 13 au 16 juin, le chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, Xi Jinping n’a pas manqué de rappeler le soutien chinois à la cause palestinienne. « La solution fondamentale à la question palestinienne réside dans la création d’un État palestinien indépendant basé sur les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale », a insisté le président chinois, tout en se disant prêt à jouer les intermédiaires pour promouvoir des pourparlers de paix avec Israël.
À l’aune du désengagement américain au Moyen-Orient, la Chine tente de combler un vide existant. En effet, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la région était en quelque sorte chasse gardée de Washington jusqu’au Printemps arabe. Sur la question israélo-palestinienne, la Chine applique une diplomatie de jade. Elle ne cherche ni à forcer des portes, ni à imposer un cadre particulier, il y a une forme de pragmatisme en jouant un rôle de facilitateur. A la différence des États-Unis, la diplomatie chinoise n’a pas vocation à être partisane de tel ou tel pays. La Chine avait déjà proposé de servir de médiateur entre Israël et la Palestine dans le passé. Au cours des affrontements entre Gaza et Israël, en mai 2021, à la suite des tensions à Jérusalem, Pékin avait présenté une proposition de paix en 4 points : cessez-le-feu immédiat, aide humanitaire d’urgence, obligation d’un soutien international et retour aux pourparlers de paix avec une solution à deux États. C’est la proposition égyptienne qui avait finalement été retenue pour mettre fin aux hostilités.
La Chine s’était également opposée au transfert de l’ambassade américaine dans la ville de Jérusalem en décembre 2017. La diplomatie chinoise avait tenté de jouer les intermédiaires en réunissant des délégations palestinienne et israélienne en juillet 2017. À la suite de cette réunion, une déclaration non contraignante avait été publiée pour promouvoir un État palestinien à l’intérieur des frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale, geler la construction et l’expansion des colonies, soutenir les forces modérées pour pacifier les relations et encourager la communauté internationale de relancer le processus de paix.
Pékin armait l’OLP
Pourtant, la diplomatie chinoise est dans un premier temps plus erratique. Dès l’avènement de la République populaire en 1949, Pékin adopte une politique favorable à l’égard de l’État hébreu. Israël est en effet le premier État du Moyen-Orient à reconnaître la Chine en 1950. Mais très rapidement, sous l’impulsion de son ministre des Affaires étrangères Zhou Enlai, Mao Zedong prend fait et cause pour le non-alignement et les mouvements de libération nationale, dont l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) de Yasser Arafat. D’ailleurs, le leader palestinien effectue en 1964 sa première visite secrète à Pékin pour demander un soutien politique et militaire. Le grand timonier reprend même à son compte le narratif arabe sur Israël. Lors d’un discours en 1965, il déclare : « Israël et Taïwan sont des bases opérationnelles de l’impérialisme en Asie : ils ont créé Israël contre les Arabes, et Taïwan contre nous ». D’après la revue scientifique Politique Étrangère, jusqu’en 1973, la Chine est la seule grande puissance à armer les Fedayins – les résistants palestiniens.
À la mort de Mao en 1976, Pékin délaisse peu à peu sa politique révolutionnaire et idéologique pour laisser place à une forme de realpolitik. Après la normalisation des relations avec les États-Unis en 1979, la Chine propose en 1984 et 1989 une conférence internationale pour résoudre le conflit israélo-palestinien. D’ailleurs, en 1988, la diplomatie chinoise soutient la décision de l’OLP d’accepter une solution à deux États.
Le renouveau des relations sino-israéliennes est le fait de Saul Eisenberg, l’un des piliers de la communauté juive de Shanghai. Ayant fui l’Allemagne nazie avant la seconde guerre mondiale, cet homme d’affaires s’installe en Asie et tisse des liens avec des industriels japonais et chinois. Il gravite dans les réseaux des industriels de l’armement et tisse des liens politiques avec Pékin. En 1979, c’est lui qui accompagne une délégation israélienne en Chine pour initier une coopération militaire. Acteur de l’ombre, il a ainsi facilité le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays en 1992. Mais, à la fin de la guerre froide, le transfert des armes d’Israël vers la Chine inquiète Washington. En 1999, un rapport du gouvernement américain s’alarme plus particulièrement de l’envoi par l’État hébreu d’armes de fabrication américaine (guidage de missile et avionique). Face aux mécontentements des États-Unis, les autorités israéliennes sont sommées d’annuler un contrat portant sur la vente de 4 avions d’alerte avancée Phalcon. Israël est obligé de verser 350 millions de dollars d’indemnités à Pékin.
La Chine premier fournisseur d’Israël
Dès l’entrée de la Chine dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2001, les relations bilatérales vont se décupler. Les échanges connaissent une progression constante et régulière, passant de 50 millions de dollars en 1992 à près de 17 milliards en 2022, selon les chiffres de la direction générale du Trésor. Pékin est le premier fournisseur d’Israël avec 12,2%. Suivent les États-Unis avec 9,9%.
Le lancement des nouvelles routes de la soie en 2013 est l’armature de la diplomatie chinoise, Pékin pense avant toute chose à la pérennité de ce projet. Ce plan pharaonique vise à relier la Chine à l’Europe via des routes terrestres et maritimes qui transitent par le Moyen-Orient. C’est ainsi que Xi Jinping va se concentrer sur les infrastructures ferroviaires et portuaires de la zone. En 2014, l’opérateur China Harbour obtient l’extension du port d’Ashdod et Shanghai International Port et la concession pour 25 ans du port de Haïfa. De surcroît, des sociétés chinoises envisagent la construction d’une ligne de train à grande vitesse entre Tel-Aviv et Eilat et concurrencent de fait les entreprises européennes et occidentales. Mais une fois de plus, le développement des relations sino-israéliennes préoccupe Washington. Outre la capacité marchande du port d’Haïfa, il est fréquemment utilisé par la 6e flotte de l’US Navy. Les autorités américaines refusent que Pékin assure la gestion d’une infrastructure aussi sensible.
Indépendamment des infrastructures, c’est l’écosystème start-up israélien qui intéresse la Chine. Selon un dossier de la revue Moyen-Orient, Pékin a investi environ 1,5 milliard de dollars sur la période 2013-2018 dans près de 300 entreprises de la tech. Compte tenu des remontrances américaines, Israël a choisi Nokia et Ericsson pour le déploiement de la 5G, et non Huawei. Toutefois, les fleurons industriels chinois ZTE, Lenovo et Alibaba sont bien présents sur le territoire israélien.
Outre les pressions de Washington, les deux pays n’ont pas le même positionnement géopolitique. En effet, depuis plusieurs années, la Chine est devenue le principal partenaire économique de l’Iran, ennemi régional de l’État hébreu. Téhéran et Pékin ont même signé en 2021 un accord de coopération sur 25 ans avec la promesse d’investir plus de 400 milliards de dollars dans l’économie iranienne.