Le prince Joachim Charles Napoléon Murat, prince de Pontecorvo, 50 ans, diplômé en droit et de sciences politiques, est dirigeant d’entreprise. Ancien officier de Parachutistes décoré de la croix du Combattant, il est également adhérent du parti bonapartiste l’Appel au Peuple.
La sortie de « Napoléon » le mercredi 22 novembre en France et dans les pays anglo-saxons, par le réalisateur britannico-américain Ridley Scott, avec Joaquin Phoenix dans le rôle- titre, est l’occasion d’un échange exclusif pour Le Dialogue avec le prince Joachim Murat sur le 28e long métrage de l’iconique et facétieux réalisateur de 86 ans. Cette libre adaptation de la vie de l’empereur, financée par un solide budget d’Apple, à hauteur de 200 millions de dollars (source officielle), a été décriée par la presse française et la majorité des historiens mais applaudie par le public lors de sa première projection.
Il était intéressant de savoir ce qu’avait pensé de cette nouvelle fiction, le descendant, à la septième génération, du maréchal Joachim Murat (1767-1815), grand-duc de Berg puis roi de Naples, et de son épouse Caroline Bonaparte (1782-1839), sœur de l’empereur Napoléon Ier.
Propos recueillis par Angélique Bouchard
Le Dialogue : Tout d’abord, le Napoléon de Ridley Scott est-il pour vous une réussite ? Est-ce qu’il vous a plu ou non ?
Prince Joachim Murat : En préambule, n’oubliez pas que mon point de vue n’est pas très objectif. Quand on parle de l’Empereur on parle de ma famille. Donc, très honnêtement ce film, dans l’ensemble, ne m’a pas plu. En dehors des libertés prises avec les faits historiques c’est l’atmosphère générale du film qui m’a surpris. Alors que l’Empire, quoiqu’on puisse en penser, est une période flamboyante et débordant d’énergie et de jeunesse, ce film est crépusculaire. Tout est filmé dans une lumière froide, pratiquement toutes les scènes sont tournées en automne, dans la brume et sans feuille sur les arbres jusque pendant les 100 jours qui se sont pourtant déroulés au printemps 1815. Très peu d’acteurs jeunes, alors que toute l’épopée impériale a été faite par des jeunes de 25 à 40 ans. Bonaparte est incarné dès ses débuts par un Joaquin Phoenix âgé de 50 ans, essoufflé et le teint grisâtre. Ce film est, dans l’ensemble, très sombre.
Quoiqu’il en soit, visuellement c’est spectaculaire, les scènes d’action sont formidables donc ne boudons pas notre plaisir, c’est du grand spectacle. Finalement le plus important à mon sens c’est que l’on a avec ce film une nouvelle vision sur l’Empereur Napoléon Ier. C’est une vision que je ne partage pas, mais elle n’enrichit pas moins la réflexion sur Napoléon et son époque.
Comme souvent dans la filmographie historique de Ridley Scott, relevez-vous, comme de nombreux historiens français spécialistes de l’Empire, « les erreurs historiques et les partis pris wokistes » de Ridley Scott ? Ces critiques sont-elles fondées et est-ce au final un film très « antifrançais » ?
Les erreurs historiques sont tellement nombreuses qu’on ne peut plus parler d’erreurs. C’est un choix artistique du réalisateur de réécrire l’Histoire pour qu’elle corresponde à l’image qu’il veut donner de Napoléon et de Joséphine. C’est aussi une série de raccourcis et d’inventions pour faire tenir toute l’épopée impériale dans un film de deux heures et demie. Après tout pourquoi pas, Ridley Scott n’a jamais prétendu faire œuvre d’historien. La plus étonnante liberté prise avec la vérité historique c’est Bonaparte qui fait tirer au canon sur les pyramides. C’est absolument faux évidemment. Et Ridley Scott a expliqué que c’est une allégorie pour montrer que Bonaparte n’avait rencontré aucune difficulté à vaincre les Ottomans. D’après le film, Napoléon quitte l’Égypte pour retrouver Joséphine dont il croit qu’elle a un amant et il fuit l’Île d’Elbe également pour récupérer Joséphine. Ainsi toutes les décisions de Napoléon aurait été dictées par sa passion pour Joséphine. C’est très romantique comme vision mais c’est historiquement complétement faux. Plus gênant, il donne à Laetitia, mère de Napoléon, le rôle d’une maquerelle castratrice qui met une très jeune fille dans le lit de Napoléon pour lui prouver qu’il peut avoir un fils. L’histoire est vraie mais Laetitia n’a rien à voir là-dedans et cela salit inutilement l’image de la mère de l’Empereur. Le projet artistique du film semble être d’humaniser Napoléon en focalisant sur les faiblesses de l’Empereur dans sa relation amoureuse avec Joséphine. Finalement on découvre un Napoléon sous l’emprise d’une mère abusive et un homme brutal avec une Joséphine dont il est amoureux comme un petit garçon malhabile, pataud et peureux. C’est le choix de Ridley Scott. Joaquin Phoenix incarne un Napoléon maladroit, infantile, cruel, indécis, faible et influençable. C’est effectivement l’image d’un homme amoureux fou, mais ce comportement se retrouve dans toutes les scènes du film ce qui finalement n’humanise pas Napoléon, ça le ridiculise.
Sur le parti pris wokiste, compte tenu que c’est un film Apple, je l’ai trouvé plutôt modéré. Oui le film conclu par le bilan (inexact numériquement d’ailleurs) du nombre de morts causés par Napoléon. Mais finalement c’est surtout le fait de ridiculiser la personne de l’Empereur en accentuant sa « masculinité toxique » et ses caprices de petits garçons qui semble la vraie concession wokiste.
Ridley Scott, fidèle à la vision anglo-saxonne, considère que « Napoléon était à la fois un leader, un guerrier, un politicien mais également un dictateur ». Qu’en pensez-vous ?
Tout le monde est d’accord, Napoléon est un formidable leader, guerrier et politicien. Prétendre le contraire serait ridicule. Malheureusement ces aspects sont très peu mis en avant dans le film. Pour ce qui est du dictateur c’est une exagération. Bien sûr l’Empire est autoritaire mais chacune des décisions de Napoléon tout au long de son règne a été validée par le corps législatif et les représentants élus du peuple (Sénat, Tribunat, Conseil d’État). Napoléon fera régulièrement des plébiscites auprès du peuple français, qu’il gagne à chaque fois et il sera destitué par le Sénat. C’est donc un État fort et autoritaire mais il est impossible de parler de dictature. C’est factuellement faux.
Si la fin du film insiste sur le nombre de soldats morts sous le commandement de l’empereur, Ridley Scott met en lumière le Napoléon amoureux. Le réalisateur se dit « fasciné par ce talon d’Achille que représentait pour lui on épouse, Joséphine ». Est-ce elle, au final, la véritable héroïne de ce film ?
Vous avez raison l’intention du film est de centrer toute l’attention sur la relation amoureuse de Joséphine et de Napoléon. D’expliquer à travers ce prisme toute la personnalité de l’Empereur et toute l’histoire de l’Empire. Ce serait finalement cet amour de Napoléon qui lui permet tous ses succès mais le conduit également à sa perte. Vous avez compris que je ne partage pas du tout ce point de vue.
Joséphine est un peu fade dans le film malheureusement, donc même si l’intention était d’en faire l’héroïne c’est raté. Je crois plutôt que c’est la relation amoureuse très contrariée entre Napoléon et Joséphine qui est le vrai héros du film. C’est un drame amoureux sur fond d’épopée impériale.
Il y a 10 400 livres qui ont été écrits sur l’empereur depuis sa mort, soit un livre par semaine depuis 1821. Napoléon est le plus célèbre des Français et a clairement fasciné le monde. Selon vous, pourquoi ?
Précisément pour tout ce qui n’apparait pas dans le fim de Ridley Scott : l’explosion d’énergie, le panache, la gloire militaire sans précédent, les victoires impensables, la galerie de personnages et de figures héroïques, le génie légal, le génie organisateur, le génie artistique de l’époque, la destinée quasi messianique de Napoléon, le vent d’émancipation et de liberté, l’épopée, l’aventure, la fougue, les possibilités infinies offertes à chacun sous l’Empire, en un mot : la Grandeur.
La presse et les historiens français accusent Ridley Scott d’avoir fait un film sur un anti-héros : la caricature d’un ambitieux, d’un ogre corse, rustre et renfrogné. Est-ce selon vous l’image que retiendront les spectateurs néophytes ou avertis ? Ou au contraire, au-delà des critiques et des erreurs historiques, comme avec le film Braveheart de Mel Gibson, sorti en 1995 et qui avait fait bondir les scores du parti nationaliste écossais, ne pensez-vous pas que le film épique et « grand spectacle » Napoléon, puisse revigorer le souverainisme et le patriotisme français dans l’ambiance plus que morose de la France actuelle ?
Manifestement Ridley Scott réalise le un film avec la vision anglaise de Napoléon, la légende noire du bandit corse (à la fin du film il meurt comme Don Corleone dans le parrain, le parallèle n’est pas d’une grande subtilité), un usurpateur aux mauvaises manières, très mal élevé et rustre. Il en rajoute même sur la prétendue petite taille de Napoléon (la scène de la momie en Égypte) alors que Napoléon est dans la moyenne des tailles de l’époque et que sa petitesse est une invention de la propagande anglaise qui perdure encore aujourd’hui jusqu’au cinéma.
Quel sera le destin de ce film et quel sera son impact sur le grand public, bien malin qui pourrait le dire. Honnêtement je n’en ai pas la moindre idée. A la sortie du film la moitié de la salle l’a trouvé formidable, donnant une image humaine et sympathique de l’Empereur et tous très émus par sa relation avec Joséphine, l’autre moitié de la salle avait eu l’impression d’assister à une parodie mal jouée.
Si la France actuelle a effectivement besoin de patriotisme, de fierté et de souverainisme je suis totalement incapable de vous dire si ce film inspirera ces sentiments ou au contraire abimera un peu plus l’image que la France a d’elle-même.
Diriez-vous comme Ridley Scott que « les français ne s’aiment pas » ?
Depuis la présidence Chirac et les lois Taubira, la France patauge dans la repentance, l’autoflagellation et le sentiment de culpabilité. Les déconstructeurs de l’idée de Nation jouent très habilement sur la fibre profondément catholique du pays pour lui infliger le poids infini du nouveau péché originel inexcusable : la colonisation. Donc, oui, depuis maintenant plusieurs décennies on apprend aux français à ne pas s’aimer. Manifestement ça a marché. Sauf précisément dans le cas des critiques contre le film de Ridley Scott. Là, les publications de droite comme de gauche sont toutes à peu près d’accord : Ridley Scott frise le ridicule dans sa caricature de l’ogre impérial. Le film présente la France de la Révolution et de l’Empire comme un épisode malheureux d’un pays aux mains d’un peuple, d’une horde de canailles sanguinaires et mal élevées auquel miraculeusement le très distingué Duc de Wellington va rapporter un peu de dignité en mettant fin à cette malheureuse parenthèse plébéienne et grossière. Il semble, d’après les réactions des critiques et des premiers spectateurs français, que c’est pousser un peu loin le dénigrement historique.
Effectivement les Français ne s’aiment pas, mais je ne crois pas non plus que le film de Ridley Scott soit un témoignage d’amour à l’Histoire de France.
Diplômée de la Business School de La Rochelle (Excelia – Bachelor Communication et Stratégies Digitales) et du CELSA – Sorbonne Université, Angélique Bouchard, 25 ans, est titulaire d’un Master 2 de recherche, spécialisation « Géopolitique des médias ». Elle est journaliste indépendante et travaille pour de nombreux médias. Elle est en charge des grands entretiens pour Le Dialogue.