Julien Aubert
Que celui qui a compris la position de la France au Proche-Orient lève le doigt. En effet, en moins d’un mois, le président français aura réussi le tour de force de coller simultanément aux positions irréconciliables de l’Occident puis du monde arabe, en tentant de masquer ce suivisme par des initiatives politiques totalement décousues et accueillies avec scepticisme.
Si nous étions en décembre, j’aurais pu dire que c’était un véritable calendrier de l’Avent. Chaque jour, nous avons découvert une nouvelle surprise dans le calendrier diplomatique du Président de la République. Pour plagier Forrest Gump, la politique diplomatique de Macron c’est comme une boite de chocolats : on ne sait jamais sur quoi on va tomber.
Récapitulons le film.
Le Président Macron s’est déplacé en Israël les 24 et 25 octobre 2023, plus de quinze jours après les attentats, et surtout après tous les responsables occidentaux : Von der Leyen (13 octobre), Scholtz (17 octobre), Biden (18 octobre), Sunak (19 octobre).
La position française n’a alors pas brillé par son originalité avec « un soutien univoque » à Israël, aligné sur le « soutien total » des Américains. En phase avec le reste des pays occidentaux, le président Macron a plaidé pour le droit à la défense de l’État juif. Sans remettre en cause le danger que représente le Hamas pour la paix, la difficulté est qu’il ne s’agissait dans le cas d’espèce, plusieurs semaines après le 7 octobre, non pas un droit de légitime défense mais plutôt des représailles. Or, si la première est légale en droit, la seconde est plus difficile à manier. Cela n’a effleuré personne, et compte-tenu des atrocités commises, cette entorse peut s’expliquer.
Reste qu’Emmanuel Macron n’a pas eu la subtilité des Etats-Unis qui, derrière une position de principe de soutien total à Israël, ont fait savoir qu’ils avaient clairement expliqué à Netanyahou ce qu’ils tolèreraient ou pas comme acte de représailles. L’État hébreu a ainsi retardé la mise à feu de son opération pour permettre l’évacuation d’une partie de la population.
Il n’a pas non plus imité Scholz qui avait fait le choix d’insister sur l’aide humanitaire et sur les otages, qui devaient selon lui être libérés sans condition. Emmanuel Macron n’a du reste pas trouvé un moment pour organiser une cérémonie nationale pour les français morts en Israël. La question des otages a été présentée comme un axe de négociation, alors qu’à mon sens, il s’agissait d’un préalable.
Conscient qu’il ne faisait finalement que marcher dans les pas de Joe Biden, Macron a néanmoins tenté de se singulariser en lançant le 24 octobre une initiative politique qui est tombée totalement à plat : une « coalition internationale contre le Hamas », sur le modèle de la coalition anti-Daesh, en luttant contre le financement du terrorisme ou en faisant du partage d’information.
Cette proposition, non coordonnée avec les Etats-Unis, et non-validée par le Quai, avait tout pour hérisser des pays arabes qui considèrent le Hamas comme un mouvement de résistance, contrairement â Daesh, contre lequel ils combattent. Macron a dû rétropédaler au bout de 24 heures en revenant à quelque chose de plus classique : lutte contre le terrorisme en général, aide humanitaire et reprise de discussions politiques, en vue de relancer la « solution à deux États ».
Désireux de réfuter l’accusation de double standard concernant un hypothétique parti pris israélien, Macron a ensuite promis depuis l’Égypte le 25 octobre une aide humanitaire à la population palestinienne. Cette nouvelle réorientation de la politique française s’est concrétisée par l’envoi d’un navire-hôpital de la marine nationale, le Tonnerre, pour soutenir les hôpitaux de Gaza. La décision a vraisemblablement été improvisée : parti à vide de Toulon et sans matériel médical, on s’est rapidement rendu compte que ledit navire pourrait accueillir 70 lits dont seulement 19 médicalisés. A comparer avec les deux navires-hôpitaux américains du type de l’USNS Mercy capables d’accueillir mille patients chacun, et autant de soignants… Un second porte-hélicoptères a été réquisitionné par la suite pour compléter l’offre française.
Par la suite, le 27 octobre, Emmanuel Macron a cherché à se démarquer du reste de l’UE – qui a longuement débattu du sexe des anges avant de demander des pauses pour acheminer l’aide humanitaire – en plaidant pour une « trêve humanitaire » pour relancer un « véritable processus de paix ». La différence de nature entre la « pause » et la « trêve » ne saute pas aux yeux, sinon qu’il ne s’agissait pas de réclamer un cessez-le-feu à Gaza. Or, un cessez-le-feu n’est pas une trêve humanitaire, le premier étant évidemment plus contraignant pour le gouvernement israélien. Cela a paru être pour le monde arabe une forme de soutien à Netanyahou.
Plutôt que de parler de coalition anti-Hamas, la France a aussi annoncé une « coalition humanitaire avec plusieurs pays européens », dont Chypre et la Grèce, une nouvelle surprise de notre calendrier de l’Avent.
Pour le Quai d’Orsay, qui aime incarner le temps long et déteste les foucades du politique, la position du président Macron est trop favorable à Israël. Plusieurs manifestations ont éclaté devant les ambassades françaises de Tunisie, Iran et Liban.
Une dizaine de diplomates a ainsi rédigé une note commune, dans laquelle ils regrettent le virage pro israélien du chef de l’État depuis les massacres du Hamas en Israël le 7 octobre. Surtout, ils l’ont fait savoir puisque l’information est parue dans la presse. En parallèle, un vent de fronde similaire s’est levé au sein du Département d’État américain, des diplomates demandant que Joe Biden plaide pour un cessez-le-feu.
Derrière ce désaveu, il y a six années de mépris de l’Élysée pour son personnel diplomatique, couronné par une réforme administrative qui a tout simplement supprimé le corps diplomatique pour le fondre dans le corps des administrateurs généraux de l’État, et une certaine propension du président Jupitérien à innover tout seul dans son coin. Ainsi, il avait déjà fait preuve d’une inventivité certaine lors son voyage au Liban, en août 2020, après l’explosion dans le port de Beyrouth, en présentant un plan pour régler la crise politique basé sur… la suppression du confessionnalisme.
D’après mes informations, l’idée de la coalition anti-Hamas a été poussée dans l’avion par un ambassadeur proche du président qui l’a immédiatement avalisée sans concertation préalable.
Suite à l’admonestation d’une administration pourtant réputée pour son flegme, le président Macron a changé de cap en direct à la BBC le 10 novembre et s’est aligné sur les chancelleries turque et arabes. Macron a critiqué avec une sévérité nouvelles les frappes israéliennes contre la population civile de Gaza. Il a déclaré « de facto, aujourd’hui, des civils sont bombardés. Ces bébés, ces femmes, ces personnes âgées sont bombardées et tuées. ». Il a lors affirmé qu’il n’y avait « aucune justification » et « aucune légitimité à cela. Nous exhortons donc Israël à arrêter ». Ce revirement à 180 degrés par rapport au « soutien univoque » a évidemment provoqué une réaction forte à Tel-Aviv, obligeant le président Macron à appeler son homologue israélien, Isaac Herzog, pour expliciter sa position.
Il a surtout créé une discordance avec l’Allemagne qui, le 12 novembre, n’a pas hésité à désavouer le président français en refusant tout cessez-le-feu immédiat afin d’éviter, selon les mots d’Olaf Scholtz, « qu’Israël laisse au Hamas la possibilité de récupérer et de se procurer de nouveaux missiles ».
Au final, faute d’avoir défini s’il voulait être le meilleur allié d’Israël face au défi terroriste, en assumant que la destruction du Hamas causerait des pertes civiles effroyables, ou le défenseur de la cause palestinienne en appelant au respect du droit international, Emmanuel Macron aura réussi le tour de force de n’être compris, écouté et soutenu par personne.
Blaise Pascal avait raison : il ne faut pas le bruit d’un canon pour empêcher ses pensées. Il ne faut que le bruit d’une girouette.