Le prince Faisal Bin Farhan Al Soud, en 2023. Creative Comons (Wikipedia)
Indépendamment du conflit entre le Hamas et l’armée israélienne à Gaza, l’Arabie saoudite n’a pas abandonné l’idée de normaliser ses relations avec Israël. Sous la houlette du prince héritier Mohammed ben Salmane, et avec la médiation américaine, Riyad entend arriver à un accord de paix. Une normalisation qui est toutefois conditionnée à la création d’un État palestinien indépendant.
Le 16 janvier, au sommet économique de Davos en Suisse, une phrase du chef de la diplomatie saoudienne le prince Faisal Bin Farhan n’est pas passé inaperçue. Le ministre saoudien des Affaires étrangères a appelé à un cessez-le-feu immédiat dans la guerre entre Israël et le Hamas, tout en notant que l’Arabie saoudite serait « certainement » intéressée par un accord de normalisation avec Israël lié à une solution à deux États. Le diplomate a d’ailleurs précisé que Riyad était d’accord sur le fait que « la paix régionale signifie la paix pour Israël », mais que « cela ne peut se produire qu’avec un État palestinien ». Des propos qui font écho à ceux de l’ambassadeur saoudien au Royaume-Uni le 9 janvier dernier. Sur les ondes de la BBC, le prince Khalid ben Bandar a indiqué « nous croyons toujours – après le 7 octobre – à la normalisation », tout en condamnant ouvertement les actions de l’armée israélienne à Gaza.
« Sans concession israélienne sur le dossier palestinien, sur le gel de la colonisation, la normalisation risque d’être caduque », pense Umar Karim, chercheur à l’université de Birmingham, en ajoutant « Riyad ne peut pas se permettre de pacifier ses relations avec Israël sans contrepartie pour les Palestiniens, l’opinion arabo-musulmane reste très sensible à cette question », et l’Arabie saoudite l’a bien compris. En effet, selon un sondage du Washington Institute for Near East Policy publié en décembre dernier, 96% des Saoudiens sont favorables à une rupture complète des relations économiques et diplomatiques avec Israël.
L’administration Biden à la quête d’une victoire diplomatique au Moyen-Orient
Malgré une rue arabe profondément opposée à l’Etat hébreu, pour arriver à un cessez-le-feu à Gaza et permettre la libération de tous les otages israéliens, les États du Golfe seraient, selon un article du Financial Times paru le 18 janvier, prêts à négocier une normalisation complète avec Israël en contrepartie de mesures « irréversibles » vers la création d’un État palestinien. Un haut diplomate arabe cité a fait part de son souhait d’arriver à un accord dans les prochaines semaines pour éviter un embrasement à l’échelle régionale.
Dans cette épineuse équation israélo-palestinienne, les pétromonarchies peuvent compter sur la médiation de Washington. Le spécialiste du Golfe explique que « l’administration Biden cherche une victoire en politique étrangère avant le début de la campagne présidentielle au printemps prochain ». Lors de son passage en Israël le 9 janvier, le secrétaire d’État Antony Blinken avait signalé à ses interlocuteurs que l’Arabie saoudite était prête à normaliser ses relations après la fin de la guerre à Gaza, mais exigeait en retour un engagement de la part du gouvernement israélien sur le principe d’une solution à deux États, selon le média Axios. En discussion avant l’attaque du Hamas du 7 octobre, un accord avec Riyad permettait aux États-Unis et Israël d’obtenir une victoire diplomatique de taille et de renforcer le front anti-iranien dans la région, tandis que le royaume saoudien comptait dessus pour en tirer des garanties sécuritaires américaines et une aide pour développer son programme nucléaire civil.
« L’intérêt existe (côté saoudien), il est réel et il pourrait être transformateur », a déclaré le chef de la diplomatie américaine Anthony Blinken après sa rencontre le 8 janvier avec le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane (MBS). En effet, avant le conflit déclenché par l’attaque sanglante du Hamas contre l’État hébreu le 7 octobre, dans une rare interview accordée le 20 septembre à la chaîne américaine Fox News, Mohamed ben Salmane (MBS) avait déclaré au sujet de la normalisation avec Israël : « Nous nous en approchons chaque jour ». Les deux pays, bien que n’ayant pas de relations diplomatiques officielles, montraient alors des signes d’ouverture.
Le 2 octobre, afin de participer au congrès 2023 de l’Union postale universelle, le ministre israélien des Communications Shlomo Karhi avait fait le déplacement en Arabie saoudite. Quelques jours plus tôt, le 26 septembre, présent afin d’assister à Riyad à un événement des Nations unies, son homologue du Tourisme Haïm Katz était devenu le premier ministre israélien à mener une délégation dans le royaume saoudien. Le 10 septembre, dans le cadre d’une réunion de l’Unesco, quatre hauts fonctionnaires israéliens avaient obtenu leur visa pour se rendre à Riyad. Une première depuis la création de l’État hébreu en 1948.
L’obstacle Netanyahu
Le royaume saoudien a de surcroît également accueilli une délégation israélienne pour un tournoi d’e-sport en juillet dernier. Fin août, les autorités saoudiennes ont autorisé l’atterrissage en urgence d’un avion avec à son bord 128 Israéliens à Djeddah, à l’ouest du pays. Enfin, les manuels scolaires de la monarchie n’utilisent plus le vocable « d’ennemi sioniste » pour parler de l’État hébreu. D’ailleurs, selon certaines sources, Benyamin Netanyahu lui-même se serait déjà rendu dans la ville futuriste de Neom au bord de la mer rouge pour y rencontrer le prince héritier saoudien en novembre 2020.
Indépendamment de ses récentes visites officielles et officieuses, les deux pays entretiennent depuis une décennie des liens dans les domaines de la défense, de la technologie, des routes commerciales et de l’espace aérien. Dans le cadre d’une coopération avec les Émirats arabes unis et Bahreïn (les deux pays ont normalisé leurs relations avec l’État hébreu en septembre 2020), l’Arabie saoudite et Israël prévoyaient de mettre en place un programme de défense commun contre la menace des drones, notamment en provenance du Yémen.
De surcroît, l’Arabie saoudite a été un acheteur de Pegasus, le logiciel espion fabriqué par la société israélienne NSO Group et utilisé pour pirater les téléphones d’opposants politiques. Riyad a passé une première commande en 2017 pour un montant de 55 millions de dollars et ce, après une réunion en catimini de responsables de la défense israélienne dans la monarchie saoudienne, nous apprend un rapport du New-York Times. Par ailleurs, une société technologique israélienne, IntuView, a déclaré avoir travaillé avec l’Arabie saoudite pour surveiller les « terroristes potentiels ». L’entreprise a également aidé le pouvoir saoudien à développer sa stratégie économique pour la « Vision 2030 ».
Les deux pays ont également en tête l’idée d’un projet de câble à fibre optique reliant l’Arabie saoudite et Israël. D’une longueur 20 000 km, le câble est connu sous le nom de Trans Europe Asia System et traverserait également les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Qatar et Oman, ainsi que la Jordanie et la Palestine, sur une route entre Marseille et Mumbai. Toujours concernant les questions relatives au transport, un projet ferroviaire d’un montant de 27 milliards de dollarspourrait voir le jour. Benjamin Netanyahou l’avait lui-même indiqué en juillet dernier « à l’avenir (…) nous pourrons également relier Israël par train à l’Arabie saoudite et à la péninsule arabique ».
Outre les intérêts économiques, militaires et commerciaux non négligeables, ce rapprochement avec Israël s’inscrit dans une nouvelle approche régionale de l’Arabie saoudite. Sous la houlette de MBS, la monarchie wahhabite entend pacifier ses relations avec ses anciens ennemis. Au cours des dernières années, Riyad a enterré la hache de guerre avec le Qatar et la Turquie, a repris le chemin de Damas en renouant contact avec Bachar el-Assad, a négocié la paix au Yémen avec les Houthis et a réchauffé ses relations avec son ennemi régional l’Iran. Le prince héritier l’avait lui-même dit en 2018 « le Moyen-Orient est la nouvelle Europe ». Sa conception géopolitique vise à mettre fin aux cycles de tensions et de guerres dans la région et répond de surcroît à des objectifs internes. Depuis le lancement de son plan de développement « Vison 2030 » en 2016, Mohammed ben Salmane entend attirer les investissements étrangers sur son sol, et cela passe nécessairement par une paix à l’échelle régionale, y compris avec l’État hébreu.
Toujours est-il, même si les relations entre les deux pays sont de plus en plus publiques « avec l’attitude de l’actuel gouvernement israélien, le processus de normalisation prendra beaucoup de temps », nous fait savoir un ancien diplomate saoudien aux Nations unis qui a préféré garder l’anonymat. Le chef du Likoud a indiqué à plusieurs reprise son refus d’une solution à deux États. Israël doit « s’assurer que Gaza ne constituera plus une menace » et cette exigence « contredit la demande de souveraineté palestinienne », a expliqué Benyamin Netanyahou lors d’un entretien téléphonique le 19 janvier avec le président américain Joe Biden.