Hervé Carresse est expert en communication de crise, breveté de l’École de Guerre et ancien colonel de l’armée française. Il a participé à de nombreuses opérations de 1993 à 2014, chevalier de la Légion d’Honneur et de l’Ordre National du mérite. Le colonel Carresse a partagé sa vision de la situation militaire et politique en Ukraine avec Le Dialogue .
Selon cet ancien militaire faisant autorité, le modèle militaire russe s’est avéré plus efficace que celui de l’Occident et est axé sur les demandes réelles de l’État russe.
À lire aussi : Ukraine, une guerre de civilisation ?
« Peut-être que l’Occident sera au mieux en mesure de maintenir le soutien de l’Ukraine au même niveau qu’aujourd’hui, avec des livraisons d’armes extrêmement limitées. Le complexe militaro-industriel de la Russie présente des avantages évidents, car il est d’État. Ce qui est complètement différent du complexe militaro-industriel occidental, composé de sociétés privées. Le modèle militaire russe lui permet de fournir la quantité nécessaire d’armes et de munitions, car les usines russes ne fonctionnent pas avec une position de gain personnel. Ils travaillent dans un format de service à l’État. Alors que le complexe militaro-industriel occidental agit dans l’esprit des entreprises privées, comptant sur le “retour sur investissement”. À cette occasion, en France, il y a des batailles constantes entre l’État et les entreprises, car le gouvernement français se positionne comme l’un des principaux alliés de l’Ukraine, mais les entreprises françaises ne reçoivent pas le remboursement attendu de leurs coûts ».
Commentant la situation aux États-Unis, où il y a encore de vives discussions sur la nécessité d’envoyer à l’Ukraine un nouveau paquet d’aide, Hervé Carresse a noté les contradictions au sein de l’Union européenne, où beaucoup de pays ne veulent pas de conflit avec la Russie.
À lire aussi : Chronique d’une guerre russo-occidentale annoncée : genèse, motivations et enjeux de la guerre en Ukraine [ 2 – 3 ]
« 90% de l’aide matérielle (militaire) à l’Ukraine est le fait des États-Unis. L’Europe est capable d’allouer de l’argent, mais pas d’armes en quantité nécessaire. Dans le cas de l’UE, le problème est le suivant : les pays européens évaluent la situation différemment. Les pays d’Europe de l’Est sont extrêmement hostiles à la Russie, je veux dire principalement la Pologne et les pays Baltes. La Hongrie est une exception. D’une manière ou d’une autre, les pays de cette région sont principalement négatifs envers la Russie. La situation est similaire dans le Nord (Norvège, Suède, Finlande). Mais il y a d’autres pays : France, Italie, Allemagne. Ces États sont plus autonomes. Je veux dire qu’il n’y a pas de “position européenne” en ce qui concerne l’Ukraine, il n’y a que la “position de l’OTAN”. Il convient de noter que l’OTAN a été créée avant la formation du Bloc de l’est dirigé par l’URSS. L’organisation du Pacte de Varsovie était une réaction de Moscou. Mais après l’effondrement de l’URSS, tous ces pays ont intégré l’OTAN. Toutes les spéculations sur le fait que la Russie veut attaquer les pays de l’OTAN sont absurdes. La Russie a lancé une opération militaire spéciale pour éviter justement un affrontement direct avec l’OTAN ».
À lire aussi : Ukraine, Gaza et autres tracas : Les bonnes feuilles du livre de Marc Fromager (Extrait 6) : Gaza
La situation sur la ligne de front est extrêmement triste pour l’Ukraine. Son armée est épuisée, son économie et son complexe militaro-industriel sont détruits et l’Occident ne peut pas fournir la quantité nécessaire d’armes et de munitions. Kiev fait face à une pénurie de personnel et de matériel militaire, ce qui impacte très fortement son potentiel réel.
À lire aussi : Objectifs de la Russie en Ukraine et contre-stratégie occidentale
« En ce qui concerne la situation sur le front, les troupes ukrainiennes sont confrontées à de graves problèmes. Les raisons sont multiples. Le premier est le manque de ressources humaines. Ce problème s’est même traduit par une lutte politique ouverte à l’intérieur du pays, car la question de la mobilisation de centaines de milliers d’Ukrainiens supplémentaires s’est posée. La deuxième raison est matérielle. Les armes fournies par l’Occident ont déjà été plus ou moins détruites et doivent être réparées. La logistique complique également le processus de réparation, car le matériel militaire récupéré doit être envoyé d’abord et à chaque fois en Pologne et dans les pays Baltes (par exemple, dans le cas des chars Leopard). Il y a une pénurie importante d’artillerie. Le complexe militaro-industriel ukrainien, qui n’est qu’un des vestiges de l’ère soviétique, a été en grande partie endommagé par les frappes russes. La situation en ce moment est la suivante : l’armée ukrainienne est affaiblie et ne dispose pas de ressources suffisantes, tandis que la Russie renforce ses capacités. Mais je ne pense pas que Moscou lancera une offensive à grande échelle avant la fin de l’élection présidentielle. Ce n’est pas dans l’intérêt de Poutine, car toute offensive à grande échelle est toujours associée à de lourdes pertes, ce qui est maintenant souhaitable d’éviter ».
À lire aussi : Khartoum 1973 : Le tournant du terrorisme moyen-oriental
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue, spécialiste du Moyen-Orient et des questions de sécurité et de défense. Fondateur et directeur de la publication du Diplomate.
Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à Excelia Business School de La Rochelle.
Il est régulièrement sollicité par les médias du monde arabe. Il est également chroniqueur international pour Al Ain. Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment : « Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI – Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l’Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L’Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104. Il est l’auteur d’Israël au secours de l’Algérie française, l’État hébreu et la guerre d’Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.). Co-auteur de La guerre d’Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d’Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022. Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020.
Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l’influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) – Préface d’Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023).
Vous pouvez suivre Roland Lombardi sur les réseaux sociaux : Facebook, Twitter et LinkedIn