Les Chrétiens d’Orient : une communauté en sursis (1/2)

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Une jeune chrétienne à l’église du Saint-Sépulcre de Jérusalem (photo : Jean-Paul Louis Ney / Le Dialogue)

Malgré les discours alarmants sur la protection des minorités, la situation des Chrétiens orientaux est sous médiatisée en regard des soubresauts de l’Histoire régionale. Soumis en période de paix, et assimilés à l’ennemi en période de guerres, ils n’ont de cesse de chercher une posture conciliante qui puisse leur permettre de vivre leur foi en paix.

Pour autant, ils ne forment pas un groupe homogène. Dans chaque pays, de l’Égypte à l’Irak, en passant par le Liban et la Syrie, les Chrétiens ont leur propre singularité sous le prisme des traditions linguistiques et liturgiques.

Cette première partie revient sur la genèse du christianisme, mettant en exergue les particularismes locaux, les dissensions, les allégeances ainsi que les interactions avec les différents empires musulmans, jusqu’à l’éveil politique et intellectuel au temps de la Nahda à la fin du XIXème siècle.

De la genèse à l’islamisation

Le christianisme est né et se développe sur la partie orientale de l’Empire romain. Le Moyen-Orient est donc par essence, le berceau de cette nouvelle religion. Un temps minoritaire, les adeptes de cette croyance vivent cachés et ne peuvent pratiquer leurs rites en public. Jusqu’au IIIème siècle de notre ère, les Chrétiens subissent de nombreuses persécutions et massacres. Ils sont considérés comme ennemis de l’Empire et souvent perçus comme des individus hérétiques. Jusqu’au début du IVème siècle de notre ère, les Chrétiens sont à la merci des différents empereurs. Certains s’en prennent uniquement au clergé, tandis que d’autres oppriment les fidèles.

Il faut attendre l’arrivée de l’empereur Constantin 1er, converti au christianisme, qui promulgue l’édit de Milan en 313 et accorde la liberté de culte dans tout l’Empire. Petit à petit, le christianisme se développe et devient l’unique religion officielle sous Théodose 1er à la fin du IVème siècle. S’ensuit une période de foisonnement intellectuel avec de nombreux débats théologiques. Les premières divisions apparaissent, ce sont les controverses autour de la nature humaine – divine – ou les deux du Christ. Malgré les nombreux conciles, les ruptures sont consommées et aboutissent à la création de plusieurs églises distinctes.

Ainsi sous l’Empire byzantin, la communauté chrétienne ne forme pas un ensemble homogène. Le pouvoir central de Constantinople ne réussit pas à centraliser et imposer un seul dogme chrétien. C’est au Vème et VIème siècle qu’émergent les églises coptes d’Égypte, syriaques, assyro-chaldéennes de Syrie et maronites du Liban. Leurs fidèles vivent clandestinement leur foi.

À la mort de Mahomet en 632, les armées arabes envahissent le Moyen-Orient. Les églises dissidentes perçoivent initialement l’arrivée des musulmans comme une libération vis-à-vis du pouvoir autoritaire de Constantinople. Dans un premier temps, les Chrétiens pratiquent plus librement leur foi, il n’y a pas de conversion forcée car ils sont reconnus comme des Gens du Livre (Ahl Al-kitab en arabe). Mais petit à petit le pouvoir central musulman soumet la communauté chrétienne à un statut de dhimmis (selon le droit musulman, dhimmi désigne les non musulmans d’un État sous gouvernance musulmane). Ce mot est souvent traduit comme une forme de « protection discriminatoire ». Du fait de ce statut secondaire, les Chrétiens ont une obligation de paiement d’impôts supplémentaires (la djizya) et la liberté de pratiquer leur culte est restreinte. Dès lors, les conversions à l’islam vont se multiplier.

Du déclin aux croisades

Très rapidement, l’arrivée des troupes musulmanes va de pair avec l’arabisation de la société et des rites chrétiens. Certaines langues théologiques disparaissent au profit de l’arabe. La première Bible est traduite en arabe au IXème siècle. Or, cette arabisation s’accompagne d’une islamisation de tous les pans de la société orientale. Les églises orientales commencent à se refermer sur elles-mêmes. La forte croissance démographique musulmane aggrave la situation des Chrétiens qui deviennent minoritaires. Malgré certaines périodes de partage et de collusion avec les pouvoirs centraux, les Chrétiens sont marginalisés, discriminés si ce n’est persécutés.

Les relations entre Musulmans et Chrétiens vont davantage se détériorer avec l’arrivée des troupes d’Occident. En effet, le pape Urbain II lance un appel à la croisade en 1095 pour aider les Chrétiens d’Orient et libérer Jérusalem, épicentre de pèlerinages de tous les Chrétiens occidentaux et orientaux. Ainsi, ses derniers sont perçus comme des potentiels traîtres. Pourtant, les armées d’Occident ne sont pas nécessairement bien reçues par leurs coreligionnaires d’Orient. Certains décident d’aider les Croisés à l’instar des Maronites, d’autres préfèrent rester en territoire musulman comme les chrétiens orthodoxes. En effet, le schisme de 1054 scella définitivement la division entre les églises rattachées à Rome (catholiques) et les églises rattachées à Constantinople (orthodoxes).

La présence des Croisés en Orient entraîne un durcissement des politiques à l’égard des Chrétiens d’Orient. Saladin augmente la pression fiscale sur ses sujets chrétiens pour financer sa guerre contre les Croisés. L’aide de l’Occident durant les croisades a finalement aggravé le sort des populations chrétiennes en Orient. Le pouvoir musulman se venge de l’aide apportée aux Croisés. Des églises sont détruites en Syrie, en Égypte et en Irak. Des Chrétiens sont réduits en esclavage et certains décident de fuir à Chypre.

La période des croisades du XIème au XIIIème siècle a modifié le statut des Chrétiens d’Orient à l’égard du pouvoir musulman. Le relatif équilibre est dès lors fragilisé et les communautés chrétiennes subissent une marginalisation politique, sociale et économique.

Sous l’Empire ottoman jusqu’au temps de la Nahda

Sous l’Empire ottoman du XIVème au XXème siècle, les Chrétiens sont intégrés à la société en tant que dhimmis dans un ensemble qui s’appelle le « millet », sorte de structure confessionnelle propre à une communauté. De fait, ils participent aux activités économiques locales, mais adoptent une différenciation vestimentaire (en bleu) et géographique. Les Chrétiens habitent dans des quartiers qui leur sont réservés et ils exercent des fonctions dépréciées par l’Islam comme les métiers du commerce ou de la finance. Les Arméniens de l’Empire ottoman contrôlent la majorité du commerce des armes.

Au gré des périodes, une relative pacification des rapports s’instaure. Or, à l’aune des tensions avec l’Occident, les Chrétiens subissent de nombreuses persécutions physiques et fiscales. Les nombreuses guerres qui opposent l’Empire ottoman et la Russie à partir du XVIIIème siècle donnent lieu à un durcissement des politiques ottomanes à l’égard des Orthodoxes, jugés proche de Moscou. 

L’Occident s’intéresse au sort de ses coreligionnaires d’Orient. François 1er noue des liens avec le sultan ottoman Soliman le Magnifique et signe un accord en 1535 qui lui permet d’avoir un droit de regard sur les populations chrétiennes en échange d’une liberté de commerce dans les ports français. Très vite, cette volonté de protection des Chrétiens d’Orient est instrumentalisée à des fins de politique extérieure. En effet, les puissances européennes veulent affaiblir l’Empire ottoman. Tour à tour, Russes et Français se gargarisent d’être « les protecteurs des Chrétiens d’Orient ». La Russie se porte garante de la sécurité des Orthodoxes alors que la France se veut protectrice des Catholiques. Ce rôle va prendre une ampleur historique lors du massacre des maronites en Syrie et au Liban. La France de Napoléon III intervient militairement en 1860 pour protéger la communauté chrétienne.

En lien étroit avec l’Occident, les Chrétiens d’Orient deviennent peu à peu le fer de lance d’un renouveau politique. Embourbé dans une crise interne et externe, l’Empire ottoman durcit sa politique et empêche tout courant dissident. Dans une logique nationaliste arabe, certaines figures chrétiennes libanaises, égyptiennes et syriennes écrivent, publient et partagent des idées politiques d’une lutte contre l’Empire ottoman. La notion d’arabité prédomine pour gommer les différences communautaires et confessionnelles. Ce bouillonnement intellectuel et politique est nommé « Al Nahda » (la renaissance en arabe). Ce courant émerge à la fin du XIXème siècle et s’enracine dans les esprits de chaque arabe de l’époque. Animés par un esprit de régénération de la dignité, les Arabes de l’Empire ottoman s’opposent au pouvoir central. Cette opposition est consciencieusement soutenue par l’Occident qui mise sur l’implosion de l’Empire Ottoman.

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