Quand le conflit à Gaza impacte les entreprises américaines
Par Alexandre Aoun
Coca, Starbucks et McDonald’s subissent les contrecoups de la guerre à Gaza. Symbole du capitalisme américain, ces marques sont de plus en plus boycottés par les habitants du Moyen-Orient qui reprochent le soutien inconditionnel de Washington à Israël.
« C’est l’idée de placer le bras de fer sur le champ économique », stipule d’emblée Karim Emile Bitar, professeur de relations internationales à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth et chercheur associé à l’IRIS. En effet, le 6 mars, le géant de la distribution du Golfe AlShaya Group, basé au Koweït, a annoncé une réduction des effectifs de sa franchise Starbucks au Moyen-Orient en raison de « conditions commerciales difficiles », dans le contexte de la guerre à Gaza qui a donné lieu à un boycott de marques occidentales. Les licenciements représentent environ 4 % de l’effectif total, qui compte près de 50 000 salariés sur l’ensemble de la zone Moyen-Orient/ Afrique du Nord. Des personnes au fait du dossier avaient indiqué à Reuters que ces licenciements concernaient plus de 2 000 personnes.
La franchise israélienne de Macdonald livre des repas aux soldats de Tsahal
Outre Starbucks, la chaîne américaine de fast-food McDonald’s subit, selon son patron, les conséquences de la guerre entre l’armée israélienne et le Hamas à Gaza. Un article de Bloomberg rapporte que le PDG de la société américaine Chris Kempczinski a affirmé le 4 janvier que la guerre au Moyen-Orient avait eu un impact négatif sur les ventes de l’entreprise. « Je reconnais également que plusieurs marchés au Moyen-Orient et certains en dehors de la région subissent un impact commercial significatif et la désinformation associée qui affecte des marques comme McDonald’s », avait-il déclaré. En novembre dernier, c’était au tour de Coca Cola d’être impacté par le conflit dans l’enclave gazaouie. Le Parlement turc a voté le retrait de cette boisson des magasins et restaurants situés sur son territoire. En Turquie, le fameux soda rouge a été impacté d’une baisse de 22 % de ses ventes au dernier trimestre 2023. En Egypte, le boycott de la boisson pétillante américaine a permis à la boisson locale Spiro Spathis de voir ses ventes augmenter considérablement.
Aux quatre coins du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, ce boycott est en partie lié « au soutien aveugle et inconditionnel que les Etats-Unis ont offert à Israël » explique l’énarque, tout en expliquant que ce phénomène vise à « amener les Etats-Unis à repenser leur politique car tous les arguments moraux ou juridiques ont montré leur limite ».
Pour la chaîne de fast-food américain tout a commencé lorsque le restaurant avait été accusé de soutenir l’opération militaire israélienne contre le Hamas, après l’annonce faite en octobre par sa franchise en Israël, via la société Alonyal Limited, qu’elle offrirait des repas « aux soldats israéliens », ainsi qu’« à la police, aux hôpitaux, aux forces de secours » et aux habitants des zones limitrophes de la bande de Gaza. À l’inverse, les autres franchises du Moyen-Orient, avaient annoncé qu’elles feraient des donations à destination de la population de l’enclave gazaouie. Les McDonald’s d’Arabie saoudite, d’Oman, du Koweït, des Émirats arabes unis, de Jordanie, d’Égypte, de Bahreïn et de Turquie ont promis de réunir plus de 3 millions de dollars pour les habitants du territoire palestinien.
Coca Cola boycotté par les pays de la Ligue arabe de 1967 à 1991
Starbucks, bien que n’étant ni présent en Israël ni dans les territoires palestiniens, subit donc également les conséquences de la guerre au Proche-Orient. Début octobre, l’entreprise américaine avait attaqué en justice un syndicat de la compagnie qui avait utilisé son logo pour publier un message de soutien à la cause palestinienne. L’entreprise avait alors affirmé ne pas avoir de position officielle sur la guerre et craignait que le message du syndicat sème la confusion chez ses clients. L’accrochage judiciaire entre Starbucks et le syndicat avait entraîné des appels au boycott de la marque. Voulant répondre aux accusations, le PDG Laxman Narasimhan avait publié le 19 décembre une lettre adressée à ses employés, dans laquelle il déclarait : « Notre position est claire. Nous défendons l’humanité ». Il indiquait notamment que ceux qui s’en prenaient aux enseignes avaient été « influencés par une fausse déclaration sur les réseaux sociaux ». Sur le site de l’enseigne verte, un communiqué précise de surcroît « nous n’utilisons pas nos profits pour financer une quelconque intervention gouvernementale ou militaire, où que ce soit, et nous ne l’avons jamais fait ».
Ces appels au boycott contre les entreprises américaines ne datent pas d’hier. Pour preuve, la marque Coca-Cola avait été officiellement boycottée par la Ligue arabe entre 1967 et 1991 pour avoir construit une usine d’embouteillage en Israël, ce qui explique en partie la préférence traditionnelle régionale pour le concurrent Pepsi. A l’époque, la marque rouge avait obtenu des dérogations spéciales pour continuer ses ventes uniquement en Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Mauritanie. « La première fois que cette arme économique avait été utilisée remonte à 1973, lorsque les pays du Golfe avaient décidé de baisser leur production de pétrole lors de la guerre de Kippour », détaille Karim Emile Bitar. En effet, fin 1973, à la suite de la guerre du Kippour entre Israël et ses voisins arabes, les pays du Golfe décident, en guise de rétorsion contre les pays alliés à l’État hébreu, de réduire leur production. L’Arabie Saoudite, qui fournissait à elle seule 21% de la production mondiale de brut, va encore plus loin en imposant un embargo de ses exportations vers les États-Unis notamment. C’est la panique et le prix du baril flambe. En quelques semaines, il sera multiplié par quatre, passant de 4 à 16 dollars. Les économies occidentales ne peuvent pas faire face. La croissance s’effondre et le chômage augmente.
Or, aujourd’hui, « la différence manifeste », précise le géopolitologue c’est qu’« aujourd’hui ces gouvernements arabes sont pour la plupart inféodés ou alignés sur les politiques américaines, c’est au contraire l’opinion publique du monde arabe qui se mobilise pour faire entendre leur voix, face au sentiment d’impuissance qui les étreint ». D’ailleurs, le Maroc, qui a normalisé ses relations avec l’Etat hébreu en décembre 2020, a décidé de choisir McDonalds comme sponsor officiel de l’équipe nationale de football masculin.
Si le boycott est un phénomène généralisé et pluri-générationnel dans l’ensemble des pays arabo-musulmans, l’impact sur le long terme reste pour le moins incertain. « Les humeurs de l’opinion publique sont fluctuantes, il y a un risque de mithridatisation, d’accoutumance, que la guerre devienne une sorte de bruit de fond et que les plus motivés finissent par se dire que c’est peine perdue », pense le chercheur avant de conclure « c’est un bon indicateur du refus de l’opinion publique arabe de normaliser les relations avec l’Etat hébreu tant que les Palestiniens n’auront pas vu leur droit nationaux et légitimes pleinement et entièrement reconnus ».