Emmanuel Macron et la fin de l’exception française en Afrique de l’Ouest : l’Italie et l’Allemagne en embuscade

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Chine et Russie sont devenues la Chinafrique et la Russafrique, la Françafrique n’est qu’un vulgaire mot du passé. Photo Emmanuel Macron / X.

Par Olivier d’Auzon

Le retrait progressif de la France en Afrique de l’Ouest est une réalité de plus en plus évidente. Le président Emmanuel Macron a évoqué cette situation devant ses ministres en janvier 2024, en parlant de “l’effacement de la France” dans la région. Le Niger, qui était autrefois un bastion occidental, n’est plus considéré comme tel, même par ses alliés.

La junte militaire au pouvoir à Niamey a établi des liens étroits avec le Kremlin, comme en témoignent les voyages du premier ministre à Moscou, mais également à Téhéran et à Ankara. Les États-Unis, quant à eux, semblent avoir du mal à appréhender les changements en cours dans certains pays qui ne sont plus disposés à se laisser dicter leur conduite ou à recevoir des leçons.

Washington souhaitait renforcer sa présence militaire au Niger, en obtenant des garanties que ses troupes ne croiseraient pas de soldats russes et en mettant en garde la junte contre une éventuelle coopération avec l’Iran. Pour autant, ces demandes ont été rejetées par Niamey.

Deux jours après cette visite mémorable, le Niger a dénoncé avec effet immédiat l’accord de coopération militaire avec les États-Unis, qui ont ainsi perdu trois bases importantes dans la région : celles de Niamey, de drones à Agadez et de la CIA à Dirkou. Les Américains ont été contraints d’abandonner un poste stratégique aux portes de l’Algérie, du Tchad et de la Libye, indique la journaliste d’investigation Leslie Varenne[1]

Quelques jours plus tôt, Molly Phee, Secrétaire d’État adjointe aux Affaires africaines, avait déclaré au magazine Africa Report que les États-Unis préféraient travailler avec des partenaires respectant la démocratie et les droits de l’homme…

Quoi qu’il en soit, indique Leslie Varenne, « ils n’ont même plus à réfléchir aux dérogations, car un mois plus tard, une centaine d’instructeurs de l’Africa Corps, la nouvelle organisation russe chargée d’absorber les activités de Wagner, ont débarqué au Niger, suivis d’une première manifestation contre l’Oncle Sam le 13 avril 2024 ».[2]

« L’intérêt des États-Unis pour l’Afrique de l’Ouest n’est pas nouveau, mais l’introduction d’un tel dispositif militaire dans la région coïncide avec la réduction des effectifs français dans plusieurs pays, dont la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Tchad et le Gabon. Il reste à savoir si l’arrivée du Pentagone dans ces pays se fait en opposition à Paris ou avec son accord », souligne judicieusement la journaliste Leslie Varenne.

Lors d’une audition à l’Assemblée nationale le 31 janvier 2024, le chef d’état-major des armées françaises, Thierry Burkhard, a déclaré que “la création de bases communes avec les Américains ou d’autres partenaires est souhaitable”. Cette synchronisation des événements soulève des questions et ressemble à une danse diplomatique entre Washington et Paris, à un partage des responsabilités avec l’ami américain.

Les Européens, quant à eux, ne semblent pas disposés à coopérer militairement avec la France, qu’ils considèrent comme un élément perturbateur en Afrique. Ils semblent même satisfaits de reprendre le contrôle. Avec Paris hors-jeu, le duo Berlin/Rome avance ses pions.

En effet, l’Italie et l’Allemagne suivent de près la politique de Washington, qui vise à renforcer sa présence au Sahel pour contrer l’influence de la Chine, de la Russie et désormais de l’Iran. Alors que le dernier soldat français n’avait pas encore quitté le Niger en décembre 2023, le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, s’est rendu à Niamey pour négocier le maintien de la base aérienne dans le pays et discuter de la construction d’un hôpital militaire, indique Leslie Varenne[3].

L’Italie voit les choses en grand : en janvier 2024, la présidente du Conseil a proposé un plan de 6 milliards de dollars pour renforcer les partenariats avec l’Afrique. Lors de la présentation de son plan, Georgia Meloni, jamais avare de critiques envers la politique africaine de la France, a déclaré vouloir “une coopération entre pairs, loin de toute attitude prédatrice, mais aussi loin d’une logique de charité envers l’Afrique”.

Dans la foulée, Rome a organisé un grand sommet Afrique-Italie où une pléiade de dirigeants africains étaient présents. Un tel événement serait-il encore envisageable à Paris ? Le dernier sommet Afrique-France, qui s’est tenu à Montpellier en octobre 2021, a été indéniablement surréaliste, avec des conséquences néfastes. Pour “innover dans la relation” avec l’Afrique et sa jeunesse, les conseillers avaient décidé de ne pas inviter les chefs d’État, mais la société civile. Ces jeunes, triés sur le volet par les ambassades françaises de leurs pays respectifs, ont exprimé toutes leurs frustrations envers la France. L’une d’entre elles a comparé la France à une marmite sale qu’il fallait nettoyer, sous le regard amusé du président français.

En janvier 2024, la représentante pour le Sahel de l’Union européenne, l’italienne Emmanuela Claudia Del Re, n’a pas manqué de railler le président Emmanuel Macron en déclarant à la radio Deutsche Well : “Je dois dire que l’Allemagne est un géant dans la région sur le plan de l’investissement mais aussi pour ce qui concerne l’engagement fort de l’Allemagne sur place depuis des années déjà. Mais en particulier dans ce moment très difficile, je pense que le leadership de l’Allemagne est important“.

Le leadership allemand au Sahel ? Un pied de nez de l’Histoire !

Et Leslie Varenne de souligner qu’ “un an auparavant, les diplomates européens faisaient preuve de subterfuges pour ménager habilement la susceptibilité d’Emmanuel Macron, aujourd’hui, ils n’hésitent même plus à tirer boulets rouges sur l’hôte de l’Élysée…”[4]


[1] Dans son essai intitulé “Emmanuel au Sahel”, paru en mai 2024 chez Max Milo

[2] Dans son essai intitulé “Emmanuel au Sahel”, paru en mai 2024 chez Max Milo

[3] Dans son essai intitulé “Emmanuel au Sahel”, paru en mai 2024 chez Max Milo

[4] Dans son essai intitulé “Emmanuel au Sahel”, paru en mai 2024 chez Max Milo


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