L’arrivée de la flamme olympique en France a été vécue comme un évènement populaire, médiatique mais aussi – et ce sera l’objet de cette analyse – mystique.
La flamme olympique, nous dit-on, est « sacrée ». Mais en quoi ? Normalement, le sacré s’oppose au profane. Son sens premier renvoie au religieux. Il peut cependant désigner plus familièrement tout ce qui revêt une importance primordiale, une chose à qui l’on doit un respect absolu, qui s’impose par sa haute valeur. Le sacré est alors une célébration, contre l’oubli et pour affirmer des valeurs face au néant du monde.
Lorsqu’on parle de flamme sacrée, il n’est cependant pas aisé de déterminer si on vise quelque chose de quasi-religieux ou de plus philosophique, car dans la manifestation tangible, rien ne les distingue. Le sens du sacré, même lorsqu’il investit des valeurs toutes prosaïques, est bien essentiellement celui d’un culte.
Examinons tout d’abord le sacré au sens de religieux, car c’est ce qui frappe en premier lorsqu’on regarde la manière dont l’arrivée de la flamme a été célébrée. Elle a voyagé avec sa propre escorte, à l’image des processions des saints. Dans une société déchristianisée comme celle de la France, il est anthropologiquement intéressant de voir ensuite une cérémonie laïque où les hautes-autorités et le peuple se massent pour assister à l’arrivée d’une torche en feu venant de Grèce. Au Moyen-Âge, le roi et les échevins de la Marseille ne se seraient déplacés que pour admirer une relique ou suivre une procession. Le Vieux-Port de Marseille – du moins jusqu’à ce que Jul ouvre la bouche – avait des allures de Fatima.
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La dimension « sacrée » de l’Olympisme est d’ailleurs religieusement ambigüe. Rappelons que c’est une construction récente mais que les modernes ont voulu se rattacher au religieux. La filiation avec la religion antique a été poussée au maximum puisqu’une femme vêtue à l’antique incarne la grande prêtresse d’Héra (sans que cette déesse ait le moindre lien avec le feu dans la mythologie grecque). Avec solennité, elle allume la flamme olympique grâce aux rayons du soleil puis transmet un peu de ce feu sacré au flambeau olympique porté par un athlète.
Pourtant, la flamme olympique n’existait pas dans la Grèce antique, et c’est une pure invention du monde moderne. Elle est apparue en 1928 pour les JO d’Amsterdam, sans relais pour porter la torche, car il s’agissait à l’époque de permettre aux athlètes de situer le lieu des épreuves grâce au chaudron allumé jour et nuit. La course au flambeau (ou lampadédromie en grec) a ensuite inspiré en 1936 le relais de la torche pour les JO de Berlin. Carl Diem, son inventeur, y voyait la transmission de l’esprit grec qui éclaire l’humanité, une approche totalement philosophique.
Les lapadédromies avaient cependant un caractère religieux puisqu’elles étaient liées au culte du feu, soit qu’elles commémoraient le vol du feu par Prométhée, soit qu’elles honoraient la purification par le feu. Elles étaient organisées pour célébrer Athéna, Prométhée ou Héphaïstos, le divin forgeron. Le feu était sacré, puisqu’allumé sur des autels.
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Le régime nazi, lui, qui avait développé une conception païenne des origines germaniques, se trouva très satisfait de se relier à la Grèce antique et d’exalter les valeurs guerrières liées au feu. Il en profita pour plaquer son propre ésotérisme sur le sens religieux ancien, quitte à déformer le réel. Dans le paganisme, le soleil incarne la divinité mâle. Le soleil noir (qui combine trois svastikas et douze fois le Sōwilō, symbole mystique de Sol, le dieu solaire nordique) fut employé comme symbole par les nazis, notamment Himmler. Le svastika renvoie lui-même à la rotation, possiblement la rotation apparente du soleil dans sa course diurne, un thème vieux comme Rhâ.
La cérémonie d’allumage de la flamme en carton-pâte a été elle-même directement chorégraphiée par le régime nazi. Leni Riefenstahl, cinéaste phare du IIIème Reich et réalisatrice des « dieux du stade » a mis elle-même en 1936 en scène l’allumage de la flamme olympique. Au temple d’Héra -qui n’a donc rien à voir avec les dieux grecs des lapadédromies -, elle trouva un acteur allemand qu’elle déshabilla pour en faire un coureur, et alluma sur l’autel de fortune que constituaient les tambours des colonnes, des herbes séchées de l’autel sacré, avant de filmer. Un certain Condylis, athlète originaire d’Olympie, traversa les filles de lumière et alluma la torche à partir du feu de l’autel.
L’Eglise orthodoxe grecques ne s’était d’ailleurs pas trompé en voyant dans cette réinvention du passé un paganisme et une cérémonie ridicule. La dimension sacrée s’arrête là car évidemment chez les Grecs, le feu revenait ensuite au temple : il aurait été inconcevable de le souffler une fois la course terminée !
Tous ces efforts pour convaincre les peuples du caractère sacré de l’Olympisme, représenté par sa flamme, seraient vains s’ils ne trouvaient pas un écho spirituel et philosophique.
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L’élément le plus fort est la trêve olympique, ou le rêve d’une fête de l’Humanité qui le temps de quelques jours ou semaines, suspendrait le cours des choses. Là encore, cet héritage grec a été déformé : initialement, la trêve olympique – instituée vraisemblablement deux à trois siècles après les premières olympiades – démarrait un mois avant les Jeux Olympiques et garantissait à la cité d’accueil qu’elle ne pouvait pas être attaquée et que les athlètes et spectateurs pourraient traverser les zones en guerre sans être inquiétés. Il s’agissait donc plus d’un sauf-conduit que d’une paix générale. Il est arrivé qu’elle soit violée, ce qui entraînait des condamnations pécuniaires pour la ville fautive ou son exclusion des jeux.
Quoiqu’il en soit, notre trêve olympique ne date pas de 1896 mais de 1992, avec l’appui de l’assemblée générale des Nations-Unies qui prend une résolution en ce sens tous les deux ans. La trêve débute 7 jours avant les jeux olympiques et se termine 7 jours après la fin des jeux paralympiques. C’est donc une construction encore plus récente que la flamme, ce qui montre bien que le caractère « sacré » s’est construit au fil du temps.
Il y a en effet une attente particulière, alors que la situation à Gaza ou en Ukraine est préoccupante, que ces jeux de Paris soient accélérateurs de paix. Un miracle pourrait-il se produire ? On peut cependant en douter car ce sont justement les zones du monde dont les protagonistes ont historiquement toujours bafoué la fameuse trêve.
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On se souvient par exemple du massacre d’onze athlètes israéliens lors des Jeux de Munich en 1972 par un commando palestinien.
Côté russe, Moscou en 2014 a envahi la Crimée quatre jours après les JO de Pékin. Elle a envahi l’Ukraine en plein jeux olympiques d’hiver de 2022.
On se rend compte que les JO n’ont jamais arrêté une guerre.
En réalité, pour que le caractère « sacré » de la paix attachée aux jeux olympiques soit consensuel et donc absolu, encore faut-il qu’on fasse abstraction de la géopolitique.
La Russie, depuis 2022, est dans le collimateur du CIO qui souhaiterait que des athlètes ne soient pas invités car la fédération olympique russe a absorbé certaines organisations régionales ukrainiennes. Dans les faits, les athlètes russes ont été privés de parade et de sport d’équipe à Paris 2024.
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Israël de son coté, en dépit de certains appels en ce sens, ne sera pas empêché de participer. Paradoxalement, la participation des palestiniens n’est pourtant pas assurée, puisqu’Israël bombarde les infrastructures sportives de Palestine et qu’une centaine d’athlètes aurait été tuée depuis le 7 octobre. Aucune trêve n’a été annoncée.
On est là dans la démonstration la plus évidente des contradictions du caractère pacifique des Jeux. Soit il s’agit d’une conception quelque peu utilitaire, à la manière des grecs anciens. Dès lors, il est possible de sanctionner un pays qui ne respecte pas la trêve ou les valeurs de la Charte. Rien de sacré là-dedans, juste l’application de règles. Soit on veut lui insuffler un caractère sacré, et de la même manière qu’on ne combat pas dans une église, alors on suspend la guerre pendant les Jeux.
La flamme est sacrée, parce qu’on le dit. Dans les faits, c’est moins clair…
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