Note historique du Cf2R N°75 / 2024
Dans le contexte des tensions géopolitiques des années 70, le terrorisme international émergea comme un instrument de lutte politique, souvent utilisé pour attirer l’attention globale sur des causes nationalistes ou idéologiques. Un des épisodes les plus significatifs de cette période fut l’assaut contre la résidence de l’ambassadeur saoudien à Khartoum, la capitale du Soudan, le 1er mars 1973. Cet événement non seulement captura l’attention mondiale par sa violence et les tragiques pertes de vies, mais marqua également un tournant dans les dynamiques du terrorisme international et dans les politiques de réponse des gouvernements impliqués.
Septembre Noir et l’attaque de Khartoum
Le groupe responsable de cette audacieuse attaque était Septembre Noir, une organisation affiliée à l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), dirigée par Yasser Arafat. Au cœur de la nuit, un commando de militants armés fit irruption dans la résidence de l’ambassadeur saoudien pendant une réception, prenant en otage dix personnes : l’ambassadeur saoudien, – des membres de sa famille et – des diplomates américains présents.
Les terroristes avancèrent des demandes extrêmes, notamment la libération de prisonniers palestiniens détenus en Israël, des membres de la Fraction Armée Rouge (RAF) en Allemagne, et Sirhan Sirhan, l’assassin du sénateur américain Robert Kennedy. La réponse des États-Unis fut immédiate et intransigeante : aucune négociation avec les terroristes. Après trois jours de tension, et face au refus catégorique de Washington de céder à leurs demandes, les preneurs d’otages tuèrent trois occidentaux, marquant un tragique épilogue au siège.
Cet acte de violence non seulement provoqua une onde d’horreur internationale mais mit également en lumière la vulnérabilité des nations face à de telles attaques et la complexité de la réponse politique face au terrorisme.
Répercussions internationales
La crise de Khartoum eut des répercussions immédiates au niveau international, mettant en évidence la menace croissante du terrorisme et sa capacité à influencer directement les politiques étrangères des nations impliquées. Peu après la tragique conclusion du siège, le FBI découvrit à temps trois voitures piégées à New York, près de deux banques israéliennes et du terminal cargo de l’aéroport international JFK. Cette tentative d’attaque manquée, prévue pour le 4 mars 1973 – coïncidant avec la visite de Golda Meir aux États-Unis – représentait le premier effort de Septembre Noir de porter son message de violence directement sur le sol américain.
L’échec de ce plan, vraisemblablement dû à un défaut technique, et l’action violente à Khartoum révélèrent l’intensification du conflit israélo-palestinien et son débordement au-delà des frontières moyen-orientales. Le choix de cibles liées à Israël et aux États-Unis par Septembre Noir n’était pas aléatoire, mais reflétait une escalade dans la stratégie de lutte armée palestinienne, visant à forcer les puissances mondiales à reconnaître et à aborder les revendications du peuple palestinien.
Ces événements mirent en lumière la nécessité pour les États-Unis et leurs alliés de développer des stratégies de sécurité plus efficaces et des politiques étrangères pouvant atténuer la menace du terrorisme international, sans aliéner de potentiels partenaires dans le processus de paix au Moyen-Orient. En outre, la révélation que les actions de Septembre Noir pourraient avoir le soutien tacite ou la connivence de figures de proue de l’OLP soulevait des questions complexes concernant le rôle de l’organisation dans le terrorisme international et sa légitimité en tant que représentant du peuple palestinien.
Le rôle occulte d’Arafat et les choix de Kissinger
La déclassification de documents dans les années suivantes a fourni une perspective troublante sur l’opération de Khartoum, révélant des détails sur l’implication directe de Yasser Arafat, alors leader de l’OLP, dans les opérations de Septembre Noir. Ces révélations vinrent altérer l’image d’Arafat, jusqu’alors perçu principalement comme un leader politique et symbole de la lutte palestinienne.
Henry Kissinger, conseiller à la Sécurité nationale sous l’administration Nixon, se trouvait face à un choix difficile. La décision de garder secrètes les communications interceptées impliquant Arafat dans l’ordre de tuer les otages reflétait le désir des États-Unis de préserver un canal de dialogue avec le leader palestinien, malgré les preuves de son implication dans des actes de terrorisme. Kissinger ordonna la destruction des bandes originales, laissant aux générations futures uniquement les transcriptions des interceptions comme témoignage du double rôle d’Arafat.
L’image de Yasser Arafat auprès du public, longtemps associée à la lutte armée pour la cause palestinienne, en fut transformée, à la suite de quoi les tactiques politiques du leader de l’OLP évoluèrent après l’incident de Khartoum. Le tournant fut son discours historique du 13 novembre 1974 devant l’Assemblée Générale des Nations Unies, où Arafat offrit à Israël la possibilité de négociations de paix, symbolisé par sa célèbre phrase sur le fait de « tenir une branche d’olivier dans une main et un fusil dans l’autre ». Ce marquait la volonté de l’OLP d’atteindre ses objectifs politiques par la diplomatie, mais reflétait également une stratégie calculée pour gagner en légitimité et en soutien international.
Cependant, la décision d’Arafat de privilégier désormais la diplomatie au détriment de la lutte armée ne fit pas l’unanimité parmi les factions palestiniennes. La création du « Front du Refus » par des groupes radicaux palestiniens, soutenus l’Irak, la Libye et le Yémen du Sud, montrait le profond clivage entre ceux qui considéraient la négociation avec Israël comme une trahison de la cause et ceux qui croyaient en la nécessité d’une approche plus pragmatique.
Wadie Haddad : Le cerveau du terrorisme palestinien
Dans ce contexte, la figure de Wadie Haddad se détache comme emblématique de la résistance à l’évolution politique choisie par Arafat. Haddad, leader du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP)-Commandement Spécial, continua de perpétrer des actes de violence et de terrorisme bien après que l’OLP avait commencé à explorer des voies diplomatiques. Sa détermination à poursuivre la lutte armée, ainsi que le soutien reçu des États arabes et de l’Union soviétique, montre la complexité et la fragmentation du mouvement de libération palestinien.
La relation entre Haddad et le KGB est particulièrement révélatrice des dynamiques de la Guerre Froide au Moyen-Orient. Des documents et témoignages révèlent que Haddad avait des liens étroits avec le service d’espionnage soviétique, qui fournissait un soutien logistique et matériel à ses opérations. Cette collaboration non seulement met en évidence le rôle de l’Union soviétique dans le soutien de groupes terroristes comme instrument de politique étrangère, mais reflète également la volonté de Haddad d’utiliser tous les moyens nécessaires pour faire avancer la cause palestinienne, quitte à s’allier avec des puissances étrangères.
La situation complexe d’alliances et de divergences qui caractérisait le mouvement palestinien à cette période souligne la transition difficile de l’usage de la force à la diplomatie comme moyen d’atteindre des objectifs politiques. L’histoire d’Arafat, de Haddad et leur implication dans des événements comme le siège de Khartoum et les activités terroristes subséquentes met en lumière les défis et dilemmes auxquels sont confrontés les leaders politiques et militaires dans le contexte du conflit israélo-palestinien et de la Guerre froide.
Les conséquences de l’Opération de Khartoum
Le siège de l’ambassade saoudite à Khartoum en 1973 et ses conséquences tragiques ont représenté un moment crucial dans l’histoire du terrorisme international, marquant une escalade significative de la violence politique et poussant les nations du monde entier à reconsidérer leurs politiques de sécurité et leurs stratégies diplomatiques. Cet événement non seulement a mis en évidence la portée globale de la lutte palestinienne, mais a également mis en évidence la vulnérabilité des puissances mondiales face à des groupes terroristes déterminés et bien organisés.
La réponse intransigeante de l’administration Nixon à l’incident a établi un précédent pour la politique étrangère américaine de “ne pas négocier avec les terroristes”, une position qui a façonné l’approche des États-Unis face au terrorisme pour les décennies à venir. Cependant, le choix de garder secrètes les communications impliquant Arafat dans l’ordre de tuer les otages reflétait également les considérations politiques complexes qui accompagnent souvent la réponse au terrorisme, y compris le désir de préserver des canaux diplomatiques potentiellement utiles.
L’évolution d’Arafat de leader d’une organisation considérée comme terroriste à interlocuteur reconnu dans la diplomatie internationale a démontré la possibilité de transformer le conflit armé en dialogue politique. Toutefois, la persistance de figures comme Wadie Haddad, qui ont choisi de continuer la lutte armée, souligne le défi d’unifier un mouvement de résistance sous une stratégie commune.
La collaboration entre Haddad et le KGB, ainsi que le soutien soviétique à des groupes terroristes, révèle les intersections complexes entre le terrorisme, la Guerre froide, et la politique internationale. Cette interaction entre les puissances mondiales et les groupes non étatiques a contribué à façonner le paysage géopolitique du Moyen-Orient, influençant les relations internationales et la sécurité globale.
Sources:
– Abu Iyad, My Home, My Land: A Narrative of the Palestinian Struggle, New York 1981, pp. 98-99.
– Commissione parlamentare d’inchiesta concernente il «Dossier Mitrokhin» e l’attività di intelligence italiana, Resoconto stenografico della 77a seduta, 27 luglio 2005, (https://www.parlamento.it/service/PDF/PDFServer/DF/158269.pdf).
– Documenti del Dipartimento di Stato americano su OLP e Settembre nero, in “Jewish Virtual Library”, https://www.jewishvirtuallibrary.org/u-s-state-department-documents-plo-black-september-link-march-1973.
– K. Cooley, Green March, Black September: The Story of the Palestinian Arabs, London 1973, p. 123.