L’édito de Roland Lombardi
Marie-France Garaud, décrite comme la « femme la plus puissante de la Ve République » par Olivier Faye, journaliste politique au Monde et auteur du livre La conseillère (Fayard, 2021), est morte le 22 mai, à 90 ans. Figure emblématique du souverainisme et de la politique française, elle aura marqué l’histoire par son influence et son indépendance d’esprit.
Née le 6 mars 1934 à Poitiers, Marie-France Garaud a mené une carrière remarquable, principalement dans les coulisses du pouvoir.
Elle a commencé sa vie professionnelle comme magistrate avant de devenir une proche collaboratrice de plusieurs hommes politiques de premier plan, dont Jacques Chaban-Delmas et surtout Georges Pompidou. Son rôle de conseillère auprès de Pompidou, alors Premier ministre puis Président de la République, a consolidé sa réputation de stratège politique redoutable. Elle était connue pour son intelligence aiguë, son franc-parler et sa capacité à anticiper les évolutions politiques.
Après la mort de Pompidou, Marie-France Garaud a continué à influencer la scène politique, notamment en prenant sous son aile et en conseillant dans les années 1970, Jacques Chirac, figure montante de l’époque. Son tandem avec Pierre Juillet, considéré comme omnipotent, a suscité tous les fantasmes. Les deux « éminences grises » de la droite française sont notamment à l’origine la naissance du Rassemblement pour la République (RPR), l’ancêtre de LR.
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En 1979, c’est la rupture avec son poulain Chirac. Car c’est en effet, elle, avec les inévitables Alain Juillet et Charles Pasqua, qui a convaincu le président du RPR de se démarquer en dénonçant l’UDF de Giscard comme le « parti de l’étranger », avec le fameux « appel de Cochin », affichant ainsi une ligne plus souverainiste, par opposition au projet jugé comme fédéraliste et supranationaliste du camp présidentiel.
Le chef de la droite française l’accable alors en partie pour la défaite conséquente de la liste RPR aux élections européennes. Il la désavoue et la renvoie.
Déçue par Chirac et ses nouvelles positions, et avec son style toujours aussi décapant, elle prononce alors la phrase qui restera dans les annales de l’histoire de la violence verbale (et de l’humour) en politique : « Je pensais que Jacques Chirac était du marbre dont on fait les statues, il est en fait de la faïence dont on fait les bidets ».
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Son indépendance et sa vision parfois divergente l’ont progressivement éloignée des cercles du pouvoir traditionnels. En 1981, elle a tenté une candidature présidentielle, se présentant comme une alternative conservatrice et souverainiste au système en place, mais elle n’a obtenu qu’un faible score (1,33 % des voix). En 1982, elle sera reçue par deux fois à l’Elysée par le Président Mitterrand. Le Florentin ne pouvait que respecter et apprécier de ce genre de personnage…
Elle fondera l’année suivante et prendra la présidence de l’Institut International de Géopolitique (IIG). De 1999 à 2004, elle est députée européenne, élue sur la liste du nouveau Rassemblement pour la France (RPF) de Charles Pasqua et Philippe de Villiers.
Malgré son retrait progressif de la politique active, son influence et ses analyses ont continué à marquer les esprits. Elle est souvent décrite comme une femme de caractère (elle n’en manquait pas !), de conviction, rigoureuse et dotée d’une grande capacité d’analyse. Son héritage réside dans son approche stratégique et sa volonté de toujours placer les intérêts de la nation au-dessus des querelles partisanes. Atlantiste jusqu’à la fin de l’URSS, elle soutient la Serbie lors de la guerre du Kosovo de 1998-1999. Mendésiste dans sa jeunesse, puis gaulliste, elle évoluera vers un souverainisme des plus intransigeant. Elle a toujours été favorable au rétablissement de la peine de mort.
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Invitée sur le plateau de France 2 le 16 mai 2006, l’ancienne éminence grise est totalement libre de paroles, et se lâche sur ceux qu’elle juge inévitablement moins bons que de Gaulle et Pompidou, mais surtout nocifs pour la Constitution du 4 octobre 1958 : « Mitterrand a détruit la Ve République par orgueil, Valéry Giscard d’Estaing par vanité et Jacques Chirac par inadvertance. »
En 2017, elle apporte son soutien à Marine Le Pen. Elle déclare notamment au Figaro, à dix jours du deuxième tour de l’élection présidentielle, que la présidente du RN est la seule à pouvoir redonner à la France une forme de souveraineté, et appelle à sortir de l’Union européenne le plus rapidement possible, « quel que soit le coût ».
A l’époque, elle fustige le candidat libéral et proeuropéen Emmanuel Macron : « J’ai le sentiment que monsieur Emmanuel Macron n’a ni amour-propre, ni lucidité. Il étale ses faiblesses avec un extraordinaire masochisme. »
7 ans plus tard, ces paroles résonnent encore comme un triste et tragique écho…
« Richelieu en jupons » pour certains, « père Joseph au féminin » pour d’autres, ou encore « Cruella » pour les plus acerbes, Marie-France Garaud reste cependant une figure respectée, symbole d’une époque où la politique française était façonnée par des personnalités fortes et indépendantes.
Son parcours témoigne enfin de l’importance du rôle des conseillers politiques et de la complexité des dynamiques de pouvoir au sein de la République française…
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Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue, spécialiste du Moyen-Orient et des questions de sécurité et de défense. Fondateur et directeur de la publication du Diplomate.
Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à Excelia Business School de La Rochelle.
Il est régulièrement sollicité par les médias du monde arabe. Il est également chroniqueur international pour Al Ain. Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment : « Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI – Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l’Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L’Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104. Il est l’auteur d’Israël au secours de l’Algérie française, l’État hébreu et la guerre d’Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.). Co-auteur de La guerre d’Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d’Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022. Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020.
Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l’influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) – Préface d’Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023).
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