Clausewitz, De la guerre

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Par André Boyer

Son blog : http://andreboyer.over-blog.com/

De la guerre, l’ouvrage inachevé de Karl von Clausewitz publié après sa mort en 1831, est l’un des plus grands textes de la philosophie de l’action humaine en situation de conflit…

L’ouvrage est né des échecs répétés des coalitions militaires contre les troupes françaises conduites par les généraux de la Révolution et essentiellement par Napoléon Bonaparte.

La Révolution française avait modifié la nature de la guerre qui devenait une affaire nationale où le peuple tout entier se jetait dans la balance, la guerre approchant alors de sa vraie nature. Les armées de la République française inauguraient une nouvelle stratégie, fondée sur la mobilisation totale des troupes, l’offensive et la concentration des forces au point décisif, autant de principes que Napoléon mania en virtuose brutal sur les champs de bataille européens.

Pour les états-majors européens, la tâche consistait à prendre la mesure de ces mutations et à réagir en conséquence. En Prusse, notamment, après la déroute qui avait été infligée à cette nation par Napoléon en 1806, l’ordre du jour était à la réforme du système militaire, à la refonte de la formation des officiers et à la révision des principes stratégiques.

Clausewitz était bien conscient qu’une doctrine positive de la guerre était impossible, car il fallait exiger d’un stratège à la fois qu’il suive les règles et qui ne les applique pas.  Alors que les ouvrages stratégiques se présentaient comme des livres de recettes, Clausewitz s’y refusait absolument, car les règles changeaient en permanence, notamment en raison de l’invention de nouvelles armes, rendant une manœuvre, hier victorieuse, condamnée demain à l’échec.

Il fallait donc former le chef de guerre en lui montrant qu’une théorie de la guerre n’a pas à être appliquée. Elle doit exclusivement permettre de former le sujet, celui qui va agir sur le champ de bataille, en lui fournissant des catégories d’analyse pertinentes provenant de l’expérience historique, qu’il devra personnellement confronter à la pratique. C’est ainsi que la théorie perdra sa forme objective d’un savoir pour prendre le caractère subjectif d’un pouvoir.

Clausewitz présente ses apports fondamentaux à la théorie de la guerre sur deux sujets : la nature de la guerre et la relation entre la guerre et la politique.

Pour lui, il existe deux sortes de guerre, la guerre absolue et la guerre limitée. La guerre absolue correspond à la véritable nature de la guerre, un duel opposant des volontés antagonistes, chacune visant à l’anéantissement de l’autre, dans une logique d’escalade et d’inéluctable montée aux extrêmes.

Mais nombre de conflits restent limités, la mobilisation partielle suffisant parfois à conduire l’ennemi à la table de négociation ou des valses-hésitations diplomatiques aboutissant à des demi-mesures. Dans l’histoire, les guerres sont plus ou moins entravées dans leurs logiques absolutistes par différents facteurs, dont le principal est le facteur politique qui a permis à Clausewitz d’écrire que « la guerre était la continuation de la politique par d’autres moyens. »

Si la guerre prend naissance dans les rapports politiques entre les gouvernements et les peuples, on peut croire que, dès que la guerre commence, les rapports politiques cessent. C’est ce que Clausewitz conteste.

Il avance que la guerre ne suit jamais son propre but, mais exprime à sa manière des logiques politiques qui la dépassent. Cela ne signifie pas seulement que le pouvoir militaire demeure subordonné au pouvoir politique, mais que les institutions politiques, la structuration sociale d’une population et la nature de ses intérêts déterminent la forme des guerres et leur signification.

Si la politique engendre la guerre, elle peut aussi en limiter les effets lorsque les intérêts en jeu dans un conflit sont considérés comme politiquement mineurs.

À l’inverse, lorsque les motifs de la guerre sont très puissants au sens où ils touchent aux intérêts vitaux d’un peuple, la guerre tend vers la guerre absolue. Le but politique consiste à terrasser l’adversaire, ce qui coïncide avec un but militaire pur. Le but apparait guerrier, mais fondamentalement, c’est le but politique qui s’est radicalisé au point de viser à l’anéantissement de l’ennemi.

La guerre que conduit aujourd’hui Poutine en Ukraine visant à l’anéantissement des moyens militaires de l’Ukraine est fondée sur un objectif politique porté à l’incandescence. Il s’agit de montrer d’une part qu’un peuple slave qui se révolte contre la mère Russie est condamné à être châtié par cette dernière, jusqu’à sa disparition s’il le faut et d’autre part de montrer qu’il existe une frontière à l’Est au-delà de laquelle le ticket européen n’est plus valable. Dans ce conflit, du point de vue russe et sauf accident majeur imprévisible par nature, aucune négociation n’est possible tant que l’ennemi ukrainien n’aura pas été anéanti.   

La guerre totale n’est donc que de la politique conduite à ses extrémités, mais la politique ne disparait jamais de la scène du conflit.

Ainsi, lorsque la politique semble s’effacer devant la guerre, cela signifie, non la disparition de la politique, mais que cette dernière vient d’atteindre son niveau d’intensité maximum. 


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