Élections Européennes : Un séisme politique historique en Europe et en France ?

Shares
Élections européennes 2024

L’édito de Roland Lombardi

Ce sont environ 373 millions d’électeurs issus des 27 États membres de l’UE qui étaient appelés aux urnes ce dimanche 9 juin. Il s’agissait du plus grand exercice démocratique multiétatique de la planète.

Les résultats déterminent les 720 membres du Parlement européen qui seront chargés de délibérer sur la législation européenne au cours de ces cinq prochaines années.

Même si la droite européenne du PPE, les sociaux-démocrates et les libéraux conservent la majorité dimanche soir, et que plombés par les mauvais résultats des écologistes, les groupes de gauche chutent, il est toutefois important de noter un certain affaiblissement de l’establishment pro-européen. Les électeurs s’étant retournés contre des personnalités telles que le président libéral français Emmanuel Macron ou Olaf Scholz, l’actuel Chancelier allemand.

Car en effet, les résultats montrent une montée en puissance des forces populistes et eurosceptiques, bouleversant le paysage politique traditionnel, même si certaines d’entre elles n’ont pas encore été attribuées à des groupes politiques. Ce scrutin, souvent considéré comme un baromètre de l’opinion publique, a confirmé un rejet notable du progressisme et les inquiétudes croissantes concernant l’avenir de l’Union européenne.

À lire aussi : Séisme géopolitique…

Les résultats en Europe

À l’échelle européenne, les partis populistes et eurosceptiques ont fait des avancées significatives, remettant en question l’orientation pro-européenne des institutions de l’UE.

En Italie, la première ministre Giorgia Meloni a consolidé son rôle de courtier en puissance à Bruxelles avec environ 26 à 30 % des voix. Son parti d’extrême droite Fratelli d’Italia, qui appartiennent au groupe de droite des Conservateurs et Réformistes européens, ont obtenu de bien meilleurs résultats que l’opposition de centre-gauche du Parti démocrate, dont le soutien est estimé à 21-25 %.

Forza Italia et Lega, deux autres partis de la coalition gouvernementale de Meloni, ne semblent se maintenir avec entre 8 et 10,5 % chacun.

En Espagne, cette tendance à droite se confirme également, où Vox devrait augmenter sa représentation de deux à trois eurodéputés, tandis que les nouveaux venus « Se Acabó La Fiesta » (La Fête Est Finie), également identifiés comme populistes d’extrême droite, obtiendront pour la première fois deux ou trois eurodéputés, selon les sondages de sortie des urnes.

Le FPÖ, parti d’extrême droite, arrive aussi en tête en Autriche, doublant son nombre d’eurodéputés pour atteindre six, après avoir obtenu près de 27 % des voix.

La deuxième place est occupée par le parti de centre-droit ÖVP, avec cinq députés (contre sept auparavant) et 23,5 % des voix, et les socialistes du SPÖ, avec également cinq députés et 23 % des voix.

En Allemagne, l’Alternative für Deutschland (AfD) a réalisé une percée notable, malgré la résistance des partis traditionnels. En effet, le parti chrétien-démocrate CDU et CSU a obtenu un peu plus de 30 % des voix, comme en 2019 (29 %), suivi par le parti d’extrême droite AfD en deuxième position avec 16,5 %, contre 11 % en 2019. Les sociaux-démocrates du chancelier Olaf Scholz s’effondrent avec 14 %, et les Verts avec 12 %.

En Hongrie, en dépit d’une légère érosion, le Fidesz de Viktor Orbán maintient son emprise.

Enfin, aux Pays-Bas, où le vote avait lieu jeudi, les résultats des urnes indiquent que le parti PVV de Geert Wilders, sept mois après sa victoire surprise aux législatives, confirme sa progression puisqu’il obtiendra sept sièges (1 siège en 2019), mais les Verts-Gauche-Travaillistes, résistent et devrait même obtenir huit sièges néerlandais au Parlement européen et ainsi remporter une courte victoire.

À lire aussi : Séisme en Syrie : un malheur sans fin

Les Résultats en France

En France, le taux de participation définitif estimé à 51,4%, score le plus haut depuis 1994. Ce qui fait des européennes, les élections qui mobilisent le plus les Français après les présidentielles.

Le Rassemblement national (RN), à l’heure où sont écrites ces lignes, aurait obtenu un score historique avec un peu plus de 31 % des voix, soit plus de deux fois le nombre de voix obtenues par la liste de la majorité présidentielle de Mme Hayer, qui a recueilli seulement 14,6% des suffrages, tout juste devant celle de Raphaël Glucksmann et du Parti socialiste-Place publique (moins de 14%).

La France insoumise avec moins de 10% obtiendrait neuf sièges, LR (7,2%) six sièges (au passage et comme en 2019, Bellamy sauve encore une fois l’honneur quoi qu’en pensent les centristes de la droite molle et déconnectée !), EELV (5,5%) cinq sièges (soit une perte de 5 sièges par rapport aux résultats de 2019) et Reconquête de Marion Maréchal, avec 5,4%, gagnerait cinq sièges.

Ces résultats sont particulièrement dévastateurs pour le parti présidentiel, Renaissance.

Le Rassemblement National (RN) de Marine Le Pen a une fois de plus démontré sa capacité à capter le vote protestataire, dépassant largement le parti présidentiel Renaissance et confirmant son statut de principal opposant à la politique d’Emmanuel Macron.

À lire aussi : Séisme en Turquie et en Syrie : la solidarité occidentale à géométrie variable

La dissolution de l’Assemblée Nationale en France

Face à cette défaite cuisante, Emmanuel Macron a pris une décision radicale et surprenante en annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale et donc l’organisation d’élections législatives anticipées dès le 30 juin et le 7 juillet. Cette décision audacieuse vise à rétablir son autorité et à relancer son agenda réformiste, mais elle comporte également des risques considérables. D’ailleurs, dès les premières minutes après l’annonce présidentielle, la réaction de la majorité des observateurs politiques et même dans le camp de la macronie, complètement affolée, fut : « c’est une folie ! » ou encore « c’est extrêmement dangereux ». Car sur le papier et seulement une heure après les résultats des européennes, cette dissolution amènerait inévitablement à Matignon un Premier ministre RN et un gouvernement issu du parti de Marine Le Pen. Or rien n’est encore joué et ne sous-estimons pas Emmanuel Macron. Même s’il s’est révélé être depuis 7 ans un pitoyable homme d’État, il n’en reste pas moins un redoutable tacticien politique…

Explications…

La dissolution de l’Assemblée nationale par Macron peut être perçue comme une tentative de reprendre l’initiative politique et de sortir de l’impasse législative. Avec un parlement divisé et une majorité affaiblie, la mise en œuvre de ses réformes est, de fait, devenue de plus en plus difficile. En provoquant de nouvelles élections législatives, Macron espère obtenir un mandat clair pour poursuivre son action.

Certes c’est une stratégie très risquée, mais Macron est un joueur et il sait que ce sont souvent les coups les plus risqués qui sont les plus payants !

Déjà, avec cette décision, on ne parle déjà plus du succès du RN aux élections européennes et encore moins du bilan présidentiel de plus en plus catastrophique. Mais ce n’est qu’un répit de 3 semaines…

En attendant, la stratégie du Président, qui n’est pas sans risque, demeure limpide et peut se décomposer en deux phases.

D’abord, dans le meilleur des cas pour Macron, cette décision pourrait également lui offrir une opportunité, même s’il est actuellement très rejeté de toute part, de reconquérir un électorat désabusé en présentant un programme renouvelé, tout en se positionnant comme le champion des réformes difficiles mais nécessaires pour moderniser la France (pour rassurer la bourgeoisie et les centristes de gauche et de droite). Parallèlement, il va surtout se présenter comme le grand rempart face à la « Grande Peur » de « la bête immonde aux portes du pouvoir » (il sera aidé en cela par la majorité des médias mainstream !) et il peut compter ainsi, avec sûrement des alliances locales objectives, comme lors des entre-deux tours de 2017 et 2022, sur ses idiots utiles de la gauche. Une gauche française qui, à la différence de la droite, se révèle souvent, lorsque l’enjeu est de taille, comme « la gauche la plus intelligente du monde » en réactivant des alliances salvatrices pour contrer coûte que coûte l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite ! Dans ce cas là, il est fort probable que nous assistions alors plutôt à une cohabitation avec une gauche unie, qui serait beaucoup plus facile à gérer pour l’Elysée…

D’autant que, que les législatives ne sont pas les européennes et que malgré le résultat écrasant du RN dimanche soir et ses précédents succès historiques aux présidentielles et surtout aux législatives de 2022 avec 89 députés, le parti lepeniste n’a toujours pas eu le temps de s’implanter solidement au niveau local. Surtout que ces élections législatives anticipées, décidées dans la précipitation et l’affolement, et prévues en plein début des grandes vacances estivales, vont obligatoirement générer de gros problèmes organisationnels, de logistiques voire de mobilisation pour tous les participants…

Enfin, Macron mise sur une nouvelle erreur stratégique du RN et la légendaire bêtise de la droite française. Car l’histoire politique le prouve. On n’arrive jamais seul au pouvoir ! Et si Marine Le Pen rejette la main tendue de Reconquête ! et refuse de négocier le futur pouvoir et localement des sièges à l’Assemblée avec le LR – ou ce qu’il en reste -, avec notamment des élus Républicains non macron-compatibles (ce qui lui a coûté la victoire des seconds tours de 2017 et 2022 et ce qui a fait dire à certains, peut-être à juste titre, qu’elle ne voulait pas le pouvoir comme son père et qu’elle servait de fait le « système »), le RN risque fort de ne pas transformer l’essai de ce 9 juin et le pari du Président peut ainsi s’avérer un succès…

À lire aussi : Séisme turco-syrien, quand la géopolitique se rappelle à son bon souvenir…

Un scénario à la Balladur pour Bardella ?

Si la première phase de la stratégie présidentielle décrite précédemment ne se réalise pas comme prévu et dans le pire des cas pour Macron, le RN parvient finalement à se renforcer et à remporter seul ces législatives anticipées, sa majorité risque fort d’être néanmoins assez faible. C’est la seconde phase de la stratégie macronienne qui serait déployée.

Jordan Bardella serait toutefois envoyé à Matignon. Avec, comme on l’a dit une majorité toute relative et sans alliance (avec un risque de motion de censure rapide), le pays sera ingouvernable. C’est le piège ultime de Macron qui ne manquera pas, cela ne fait aucun doute, à savonner, dès qu’il en aura l’occasion, la planche de son nouveau Premier ministre, plongé dans un chaos savamment calculé par l’Elysée. Car quid par exemple de la continuité sécuritaire durant les Jeux Olympiques ou des éventuels troubles (dans les banlieues et ailleurs) téléguidés par LFI durant cette période ?

Bardella devra tenir 3 ans dans ces conditions déplorables. En politique c’est une éternité… Il sera en première ligne et l’épreuve et l’usure du pouvoir feront leur œuvre plus vite que prévu. Son potentiel échec discréditera le RN pour 2027. Au passage, Marine Le Pen se frottera tout de même les mains secrètement puisque toute ambition présidentielle de son flamboyant et fringuant second sera alors annihilée. L’histoire politique de la Ve République nous le rappelle : tout Premier ministre sortant, qui s’est présenté à la présidentielle, n’a jamais réussi à accéder à la magistrature suprême.  

Et même si Bardella se révèle être au final un Premier ministre efficace, un véritable homme d’État, fin stratège, et qu’il parvient habilement à déjouer les pièges et les embuches pour imposer et réussir malgré tout quelques réformes importantes comme par exemple sur la sécurité, la justice, l’immigration… (ce qui sera encore très compliqué dans le contexte que nous venons de décrire), très appréciées par la majorité des Français, il va se sentir pousser des ailes et s’émanciper de la tutelle de Marine pour vouloir devenir le nouveau champion du RN capable de briser enfin le fameux plafond de verre des Le Pen… C’est l’autre calcul de Macron !

La nature humaine étant ce qu’elle est, l’ambition politique est comme l’appétit, elle vient en mangeant ! Et là, nous pourrions alors assister à un scénario du type Balladur/Chirac de 1995 et donc à un clash plus ou moins virulent entre Marine et Jordan dont personne à ce jour ne peut prévoir encore l’issue et surtout l’impact sur l’élection présidentielle de 2027… Ce qui est certain, c’est que le piège d’Emmanuel Macron aura alors brillamment fonctionné et il aura encore gagné !

Pour l’heure et quoi qu’on en pense, Marine Le Pen et Jordan Bardella ont des cartes maîtresses en mains (près de 45% d’électeurs de droite ou souverainistes, toutes listes confondues !), reste à savoir s’ils garderont la tête froide et s’ils parviennent, à court et moyen terme, à les jouer au mieux pour remporter la partie !

Quoi qu’il en soit, ces dernières élections européennes ont marqué un tournant dans la politique européenne et française. La montée des partis dit populistes témoigne, que cela nous plaise ou non, d’un véritable malaise démocratique de l’Union européenne et le désir de changement profond parmi les électeurs européens. Pour Emmanuel Macron, la dissolution de l’Assemblée nationale est un pari audacieux qui pourrait soit relancer sa présidence, soit précipiter le pays dans une crise politique majeure. Les mois à venir seront donc cruciaux pour déterminer si cette stratégie portera ses fruits ou si elle conduira à une recomposition totale, positive ou pas, du paysage politique français.

À lire aussi : Bardella, l’outsider qui dégrippa la politique ?


#électionsUE, #ParlementEuropéen, #droiteEuropéenne, #socialdémocrates, #libéraux, #populistes, #eurosceptiques, #Italie, #Espagne, #Autriche, #Allemagne, #Hongrie, #PaysBas, #France, #RassemblementNational, #EmmanuelMacron, #dissolutionAssemblée, #MarineLePen, #JordanBardella, #politiqueFrançaise, #RolandLombardi

Shares
Retour en haut