Avril 2021, alors que des procès en laxisme au sujet de la Justice française fusent dans l’actualité, le nouveau garde des Sceaux, Dupond-Moretti, monte au créneau et exprime sa stupéfaction dans un entretien accordé au Monde : pour lui, c’est un gros malentendu, un problème de communication entre les magistrats et les Français qui ne font plus, à tort, confiance dans la Justice de leur pays.
Pour le brave Éric du ministère de la Justice, de même que l’insécurité qui n’est qu’un sentiment peu étayé par la réalité, les statistiques ou les faits divers, le laxisme judiciaire français n’est qu’une impression, une rumeur basée sur des épiphénomènes trop mis en avant par une presse qui ne sait plus faire son travail.
C’était en 2021.
En quelques années, du côté du ministère, les choses n’ont guère évolué (les sentiments du peuple ne sont pas les bons) et si, du côté du peuple, les choses ont, elles, évolué, c’est en pire. Au point qu’on hallucine à présent sur des faits divers de plus en plus consternants.
Ainsi, on découvre que l’univers carcéral sait s’adapter aux contingences du monde moderne, dans lequel les hommes d’affaires doivent rester en contact avec leurs vendeurs et leurs fournisseurs, comme en témoigne l’étonnante impunité de Mohammed Amra, directement responsable de la mort de deux agents pénitentiaires lors de son évasion récente pendant un transfert :
Cette “découverte” d’une prison particulièrement laxiste s’inscrit assez bien dans le thème maintenant récurrent d’un léger décalage entre ce que le peuple attend d’une justice efficace et d’un système pénitentiaire idoine et la réalité, nettement plus créative.
En 2014 par exemple, ces colonnes notaient par exemple que l’apathie de la justice française dans un nombre croissant de cas alimentait une certaine forme de lâcheté des individus, forcés à une prudente absence d’intervention dans de nombreux cas ; du reste, la sénatrice Laurence Rossignol avait fait les frais de cet état général de délabrement du traitement des innocents, des victimes et des agresseurs (en déclenchant la nécessaire hilarité de l’observateur devant ce délitement pourtant tragique).
Dix ans plus tard, la gangrène semble s’étendre.
C’est normal après tout, les services publics subissent tous une déliquescence généralisée, malgré des impôts toujours plus forts et un nombre d’agents publics toujours plus élevé, il n’est dès lors que logique que la Justice suive la même tendance.
Logiquement, lorsqu’on relâche les crapules, elles récidivent ; ceci ne donne donc pas envie d’intervenir et de risquer sa peau (ou pire de se retrouver accusé), et ça ne met évidemment pas un terme aux agissements criminels. La réalité est cruelle, mais il s’observe avec constance que les cons, non punis, recommencent. Les cons, en liberté, refont les mêmes conneries et ceux qui constituaient une menace, toujours libres, continuent étonnamment de constituer encore et toujours des menaces…
Heureusement et malgré ce constat, les médias et les politiciens trouvent toujours pléthore d’experts et autres analystes contorsionnistes de la statistique expliquant que tout ceci n’est pas vrai, et que non, décidément, la justice n’est pas laxiste, les chiffres ne mentent pas, ce qui permet d’affirmer avec un aplomb de subventionné que – conformément à ce que dit toute la magistrature, le Garde des Sceaux et les médias, la justice n’est pas laxiste, un point c’est tout.
Bien évidemment, on n’encombrera pas l’esprit de l’homme de la rue des notions qui permettent d’affirmer ces chiffres avec aplomb voire culot. Peu importe qu’on confonde assez généralement le nombre de détenus, le nombre de mis sous écrou, le nombre de condamnés à de la prison (il y a ainsi plusieurs milliers de condamnés non détenus – entre 12.000 et 15.000 selon le moment de l’année). On ne rappellera pas qu’un peu plus de 44% des peines fermes prononcées sont de deux ans ou moins de prison, ce qui signifie que ces “condamnées” ne verront pas de cellule, et qu’ils continueront donc à gambader à l’air libre (l’idée d’une assignation à résidence est évidemment grotesque, il n’y a pas assez de personnel pénitentiaire pour réellement suivre ce beau monde qui représente tout de même 23.000 personnes actuellement).
De même, on ne rappellera surtout pas qu’en France, le nombre de places de prisons est trop faible (en effet, la France compte 88 places de prison pour 100 000 habitants là où la moyenne européenne s’établit autour de 130 places ce qui revient à dire qu’il faudrait construire 28.000 places environ). Non seulement, on ne veut pas construire de prison, mais on ne veut pas s’affranchir d’une bonne raison de ne pas y envoyer les individus dangereux (ce serait dommage de surcharger ces établissements, voyez-vous).
Peu importe aussi que les temps de procédure soient devenus calamiteusement longs, éloignant toujours plus la sanction du crime, ce qui est l’inverse même de ce qui serait souhaitable. Pire : les codes de procédure ne cessant d’enfler, le nombre de vices dans ces procédures augmente lui aussi, ce qui fait autant de personnes relâchées pour des aspects purement techniques ou des boulettes de la police ou de la magistrature (s’il y a rature dans magistrature, ce n’est pas totalement un hasard). Il s’agit parfois de prévenus dangereux, ou qui ont déjà des casiers lourdement chargés et qui peuvent donc reprendre tranquillement le cours de leurs activités. Rassurez-vous, tout est sous contrôle.
Ces vices de procédure sont d’ailleurs d’autant plus nombreux que les institutions sont elles-mêmes de plus en plus corrompues, comme le notent certains indicateurs que les ministères minimisent avec diplomatie.
Mais surtout, chaque jour qui passe, chaque couteau fou qui fait des zig-zags dans le bidou tendre d’un Français passant par-là, chaque cambriolage qui tourne en viol collectif, chaque rodéo ou course-poursuite qui termine en homicide, vient apporter la preuve que ces chiffres n’ont qu’un ancrage modéré dans la réalité. Le nombre d’OQTF non appliquées est ainsi, en lui-même, une démonstration par l’évidence que la justice a, effectivement, complètement perdu pied avec la réalité : on condamne à l’expulsion, et… Rien : il n’y a pas expulsion et le pseudo-expulsé peut continuer à pratiquer son “art”. Autant condamner à une séance de trampoline ou à des bières tièdes, ce sera aussi efficace.
Et de surcroît, l’actualité fournit de façon pluri-hebdomadaire des cas de criminels qui, n’ayant purgé qu’une portion congrue de leur peine, se retrouvent libérés en bonne et due forme ce qui leur permet de reprendre leurs activités néfastes assez rapidement. Combien de cas de violeurs qui peuvent recommencer à fréquenter les mêmes quartiers, les mêmes rues que leurs victimes, voire recommencer à violer ? Combien de cas de meurtriers relâchés après quelques années à l’écart, qui reviennent narguer les proches de leur(s) victime(s), voire recommencer à tuer ? Combien de mois de sursis pour des multirécidivistes qu’on reprendra, en liberté bien sûr, au milieu d’une scène de crime, à brailler “c’est pas moi” ?
A contrario, on ne s’étonnera guère de la sanction lorsqu’un magistrat se fait lui-même cambrioler. Dans ce cas, le sursis ne semble jamais requis. En somme, la Justice française est un peu “à la fortune du pot” et elle marche d’autant mieux que c’est entre confrères (et beaucoup moins pour la plèbe ou les petites gens sans fortune).
Et malgré tout ça, sans surprise, et malgré les cris de dénégations, les sondages réalisés auprès des Français sont sans ambiguïté : 87% d’entre eux estiment (oh, les vilains) que la Justice est trop laxiste.
Il y a un véritable divorce entre les Français qui observent les résultats de leur justice et les magistrats qui refusent de voir ou de comprendre qu’ils ne font plus du tout ce qui est attendu d’eux (la justice est aveugle, eux aussi apparemment). Il serait temps pour eux d’arrêter de fuir la réalité, d’arrêter de prétendre à un travail extraordinaire de leur part alors qu’une majorité de personne pense, observe et fait directement l’expérience, dans son actualité et dans sa chair pour une partie croissante, de l’exact opposé.
Alors oui, peut-être la justice n’est pas laxiste. Peut-être démontre-t-elle juste chaque jour qu’elle ne fonctionne plus, ou en tout cas, plus dans ses fondements traditionnels : elle a cessé d’être une justice par le peuple (ses magistrats s’en sont extraits bien vite et beaucoup ne sont plus que des idéologues qui cherchent à réinsérer alors que leur première mission est, avant tout, de protéger la société et les victimes), et elle a cessé d’être une justice pour le peuple : elle est (volontairement ?) devenue faible avec les forts, forte avec les faibles, complexe au point d’être illisible, inepte au point de relâcher des tueurs, d’excuser des violeurs, de pardonner aux impardonnables.
Et les politiciens, les experts, les médias et surtout les magistrats peuvent bien fermer leurs petits poings et se rouler par terre en criant “non, non, non”, le constat est sans appel : le peuple a tranché et pour lui, si la justice n’est pas laxiste, au moins est-elle complètement viciée.
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