Les purges au sein de l’UE : le cas de la Slovénie

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Les relations de Milovan Djilas (à gauche) avec le dirigeant yougoslave Josip Broz Tito étaient complexes. Interrogé sur Tito vers la fin de sa vie, Djilas a simplement répondu : “Je ne peux pas dire que nous sommes amis, mais je ne peux pas non plus dire que nous sommes ennemis.” Photo : RadioLiberty (rferl.org)

Par Sébastien Marco Turk

La Slovénie a été longtemps perçue comme le pays le plus performant de l’Union Européenne parmi les anciens membres du bloc socialiste ou de l’Est. Elle fut la première à rejoindre la zone euro et à adhérer à l’espace Schengen. Cependant, cette réussite est principalement de nature extérieure. La Slovénie se distingue des autres États de l’ex-alliance communiste en ce sens qu’elle n’a pas effectué une rupture avec son passé totalitaire. Par conséquent, elle n’a jamais procédé à la lustration, c’est-à-dire à l’épuration de son administration des vestiges du pouvoir totalitaire. Dans le dernier ouvrage, Enchaînés par la liberté, qui traite des transitions manquées dans certains pays de l’ancienne Europe de l’Est, je cite Milovan Đilas, un éminent dissident. Malgré plus de dix ans passés dans les geôles de la Yougoslavie de Tito, Đilas est devenu un des critiques les plus féroces du communisme mondial. Sa connaissance approfondie de cette idéologie lui a permis de formuler l’observation suivante : « Le pouvoir est l’alpha et l’oméga du communisme moderne, même si ce dernier tente de prétendre le contraire. Idées, principes philosophiques, contraintes morales, nation, peuple, leur histoire et même, en partie, leur propriété – tout peut être modifié et sacrifié. Seul le pouvoir est intouchable, car y renoncer signifierait que le communisme abandonnerait sa propre essence. Les individus peuvent le faire, mais pas une classe, un parti ou une oligarchie, car le pouvoir constitue le but et le sens de leur existence » (Milovan Đilas, La nouvelle classe dirigeante). Curieusement, bien que ces mots aient été écrits en 1957, ils demeurent d’une actualité pour la Slovénie contemporaine, et leur pertinence s’étend également à des pays comme la Chine ou la Russie, où les éléments de l’économie de marché se mêlent à une idéologie rigide, mutatis mutandis, puisque la Slovénie est au cœur des alliances euro-atlantiques.

Pourtant, En Slovénie, le culte public du communisme est unique dans l’Union européenne. L’étoile rouge reste un symbole obligatoire lors des célébrations nationales, et l’Internationale est encore l’hymne de nombreuses organisations publiques, comme les syndicats. Néanmoins, ces manifestations ne sont que des exemples visibles. Le principal instrument de l’ancienne nomenklatura non démocratique, aujourd’hui réadaptée à l’Europe moderne, est le contrôle strict de la hiérarchie du pouvoir. Les postes clés de la police, de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle sont occupés par des cadres particulièrement loyaux. La Slovénie souffre également d’une absence de liberté de la presse, tous les journaux subissant une censure sévère pour des motifs idéologiques.

La situation s’est détériorée avec l’ascension au pouvoir du parti dirigé par l’actuel Premier ministre, Robert Golob. Ce parti a pris les rênes du gouvernement juste après la grande pandémie, en avril 2022, en promettant de « libérer » les citoyens et d’améliorer significativement leur qualité de vie. Cependant, il est rapidement devenu évident que cette prétendue « libération » servait surtout de couverture pour remplacer les titulaires de postes qui étaient politiquement neutres ou indéfinis. En conséquence, le gouvernement a initié des purges systématiques au sein du secteur publique, en préparant ce qu’il appelait des « listes de liquidation », un terme qu’il n’hésite pas à utiliser publiquement. Lors de ces événements, Robert Golob a employé une rhétorique rappelant les purges staliniennes, en parlant de « nettoyer, dégager » du personnel.

L’attention s’est particulièrement portée sur l’organe le plus crucial pour la diffusion des informations dans le pays : la télévision publique nationale. Il était essentiel d’y « nettoyer » les employés qui n’étaient pas totalement loyaux envers le nouveau régime. La législation introduite par le gouvernement actuel pour s’emparer rapidement de ce principal canal d’information était, en effet, inconstitutionnelle. De ce fait, elle a été contestée devant la Cour constitutionnelle de la République de Slovénie, qui devait se prononcer sur sa suspension.

Cependant, un événement inattendu s’est produit. Alors que la Cour constitutionnelle examinait la loi controversée, Vera Jurova, vice-présidente de la Commission européenne, leur a rendu visite. Cette intervention, survenant précisément lors des délibérations, constituait une ingérence manifeste de la part du plus haut niveau exécutif européen dans les affaires judiciaires d’un pays tiers, exerçant une pression directe sur un pouvoir du gouvernement qui devrait rester indépendant. Il est important de noter que cette visite n’était pas fortuite, car Vera Jurova avait été explicitement invitée en Slovénie. À ce sujet, le professeur Bostjan M. Zupancic, ancien juge à la Cour constitutionnelle et à la Cour européenne des droits de l’homme, a souligné : « Lorsque j’étais juge à la Cour constitutionnelle, de 1993 à 1998, nous n’avons jamais invité de personnalités politiques. Le problème ne réside donc pas chez Vera Jurova, mais bien chez l’actuel président de la Cour, M. Accetto, qui l’a accueillie. Et celui-ci est parfaitement au courant de qui elle est. » Il est également à noter que Matej Accetto est le seul président de la Cour constitutionnelle de l’UE à avoir été publiquement pris en flagrant délit de mensonge.

Ceci constitue une collision notable, un affrontement entre deux intérêts fortement discutables. La polémique ne s’arrête toutefois pas là. Selon les informations disponibles, Mme Jurova n’a visité que deux cours constitutionnelles de l’UE au cours des quatre dernières années, à l’exception de celle de son propre pays à Brno : une en Roumanie et une autre en Slovénie. Ses deux visites en Slovénie sont uniques en Europe ; ce pays, l’un des plus petits du continent, ne présente pas de défis juridiques majeurs. Que ce serait-il passé si elle avait assisté à une session de la Cour constitutionnelle allemande ou française en plein débat sur une loi cruciale ? Sans doute, la presse européenne aurait été, une fois de plus, scandalisée par son geste. Une demande de révocation de son poste aurait probablement suivi. L’épilogue de cette affaire a été prévisible, compte tenu des événements antérieurs : la Cour constitutionnelle a validé la loi controversée, et une censure d’information a été instaurée sur le principal service d’information du pays, la télévision nationale. Une telle situation est sans précédent en Europe.

C’est la seule façon d’expliquer le phénomène dont nous allons parler. Dans les pays de l’ancien socialisme réel, les retraités constituent une classe particulièrement vulnérable. En Slovénie, ils sont réunis au sein du parti Le 1. Octobre, dirigé par Pavle Rupar. Ce dernier possède un fort charisme. Chaque mois, il rassemble des dizaines de milliers de retraités devant les chambres du Parlement et se bat pour leurs droits. Jamais dans l’histoire de la Slovénie un individu n’a réussi à rassembler autant de personnes chaque mois, régulièrement. Si l’on considère que la Slovénie compte deux millions d’habitants, il s’agit d’un nombre très important. Imaginez que quelqu’un en Pologne ou en France soit capable de rassembler quelques centaines de milliers de personnes chaque mois. Mais malgré cela, la télévision nationale ignore complètement ces manifestations, même si elles expriment l’intérêt profond du peuple slovène.

L’histoire trouve une analogie en Pologne où, sous Donald Tusk, la police a investi la télévision publique et fermé l’agence de presse, actions pour lesquelles Vera Jurova (et les autres) ont mis fin à une enquête sur la violation de l’État de droit, récompensant ainsi ces mesures. Le wokisme néo-marxiste a tellement imprégné les institutions de Bruxelles que nous assistons aujourd’hui à une érosion fondamentale de la démocratie en Europe. Les gens ne peuvent plus considérer les médias comme des porte-paroles authentiques de leurs intérêts.

Revenant à la Slovénie, il existe encore quelques chaînes de télévision indépendantes et privées, bien que leur influence ne soit pas à l’échelle de la TV nationale. Parmi elles, Nova 24tv, détenue par quelques centaines de petits actionnaires, s’est distinguée. Cependant, cette chaîne a subi une descente de police le 29 mai, et le domicile de son directeur et rédacteur en chef, Boris Tomasic, a été perquisitionné sans mandat, une manœuvre clairement intimidante. L’opposition parlementaire a immédiatement dénoncé cet abus évident de la loi. Pour la première fois, des dirigeants des institutions européennes ont réagi de manière constructive. Manfred Weber, président du Parti populaire européen, a déclaré : « Aucun gouvernement de l’UE ne devrait jamais punir un média pour avoir exprimé une opinion divergente. Le Parti populaire européen ne tolérera pas l’usage politique de la justice. Nous demandons à la Commission européenne d’enquêter d’urgence sur cette affaire et de défendre la liberté des médias ainsi que l’État de droit en Slovénie. » Cependant, nous devons garder la tête froide. L’impact de ses propos et l’influence de l’administration européenne sont soulignés par cet événement survenu récemment : la police a de nouveau rendu visite au domicile du directeur de Nova 24tv, prétextant s’être trompée d’adresse avant de repartir. C’était le 4 juin.  Une intimidation aussi flagrante ne peut être ignorée. Donc, les dirigeants des institutions européennes semblent davantage ressembler à un tigre sans dents que personne ne prend au sérieux. En effet, il faut remettre en contexte la déclaration de M. Weber qui a lui-même récemment admis que la Commission européenne avait été trop politique durant son mandat. C’est-à-dire qu’elle a implicitement encouragé les attaques contre tous les sujets qui n’étaient pas politiquement corrects. Qu’on se rappelle les cas de Pologne et de Hongrie.

Qu’est-ce que cela signifie à la lumière des élections européennes ? Cela se passe de commentaires. La classe politique à Bruxelles qui ne saurait pas ce qu’est la vraie démocratie doit être mise à la porte. Sinon, c’est eux qui nous y mettront.


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