Nous nous attendions tous à un bouleversement du paysage politique. Pourtant, contrairement à ce que la presse veut faire penser aux masses — qui ne sont pas dupes —, quasiment rien ne change à l’issue de ces élections législatives : aucune large majorité ne se dégage de manière évidente et les Français sont mécontents. Il faut dire que tout a été fait pour les tromper, et que le spectacle que nous offrent aujourd’hui nos représentants est indigne d’un pays qui se revendique d’une telle tradition républicaine et démocratique. Emmanuel Macron est probablement le seul à pouvoir former une coalition qui aura la chance de gouverner, tant bien que mal, face à des oppositions très virulentes car frustrées.
Au centre, jouer la montre
Il s’agit avant tout d’un coup de génie, si l’on peut dire, d’Emmanuel Macron. Ce dernier a réussi à tirer son épingle du jeu et à éviter à son parti de se faire balayer. Le grand duel devait se jouer entre la gauche et la droite, mais son centre a su manipuler ses deux adversaires afin de conserver une place importante au sein de l’Assemblée Nationale. Le maintien provisoire de Gabriel Attal n’a rien de scandaleux : rien n’oblige le président à nommer immédiatement un nouveau Premier ministre, d’autant que le faire sur un coup de tête reviendrait à se jeter à l’aveugle dans une aventure de cohabitation.
Macron joue la montre, et il a parfaitement raison : il attend de voir quelles alliances sortiront des négociations et des affrontements qui commencent déjà dans l’hémicycle. C’est pourquoi il a adressé cette lettre aux Français, afin de gagner du temps. Le temps joue pour lui, et contre le Nouveau Front Populaire, qui sait que son alliance de circonstance finira rapidement par exploser, et que sa victoire n’est que d’apparence, maintenant que le bruit des bottes s’éloigne au loin et que l’on se rend compte que LFI n’est que troisième. Le NFP a besoin d’un Premier ministre et d’un gouvernement qui lui donnerait une raison de rester soudé, un peu comme un couple battant de l’aile qui déciderait de faire un enfant pour se donner une raison d’exister.
À gauche, la tentation de la violence
Sans majorité absolue, la seule stratégie qui reste à la gauche est de mettre la pression au maximum pour obtenir le pouvoir le plus rapidement possible quitte à flirter avec les limites de la légalité : on ne sait jamais, sur un malentendu, ça peut marcher.
Voilà donc pourquoi Jean-Luc Mélenchon a exigé la nomination d’un Premier ministre NFP dès le soir du deuxième tour. Sa rhétorique absolue et violente vient appuyer cette stratégie. Dans son discours au soir du deuxième tour, il parle « d’une écrasante majorité », explique que « la volonté du peuple doit être strictement respectée », que « les leçons du vote sont sans appel », que « le président a le devoir d’appeler le NFP à gouverner » et que ce dernier n’appliquera « rien que son programme et tout son programme ».
Un mensonge répété dix mille fois devient-il une vérité ? Il sait que plus les négociations durent, plus le Parti socialiste est susceptible de rejoindre le centre macroniste dans une coalition. Après tout, La France Insoumise seule n’a que 70 sièges à l’Assemblée, à peine plus que le Parti socialiste, sans lequel le NFP n’est plus majoritaire. Voilà aussi pourquoi la LFI hurle au scandale à propos du maintien d’Attal à Matignon. Voilà enfin pourquoi la terreur de ces dames, Adrien Quatennens, appelle de manière tout à fait mussolinienne à marcher sur Matignon, pourquoi la cégétiste Sophie Binet veut mettre l’Assemblée « sous surveillance » de la rue. Cela révèle la nature profonde de La France Insoumise et de l’extrême-gauche en général, qui se trouvent bien davantage en dehors des clous « républicains » qu’un Rassemblement National largement adouci depuis des années.
On distinguait historiquement la gauche révolutionnaire de la gauche réformiste. Aujourd’hui, elle est un peu des deux, car l’époque est à la main de fer dans un gant de velours. On trouve dans la même alliance François « Flamby » Hollande et Raphaël Arnault, dangereux fondateur et porte-parole de la Jeune Garde antifasciste, une milice extrêmement brutale coupable de nombreuses agressions et intimidations. À première vue, la violence politique n’est plus de mise à l’heure d’une couverture médiatique omniprésente, de la cancel culture et des lynchages publics. Big Brother vous regarde ? Non, tout le monde vous regarde, et c’est encore plus efficace. La présidente de mon jury de thèse de doctorat, l’historienne Anne-Claude Ambroise-Rendu, parlait à propos de la fascination du public pour les faits divers d’une « société qui se contemple et se juge ». Internet a exacerbé ce phénomène de manière exponentielle. C’est pourquoi aujourd’hui tout le monde est officiellement démocrate, républicain, réformiste, bref…tout le monde est gentil. Mais le naturel revient au galop, et la gauche de Mélenchon nous montre bien qu’elle ne restera non-violente qu’à une condition : que les urnes lui donnent ce qu’elle souhaite, c’est à dire le pouvoir.
Contrairement à ce qu’elle veut faire penser, l’extrême gauche n’a absolument pas remporté ces élections, et la plupart des médias se rendent coupables de mensonge — de fake news dirait-on aujourd’hui — en l’affirmant. Une alliance hétéroclite de partis très différents qui ont une courte majorité relative, alors d’ailleurs qu’ils ont obtenu beaucoup moins de voix que d’autres partis, comme le Rassemblement National qui obtient à lui seul trois millions de voix de plus que tous les partis de gauche réunis.
À droite, la désillusion
En réalité, ce n’est pas la gauche qui a gagné, mais le RN qui a perdu. Il a perdu tout d’abord politiquement. Le fameux cordon sanitaire, le « théâtre antifasciste », fonctionne toujours, et l’extrême droite continue de faire peur, même si les raisons de cette peur ont globalement changé depuis la fameuse « dédiabolisation » : c’est bien davantage sa supposée incompétence que d’hypothétiques idées extrémistes qui font réfléchir à deux fois l’électeur tenté par ce vote avant de glisser son bulletin dans l’urne.
Le RN est isolé politiquement, même si cette isolation, nous l’avons vu avec le ralliement des ciottistes, commence doucement à s’estomper. Il a perdu médiatiquement, massivement attaqué de toutes part par l’immense majorité des journaux, chaînes d’information et autres youtubeurs qui sous couvert de neutralité et d’analyse ont travaillé en réalité à sa perte. Le RN a perdu stratégiquement par rapport à l’objectif qu’il s’était fixé : Matignon. Il a offert à Macron, sur un plateau, un moyen de pression pour faire le fameux barrage. Car le jour où le RN parviendra au pouvoir, la peur qu’il inspire s’estompera en grande partie, et l’on se rendra compte qu’il est un parti de gouvernance (probablement pas de gouvernement) comme les autres. Inoffensif, car muselé par Bruxelles.
Il faut dire que le RN a des problèmes, à commencer par ses candidats. Pris de cours par cette dissolution surprise, la commission d’investiture a dû travailler rapidement, et cela se voit. Si les candidats sérieusement douteux ne sont en réalité qu’une dizaine sur plus de cinq cents, contrairement à ce qu’en ont dit les médias qui ont dépeint un parti de chemises noires, le RN est dans une situation assez délicate au regard de l’opinion publique pour faire du choix de ses candidats sa priorité absolue.
S’il veut un jour gouverner, il doit être absolument irréprochable. Marine le Pen, ensuite, s’est tenue assez largement à l’écart de la campagne, menée par Jordan Bardella, et avec raison. Car son nom n’inspire pas confiance. Pour les plus bêtes, il est celui de Jean-Marie, pour les plus réalistes, celui d’une double perdante, peu sérieuse sur ses dossiers, qui s’est ridiculisée en public face à Emmanuel Macron. Et vu le niveau intellectuel de ce dernier, il faut vraiment le vouloir. Surtout, Marine le Pen ne veut pas parvenir aux affaires. Ce qui n’est peut-être pas le cas du jeune loup Bardella, qui est une force et une faiblesse.
La force d’un jeune homme dynamique, qui présente bien, qui parle bien. Mais la faiblesse aussi d’une jeunesse qui n’a jamais travaillé en dehors du Rassemblement National (ce qui n’est pas en soi un argument, mais l’opinion publique se fiche de la raison ou de la logique). Il lit bien ses fiches, mais il lit ses fiches. C’est un bon élève, mais il n’a pas la carrure d’un grand chef d’État. Du moins, pas pour le moment.
Malgré tout, le RN a obtenu beaucoup plus de voix que ses adversaires. Cela s’explique par le fait qu’il avait beaucoup plus de candidats, renforcé par les désistements issus d’alliances entre les macronistes et les mélenchonistes. Car oui, le résultat de ce second tour est bel et bien le produit d’une alliance entre le centre et la gauche, les uns se désistant pour les autres. Mécaniquement, le RN obtient plus de voix, alors que les deux « vainqueurs » se partagent les voix l’ayant battu. Cela pose la question du mode de scrutin. Le scrutin uninominal à deux tours est une aberration en cela qu’il favorise les tractations, arrangements et autres magouilles entre les deux tours, dont l’efficacité vient d’être démontrée : le parti le plus fort est battu par « l’alliance » des partis les plus faibles. Cela serait acceptable si ces partis avaient un programme commun. Or, ils se haïssent.
Le mode de scrutin uninominal à deux tours en cause ?
Ces élections nous donnent une leçon : nous devons réfléchir à adapter notre système électoral et nos modes de scrutins, afin que l’Assemblée reflète la volonté du peuple. Car en effet, si l’élection n’avait comporté qu’un tour, en supposant que les Français aient voté de la même manière, le Rassemblement National disposerait aujourd’hui d’environ 300 députés, au-dessus donc de la majorité absolue.
Mais comment rendre une élection plus juste ? Malheureusement, aucune forme de scrutin n’est complètement juste. Tous ont des défauts en fonction des cas qui se présentent. La proportionnelle réduit les chances qu’une majorité se dégage, mais elle a le mérite de refléter fidèlement le vote. Un bonus de sièges pour le parti arrivé en tête peut permettre de pallier son principal défaut. Le scrutin de Condorcet est le plus juste en théorie, puisqu’il permet d’élire le candidat qui aurait battu tous les autres dans tous les cas de figure, autrement dit celui que les électeurs préfèrent face à chacun des autres candidats.
Or ce type de scrutin favorise l’élection du plus consensuel des candidats, voire empêche parfois qu’un candidat se dégage de la masse.
Dans tout cela, il ne ressort que deux choses : la composition de l’Assemblée Nationale ne correspond pas aux aspirations du corps électoral, et une réflexion doit être entamée au niveau national afin de donner aux Français les moyens d’être représentés et de pouvoir s’exprimer. N’oublions pas ce slogan américain de la guerre d’indépendance : « No taxation without representation ». Si le Peuple n’a plus voix au chapitre, nous ne sommes plus en démocratie, mais dans une tyrannie.
Et s’il y a tyrannie, une autre maxime s’impose alors, celle que l’on attribua à Marcus Junius Brutus : sic semper tyrannis.
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