Enquête exclusive pour Le Diplomate – Espagne : un discours universitaire et politique sous influence iranienne

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La vice-présidente du gouvernement espagnol, Yolanda Diaz sous emprise des mollah ? Montage Le Diplomate

« La Palestine sera libre, du fleuve jusqu’à la mer » : la récente déclaration de la vice-présidente du gouvernement espagnol, Yolanda Diaz, apparaît comme le symptôme d’une corruption idéologique orchestrée par le régime iranien. Depuis des années, les autorités de Téhéran ont en effet mis en place une stratégie d’infiltration des milieux universitaires et politiques en Espagne, parfois avec la complicité active de certains militants ou représentants de l’Etat espagnol.

Par Francis Mateo

L’université catalane de Lleida a coordonné, le 10 avril dernier, la première grande rencontre du réseau Universitaire pour la Palestine (RuxP) en Espagne, également connu sous le nom très explicite des « universités sans apartheid face au génocide en Palestine ». Avec une conférence de Francesca Albanese, rapporteur spécial des Nations unies, exigeant la « suspension, avec effet immédiat, de la coopération avec les institutions universitaires, les entreprises et les centres publics ou privés associés israéliens, la rupture des relations diplomatiques et de toutes les relations commerciales entre le gouvernement espagnol et Israël ». Un message relayé auprès d’une quarantaine d’universités espagnoles, parfois avec la complicité active de certains recteurs, comme dans l’académie d’Oviedo. Dans le même temps, les campements d’opposition à Israël s’organisaient sur les campus, de Madrid aux Canaries, en passant par Valencia et Séville. Un discours très hostile à l’Etat hébreu s’est ainsi répandu et imposé en quelques jours dans les milieux universitaires, avec des accusations de « génocide » et « crime contre l’humanité » coordonnées notamment depuis l’Université de Lleida. Cet établissement catalan fait partie d’un groupe de sept universités espagnoles ayant signé un accord de coopération, sous l’autorité de leur ministère espagnol de tutelle, avec les autorités universitaires iraniennes (1), lors d’un symposium organisé par l’université Allameh Tabataba’i (ATU) de Téhéran en février 2021. Un accord marqué par « l’engagement mutuel à explorer et à renforcer la coopération dans divers domaines universitaires ».

Des partenariats universitaires sous contrôle des services secrets et de sûreté iraniens

« Il est important de souligner qu’il n’existe pas d’universités indépendantes en Iran, où toutes les institutions académiques sont sous le contrôle direct du régime », explique Maneli Mirkhan, cofondatrice franco-iranienne de House of Liberty. Cette ONG milite contre les influences de l’extrémisme et du totalitarisme, notamment en provenance d’Iran et du Corps des Gardiens de la Révolution Isamique (CGRI), désignée comme organisation terroriste par les États-Unis. Or, le CGRI jouit d’un accès sans limite à toutes les universités iraniennes et à leurs partenariats internationaux, et favorise activement ces rapprochements. « Le tissage de ces liens internationaux avec des institutions universitaires a deux objectifs », poursuit Maneli Mirkhan : « Il s’agit d’une part d’importer un savoir-faire par des transferts de technologies et des projets de recherche en commun ; par ailleurs, ces partenariats visent à répandre l’idéologie du régime, à travers notamment des programmes d’échanges entre étudiants qui sont toujours supervisés par Herasat (services secrets et de sûreté de l’Etat, ndlr), dont les représentants sont présents dans toutes les universités et entreprises iraniennes .

L’article sur l’islamisme de Jaime Villamuera en tant que représentant de l’université Antonio de Nebrija (Madrid), quelques mois après la signature des accords de coopération d’Allameh Tabataba’i, témoigne de la diffusion de cette propagande : « Si l’objectif de l’islamisme est de gouverner la société selon les principes de cette religion, sa plus grande réussite au cours des dernières décennies a été d’établir la République islamique d’Iran », affirme l’universitaire dans le journal en ligne El Orden Mundial, s’appliquant à démontrer que « la principale référence de l’islamisme modéré est le mouvement des Frères musulmans », un parti ayant selon lui « renoncé à la violence », contrairement aux groupes terroristes djihadistes d’Al-Qaïda, Daesh, Boko Haram au Nigeria, ou même les Talibans en Afghanistan. Pour le grand reporter Emmanuel Razavi, auteur du livre « La face cachée des mollahs » (éditions du Cerf), c’est une présentation biaisée de la réalité qui tend à occulter « les liens historiques entre le fondateur de la République islamique d’Iran, Khomeini, et les Fedaysin é islam, branche iranienne et chiite des Frères musulmans ». Une relation qui persiste aujourd’hui, précise ce spécialiste du Moyen-Orient : « L’Iran soutient et finance le Hamas, la branche palestinienne des Frères musulmans, dont il a formé au moins 400 combattants. En clair, la république islamique d’Iran utilise les Frères musulmans en Palestine comme en Europe pour faire de l’influence et affaiblir son ennemi historique : Israël »

« La théorie du train de Lénine »

L’emprise du régime iranien en Espagne agit ainsi comme un « soft power » pour imposer un récit, depuis le monde universitaire jusqu’aux cercles du pouvoir politique, surtout lorsque ces deux milieux se confondent comme dans le cas du parti Podemos. Car cette formation d’extrême gauche est née littéralement sur les campus espagnols, fondée en 2014 par un groupe d’universitaires, dont Iñigo Errejón, Juan Carlos Monedero, Pablo Echenique, et surtout le très influent Pablo Iglesias (vice-président du gouvernement espagnol en 2020 et 2021). Ce dernier a longtemps profité des largesses du régime iranien envers sa société de production 360 Global Media. Entre 2012 à 2015, le financement de l’émission La Tuerka, qui servait chaque semaine de tribune télévisée à Pablo Iglesias et à Podemos sur divers canaux numériques, avait ainsi été signalé dans un rapport du Sepblac (service d’Etat de lutte contre les infractions financières), parmi un flux financier de 9,3 M€ en provenance de Téhéran, avec des soupçons de blanchiment d’argent à travers ces rétributions.

Retiré des affaires politiques depuis sa défaite électorale de 2021 à Madrid, le fondateur de Podemos n’en reste pas moins actif, notamment à travers ses nouveaux programmes sur Hispantv (« Fort Apache » ou « Spoilers »), la web-télévision iranienne en castillan à destination du public d’Espagne et d’Amérique latine. Celui qui se considère désormais comme « politologue » reste très discret sur les montants du financement de ses émissions, mais en assume parfaitement l’origine du gouvernement iranien. Il y a deux ans, devant un parterre de militants d’extrême gauche, il justifiait même cette stratégie politique selon « la théorie du train de Lénine » : « Pendant la première guerre mondiale, les Allemands avaient intérêt à mettre un train à disposition de Lénine pour lui permettre d’atteindre la Russie afin de la déstabiliser », explique Pablo Iglesias ; De la même manière, « les Iraniens s’intéressent à la diffusion d’un discours de gauche en Amérique latine et en Espagne parce que cela affecte leurs adversaires… et nous en profitons ! Pour moi, celui qui fait de la politique doit assumer et surmonter ses contradictions (…) : les femmes qui travaillent sur HispanTV doivent être voilées. Est-ce que cela me plaît ? Non. Est-ce une raison suffisante pour refuser de travailler pour cette chaîne ? Non ! Car je pense que ce que nous faisons est plus efficace ».

De la parole aux actes terroristes

Pour l’ex-chef de parti reconverti en leader d’opinion, la fin justifie donc les moyens : « C’est de la politique ! ». Au risque -clairement assumé- de servir de cheval de Troie à des commanditaires avec d’autres fins… et d’autres moyens.

Six jours après avoir été accusé sur HispanTV de défendre l’invasion de Gaza comme une réponse au « fondamentalisme islamique » iranien, et de soutenir « l’occupation coloniale sioniste », Alejo Vidal-Quadras s’est fait tirer dessus en plein visage, le 9 novembre dernier, par un homme armé d’un pistolet. Un attentat commis en milieu d’après-midi au centre de Madrid auquel il a survécu presque par miracle. ex-député et vice-président du Parlement européen, Alejo Vidal Quadras est connu comme fondateur du parti d’extrême droite Vox, et comme défenseur international du mouvement d’opposition iranien du Conseil National de la Résistance Iranienne, ou Moudjahiddines du peuple (2). « À ce titre, j’étais considéré depuis plus d’un an par le régime iranien comme l’ennemi public numéro un en Espagne », commente la victime de cet attentat dont l’origine ne fait pour lui aucun doute. Même si la police n’est pas parvenue à arrêter le tireur présumé, Mehrez A., un tunisien disposant d’un passeport français qui reste à ce jour toujours en fuite. « Je n’ai pas de preuves, mais tous les éléments le prouvent : le frère du tueur à gages a déjà travaillé pour la République islamique et le modus operandi est conforme aux assassinats ou tentatives de meurtres perpétrés par les Gardiens de la révolution en Europe ». Il faut aussi rappeler, pour comprendre les mobiles de cet attentat, que la création de Vox par Alejo Vidal Quadras avait été soutenue financièrement par la CNRI en 2013 (le parti aurait directement reçu 800.000 € à l’époque de la part de l’organisation des Moudjahiddines).

Flambée d’antisémitisme et montée de l’islamisme radical en Espagne

Malgré les accusations directes de l’ex-vice-président du Parlement européen, l’ambassade d’Iran à Madrid reste muette. Et le gouvernement de Pedro Sanchez s’est abstenu du moindre commentaire sur cet attentat pourtant commis en plein jour au centre de la capitale espagnole. Une discrétion pour le moins étonnante de la part d’un gouvernement qui ne se prive pourtant pas de déclarations tonitruantes à l’heure d’attaquer Israël (3), participant ainsi d’un climat qui inquiète la communauté juive d’Espagne. « Après l’attaque terroriste du 7 octobre, de nombreux Israéliens qui vivent ici nous ont appelés pour nous dire qu’ils avaient très peur, qu’ils avaient été harcelés ; des gens qui ont la double nationalité, des Juifs et des amis des communautés juives… Tous se sentent affectés par la flambée d’antisémitisme que nous connaissons en ce moment », explique le président du Mouvement contre l’Intolérance (et co-directeur de l’Observatoire de l’antisémitisme en Espagne), Esteban Ibarra.

De son côté, le Centre National de Renseignement (CNI) de la police espagnole confirme la montée en Espagne d’un islamisme radical, comme le souligne un récent rapport. Ce document secret a affleuré en septembre dernier, lorsqu’il a été présenté comme argument par le CNI devant un tribunal, afin de refuser un passeport espagnol à un ressortissant marocain « pour des raisons d’ordre public ou d’intérêt national ». L’avertissement recueilli dans la sentence précisait que ce Marocain était « un membre actif du mouvement islamiste radical des Frères musulmans ». Une réalité qui contraste sérieusement avec les discours de propagande sous influence de Téhéran.

(1) Les signataires espagnols de cet accord sont les universités d’Alicante, Lleida, Saint-Jacques de Compostelle, ainsi que quatre établissements de Madrid : Université Autonome, Complutense, Nebrija et Carlos III.

(2) Organisation islamo-marxiste, qui a soutenu Khomeini lors de la révolution de 1979 avant de passer dans l’opposition puis de rejoindre les rangs de Saddam Hossein.

(3) En mai dernier, le ministre des Droits sociaux Pablo Bustinduy Amador a appelé les entreprises espagnoles à se retirer d’Israël pour ne pas se rendre complices du « génocide en Palestine »


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