Par Razika Adnani – Son site : https://www.razika-adnani.com
TRIBUNE. La philosophe et islamologue Razika Adnani retrace l’histoire du mouvement islamiste du Hamas, et plaide pour une recherche active de paix dans la région.
Le conflit israélo-palestinien avait déjà commencé lorsque Hassan el-Banna (1906-1949) a créé, en Égypte en 1928, la confrérie des Frères musulmans pour organiser la lutte des conservateurs contre la modernisation de la société et ramener les croyants vers l’islam des premiers musulmans, les salafs. Il a vu dans le conflit en Palestine un moyen pour réaliser son objectif. Il a alors décidé de faire de la cause palestinienne la cause de la confrérie et, pour cela, il en a fait celle de l’islam et de tous les musulmans. C’était pour lui une façon de présenter sa confrérie comme celle qui s’engageait pour la défense de l’islam, pour mieux toucher les sentiments des populations musulmanes, répandre son idéologie et donner à sa organisation une envergure internationale.
Pour faire face à ceux qui lui disaient qu’une association égyptienne devait s’occuper des problèmes de l’Égypte, el-Banna a repensé le concept de « patriotisme ». Il lui a consacré une partie de la profession de foi et lui a donné une dimension qui va au-delà des frontières nationales. L’idée est donc qu’un musulman se sente patriote de tout pays où l’islam règne et en particulier de la Palestine, Terre sainte de l’islam.
Pour convaincre davantage les Égyptiens, et ensuite tous les musulmans, que la cause palestinienne les concernait tous, il a présenté le sionisme comme un mouvement ne se limitant pas à un territoire particulier, mais dont l’objectif était de soumettre tous les États arabes et la nation (oumma) musulmane à son pouvoir et à l’intérêt des juifs.
Il a insisté sur la notion du jihad, présenté comme un devoir pour tout musulman afin de libérer la Palestine des juifs, qui ne comprenaient, selon lui, que la force. Ainsi, alors que c’était l’époque de la naissance des nationalismes dans le monde arabe, et donc particulièrement en Palestine, el-Banna a décidé de faire de la cause palestinienne une cause de nature différente, à part en la transformant en une cause de religion.
Un engagement sur le terrain
Pour mettre ses idées en pratique, Hassan el-Banna s’est engagé sur le terrain. À partir de 1933, il réserve à la Palestine et au conflit israélo-palestinien une place importante dans sa revue hebdomadaire. Il envoie des missionnaires dans les mosquées égyptiennes, dans les pays arabes et au Maghreb pour sensibiliser les populations à la cause palestinienne. Il appelle les musulmans à implorer Dieu, lors de la prière, de protéger la Palestine et de mener les musulmans à la victoire contre les juifs, tout en sachant l’impact psychologique que cela peut avoir sur eux.
En 1945, il ouvre à Jérusalem la branche palestinienne des Frères musulmans et sa confrérie s’investit dans le combat armé en Palestine, notamment lors de la guerre de 1948. En 1947, il rejette la résolution 181 de l’ONU préconisant la partition de la Palestine en deux États indépendants. Pour le leader des Frères musulmans, si les Palestiniens acceptent la résolution de l’ONU et déclarent la naissance de leur État, comme l’a fait Israël, et que le conflit se termine, la confrérie perdra son sujet principal, son moyen de lutte.
ll joue alors un rôle important dans le refus de la résolution et la déclaration de la guerre de 1948 menée par les pays arabes contre Israël. Grâce à la cause palestinienne, el-Banna a pu infiltrer la société, interpeller les dirigeants des pays arabes et avoir une grande influence sur leurs décisions. Le phénomène de l’entrisme frériste n’est pas spécifique à l’Occident.
En faisant de la cause palestinienne la cause de l’islam, et de ce fait la cause de tous les musulmans, la confrérie égyptienne des Frères musulmans a confisqué au peuple palestinien sa cause et lui a ôté le droit, dont disposent tous les peuples, de décider librement de son destin et de celui de son pays. Yasser Arafat (1929-2004) a fondé le Fatah, « Mouvement de libération national de la Palestine », en 1959 dans l’objectif d’en faire un mouvement national et non religieux palestinien ouvert à tous les Palestiniens. Contrairement aux Frères musulmans qui limitaient, eux, la participation à la lutte pour la Palestine aux membres de leur confrérie contrôlée par les Égyptiens.
Le Hamas, une âme égyptienne
Le Hamas est une branche des Frères musulmans qui a été créée en 1987 à Gaza. Sa charte de 1988 reprend fidèlement les idées d’el-Banna et son combat. Comme son nom l’indique, le Hamas est un « Mouvement de résistance islamique » et non palestinienne. Il lutte pour la Palestine comme terre d’islam davantage que comme terre des Palestiniens.
Il ne dit pas qu’il est constitué de Palestiniens mais de musulmans qui adoptent ses idées (art. 3 et 4). De ce fait, le peuple palestinien n’est pas seulement celui qui lutte contre Israël, mais aussi celui qu’on peut utiliser comme moyen de lutte pour la gloire de l’islam, ce que nous déduisons du discours de ses dirigeants après les attaques du 7 octobre 2023.
Dans son document de 2017, le Hamas affirme que la Palestine est une Terre sainte pour les musulmans et les chrétiens mais passe sous silence le fait qu’elle est également une Terre sainte pour les juifs, bien avant les chrétiens et les musulmans. Or, le Coran lui-même, dans le verset 21 de la sourate 5, rappelle que Dieu a accordé la Terre sainte au peuple de Moïse.
Cette dissimulation volontaire de la réalité historique et coranique montre que l’objectif de la confrérie demeure la réalisation de son projet religieux mais surtout politique. Négliger ou abroger des recommandations coraniques pour des besoins politiques n’est pas inédit dans l’histoire de la relation des musulmans avec les textes coraniques.
Des Frères musulmans à La France insoumise
Aujourd’hui, les Frères musulmans n’ont pas changé d’un cran la stratégie de leur fondateur. C’est en utilisant la même cause palestinienne qu’ils continuent leur combat pour s’imposer en Occident. Ils en ont même inspiré d’autres. Dans l’Hexagone, Jean-Luc Mélenchon a, lui aussi, vu dans la cause palestinienne le meilleur moyen pour renforcer son parti politique, La France insoumise.
Tout comme Hassan el-Banna, il n’a pas eu tout à fait tort étant donné que, grâce à la cause palestinienne, il a pu obtenir neuf sièges au Parlement européen. Cependant, utiliser la cause palestinienne comme moyen pour réaliser ses objectifs politiques, ce n’est pas défendre le peuple palestinien mais profiter de son malheur pour servir ses propres intérêts. On ne peut défendre le peuple palestinien que si son intérêt est le seul objectif, ce n’est pas le cas d’un homme politique en pleine campagne électorale.
On ne peut pas non plus défendre les Gazaouis sans dénoncer les Frères musulmans du Hamas. Ne pas le faire revient à les soutenir. Il y a quelque chose d’immoral, notamment quand on est une femme, de jouir des droits que nous offre la France et de soutenir le Hamas, qui impose aux femmes un statut inférieur humiliant. Dénoncer le Hamas est un devoir alors que les talibans et les mollahs nous donnent un aperçu de ce qui attend les femmes quand les islamistes arrivent au pouvoir.
Ceux qui vivent à Paris, à Londres ou à New York et qui n’ont jamais vécu en Palestine ou à Gaza, ni souffert de la guerre qui ravage cette région n’ont pas le droit de scander le slogan du Hamas « De la rivière à la mer », alors qu’il signifie encore de la guerre, des morts et des malheurs. Ils n’ont pas le droit d’attiser l’antisémitisme et la haine ni de demander au peuple palestinien davantage de souffrance sous prétexte qu’ils sont musulmans et qu’ils doivent défendre l’islam.
S’ils veulent manifester pour soutenir le peuple palestinien, ils doivent le faire uniquement pour la paix, celle qu’ont voulue Anouar el-Sadate et Menahem Begin ainsi que Yasser Arafat et Yitzhak Rabin. Elle seule est dans l’intérêt du peuple palestinien, du peuple israélien et de toute la région.
Tribune publiée dans Le Point, le 01/07/2024
#FrèresMusulmans,#Palestine,#HassanElBanna,#ConflitIsraéloPalestinien,#Hamas,#Islam,#Sionisme,#Jihad,#PatriotismeMusulman,#YasserArafat,#Fatah,#MouvementIslamiste,#RésistanceIslamique,#Confrérie,#Gaza,#ONU,#1948,#MouvementNational,#LaFranceInsoumise,#JeanLucMélenchon