La Cour suprême a statué à six voix contre trois, le 1er juillet 2024, que les présidents américains bénéficient de l’immunité pour tous les actes officiels engagés lorsqu’ils sont en poste à la Maison Blanche et que ces actes ne peuvent en aucun cas être utilisés comme preuve contre eux, lors d’un procès.
Toutefois la Cour a également statué sur le fait que toutes les actions d’un président, qui ne s’inscrivent pas dans un périmètre officiel, seraient renvoyées aux juridictions inférieures. Ces dernières auront donc la responsabilité dans le cas de Donald Trump, de décider quels faits, parmi ceux qui lui sont reprochés, relèvent d’une “immunité” présidentielle, de quoi retarder une nouvelle fois la tenue de son procès fédéral.
Donald Trump fait face à des poursuites dans trois autres juridictions : une affaire pénale concernant la gestion de documents classifiés pendant son mandat ; une affaire en Georgie, concernant une prétendue ingérence électorale dans les procédures de vote dans cet État en 2020 ; l’affaire Stormy Daniels, à New- York, concernant une fraude présumée impliquant des transferts de liquidités lors de la campagne électorale pour les présidentielles 2016.
« Nous écrivons une règle pour les siècles à venir »
La question constitutionnelle, historique, sur laquelle la Cour suprême s’est penchée avec la plus grande prudence, dès le jeudi 25 avril 2024, concernait donc l’immunité « absolue », découlant de l’affaire d’ingérence électorale fédérale initiée par procureur spécial, Jack Smith. Ce dernier a accusé l’ancien président de complot en vue de frauder et de renverser le résultat des élections présidentielles de 2020, en perturbant le décompte des voix électorales, en fomentant l’émeute du Capitole américain, le 6 janvier 2021. Smith et plusieurs de ses adjoints assistaient dès lors aux plaidoiries.
La question était la suivante :
« Dans quelle mesure un ancien président bénéficie-t-il de l’immunité présidentielle contre des poursuites pénales, pour sa conduite, impliquant des actes officiels durant son mandat ? ».
Une audience spéciale, qui a duré plus de deux heures et demie, a permis aux juges de trouver un difficile terrain d’entente, qui permettront aux futurs présidents des États-Unis, d’être exemptés pénalement de leurs fonctions exécutives officielles, en tant que « Commandant en chef ». (Source : SCOTUS weighs monumental constitutional fight over Trump immunity claim, par Shannon Bream et Bille Mears, Fox News, publié le 25 avril 2024).
Au cours des débats virulents entre les neuf juges, une ligne de fracture s’est clairement dessinée entre les deux blocs, les juges à tendance libérale et ceux conservateurs. La difficile question de l’évaluation de la frontière, entre la conduite des fonctions officielles dans l’exercice de la fonction présidentielle et de celle des affaires privées, pouvant faire l’objet de poursuite, a été posée.
« Si l’on élimine toute responsabilité pénale, n’y aurait-il pas un risque important que les futurs présidents soient encouragés à commettre des crimes sans retenue durant leur mandat ? », s’est interrogé la juge Ketanji Brown Jackson en poursuivant son argumentaire :
« Si une personne, avec ce genre de pouvoirs, est désireuse d’accéder à la fonction suprême, en sachant qu’il n’y aurait aucun risque de sanction pour les crimes qu’elle pourrait commettre, je m’interroge sur le devenir du Bureau ovale, comme le siège de l’activité criminelle dans ce pays ».
Pour le juge Samuel Alito, en revanche, le risque n’est pas sans lien avec l’affaire Trump : « un président qui perd une élection très serrée et disputée, sait qu’il existe un risque réel d’être poursuivi pénalement par un adversaire politique acharné, dès qu’il aura quitté ses fonctions et que ce risque l’empêchera de profiter d’une retraite paisible. Cela nous mènera-t-il dans un cycle de déstabilisation de notre système démocratique ? ».
Plusieurs juges se sont demandés si un président américain pourrait être un jour poursuivi pour avoir commandité un assassinat par son armée d’un rival politique, pour avoir ordonné une frappe nucléaire ou exigé un pot-de-vin en échange d’une nomination politique. Le Juge en chef John Roberts, suggérait à cette question de « séparer les actes partisans des actes non- officiels ».
Le facteur-clé est le temps. La décision accélérée de la Cour suprême devait permettre le commencement d’un procès pénal avant l’élection de novembre prochain avec la sélection d’un jury dès la fin de l’été ou le début de l’automne prochain.
De son côté, Donald Trump a parié très tôt sur son sursis. La Cour suprême compte une majorité conservatrice, de six juges contre trois, dont trois de ses membres conservateurs ont été nommés à ce poste par l’accusé lui-même.
Selon les experts juridiques, la décision de la Cour suprême repoussera probablement le procès de Donald Trump pour ingérence électorale, au-delà du scrutin de Novembre 2024
Il est peu probable que l’ancien président Trump soit jugé à Washington avant le jour du scrutin. Des instructions très claires ont été données par la Cour suprême aux juridictions inférieures sur la séparation des jugements des actes officiels de ceux qui relèvent de la sphère privée.
Sur le plan logistique, il est peu probable que le procureur Jack Smith et le ministère de la Justice parviennent à faire commencer le procès de Washington ou de Floride contre l’ancien président avant Novembre prochain. Le terminer est encore moins probable.
Jonathan Turley, professeur de droit constitutionnel et contributeur à Fox News poursuit : « Jack Smith a cependant la réputation bien méritée d’être hyper agressif et il est donc possible qu’ils exercent, avec le ministère de la Justice, une pression encore plus forte sur le juge Cannon, du district sud de la Floride (…) Ce qui se retournera probablement contre eux ». (Source : Legal experts say Trump immunity ruling likely pushes election interference trial beyond Election Day, par Anders Hagstrom, Fox News, publié le 2 juillet 2024)
Smith serait dès lors contraint de rétropédaler et de créer un autre acte d’accusation de remplacement.
« Il est peu probable qu’un procès puisse avoir lieu avant les élections. Les requêtes préalables au procès ont été suspendues pendant l’appel. Le juge de district de D.C, Chutkan a sapé l’affaire en cédant au procureur Smith et en poursuivant un calendrier précipité. Le tribunal a trouvé peu de documents susceptibles de répondre aux questions de la Cour. Se précipiter de nouveau, entraînerait un résultat similaire ».
« Trump va écraser Biden en novembre ! »
Les partisans trumpistes au Congrès saluent la décision de la Cour suprême dans l’affaire historique sur l’immunité de l’ancien président, ce lundi 1 er juillet 2024.
Selon eux, la Cour vient de porter un coup fatal à la chasse aux sorcières de quatre années que les Démocrates, Biden en première ligne, ont initiée contre Donald Trump.
La présidente de la conférence républicaine à la Chambre des représentants, Elise Stefanik, dont le nom a été évoqué comme colistière potentielle de Trump, a déclaré que la décision était une « victoire historique ». (Source : Trump allies celebrate blow to « senseless lawfare » in Suprem Court immunity decision, par Elizabeth Elkind et Julia Jonhson, Fox News, publié le 1er juillet 2024)
Le chef de la majorité républicaine à la Chambre des représentants, Steve Scalise, adjoint du président de la Chambre, Mike Johnson déclare : « Avec la décision d’aujourd’hui, la Cour suprême a conclu ce que nous savons depuis toujours : un président ne peut pas être poursuivi pour ses actes officiels ».
Alors qu’il devient de plus en plus évident que la seule arme des Démocrates dans le match – revanche Trump/Biden 2024 est judiciarisation des affaires politiques du candidat républicain et du DOJ pour remporter la victoire en novembre prochain, la Cour suprême a mis fin à une guerre juridique jugée « insensée » par beaucoup d’observateurs politiques.
L’homme fort du Minnesota, troisième tête de file du parti républicain à la Chambre, Tom Emmer estime que « les Démocrates ont prouvé qu’ils feraient tout ce qui en est leur pouvoir pour détruire Trump. La décision rendue par la Cour suprême est un avancée positive dans la bonne direction ».
Poussons le scénario catastrophe pour les Démocrates jusqu’au bout : Si Donald Trump est réélu en novembre prochain, une fois rentré en fonction, ce dernier ordonne au procureur général de révoquer le procureur spécial. Certains juges de la Cour se sont demandés si Trump pourrait dans ce cas de figure, s’auto-gracier pour ses « crimes passés ou futurs ». Dans les faits, l’affaire de Jack Smith est gelée.
Ce qui affole les législateurs démocrates, qui appellent déjà à réagir, arguant que cette décision constitue un coup porté à la démocratie.
La représentante et médiatique Alexandra Ocasio- Cortey, A.O.C., (DN.Y.) a menacé d’introduire des articles de destitution contre les juges conservateurs de la Cour suprême lorsque le Congrès reprendra sa session la semaine prochaine.
« La Cour suprême est en proie à une crise de corruption qui échappe à son contrôle. La décision d’aujourd’hui représente une atteinte à la démocratie américaine. Il appartient au Congrès de défendre notre Nation contre cette mainmise autoritaire », a-t-elle publié sur le réseau social X. D’autres sénatrices comme Tina Smith, démocrate du Minnesota et Elizabeth Warren, démocrate du Massachusetts, ont renouvelé leurs appels pour élargir la Cour suprême. (Source : Congressional Dems plot revenge for Supreme Court ruling on Trump immunity, par Elizabeth Elkind, Fox News, publié le 2 juillet 2024).
Mais pour avoir une chance d’y parvenir, les Démocrates devront remporter des victoires écrasantes à la Chambre des représentants, au Sénat et à la Maison Blanche. Les derniers sondages attestent de la désaffection de l’électorat-socle pour Biden, notamment depuis sa contre-performance lors du débat avec Donald Trump. Un nouveau sondage CBS News et YouGov publié, ce week-end, a montré que près des trois-quarts des électeurs démocrates estimaient que le président Biden, âgé de 81 ans, n’avait pas la santé cognitive pour exercer les fonctions de président.
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Diplômée de la Business School de La Rochelle (Excelia – Bachelor Communication et Stratégies Digitales) et du CELSA – Sorbonne Université, Angélique Bouchard, 25 ans, est titulaire d’un Master 2 de recherche, spécialisation « Géopolitique des médias ». Elle est journaliste indépendante et travaille pour de nombreux médias. Elle est en charge des grands entretiens pour Le Dialogue.