Lors du second tour des élections législatives du 7 juillet 2024, le Rassemblement National (RN) a subi une défaite qui semble contradictoire à première vue. Malgré une augmentation significative de ses élus à l’Assemblée nationale comparativement aux élections de 2022, le parti de Jordan Bardella n’a pas réussi à transformer cette progression numérique en une victoire politique substantielle. Plusieurs facteurs expliquent cette situation paradoxale, illustrant les complexités et les dilemmes auxquels la droite française est confrontée.
Une progression numérique sans ancrage local
L’un des défis majeurs auxquels le RN a été confronté est encore une fois son manque historique d’implantation locale. Bien que le parti ait réussi à augmenter son nombre de sièges à l’Assemblée nationale (il passe de 89 députés en 2022 à 126 députés aujourd’hui), il n’était pas prêt et n’a toujours pas établi de racines profondes dans de nombreuses circonscriptions, ce qui limite son influence et sa capacité à mobiliser les électeurs au niveau local notamment avec un scrutin majoritaire à 2 tours. Et surtout après la décision surprise de dissoudre l’Assemblée par Emmanuel Macron qui a pris tous ces adversaires de court…
C’est un problème récurrent depuis 40 ans pour ce mouvement et déjà une erreur stratégique (voulue ?) par le FN (Ex-RN) de Jean-Marie Le Pen en son temps.
Cette faiblesse structurelle et organisationnelle a finalement, et encore une fois, empêché le parti de Marine Le Pen de capitaliser pleinement sur sa popularité grandissante.
De même « le phénomène Bardella » a également prouvé ses limites.
Une « Union des Droites » qui a fait pschitt…
Cette élection anticipée de 2024 aura été également marquée par une tentative du RN, fort de ses derniers résultats historiques aux dernières européennes et assuré de sa position dominante à droite, de former une “Union des droites”.
Cette stratégie salutaire à première vue a d’abord permis une réconciliation entre Marine Le Pen et sa nièce, Marion Maréchal, numéro 2 de Reconquête !
Or, contre toute attente et alors qu’il se faisait pourtant le champion de cette fameuse union des droites, Éric Zemmour, le président de Reconquête ! la rejeta. Provoquant ainsi l’explosion en vol de son parti, puisqu’il s’est vu abandonné par la quasi-totalité des figures emblématiques de son mouvement. Finalement, Éric Zemmour parviendra toutefois à présenter près de 300 des candidats face à ceux du RN lors du premier tour du 30 juin dernier (son score fut de 0,75% et n’a eu aucun qualifié pour le second tour).
Mais l’initiative qui pouvait réellement faire la différence dans ces élections, fut la main tendue aux Républicains. Or cette alliance, acceptée par le président des LR, Éric Ciotti, fut désavouée par les vieux caciques du parti (même les plus inattendus comme les conservateurs Morano, Bellamy, Retailleau ou Wauquiez !).
Ciotti, suivi notamment par Guilhem Carayon, le responsable des Jeunes des LR, sera conforté par la Justice pour son maintien à la tête du mouvement. Il fut fortement salué et soutenu dans son choix de rapprochement avec le parti lepeniste par la grande majorité de la base du parti, des militants et surtout des électeurs de la droite traditionnelle. Mais avec “Les Républicains à droite”, l’élu des Alpes-Maritimes, ne pourra présenter que 62 candidats sur 577 circonscriptions (17 seront élus).
De fait, les cadres influents des LR et surtout les responsables du centre-droit, ont refusé de s’aligner avec le RN, perçu comme trop extrême ou en désaccord avec les valeurs traditionnelles de la droite classique, tombant une nouvelle fois dans le piège du « Front républicain ». Certains, dans des triangulaires, se désisteront ou se maintiendront selon les situations, et pire, appelleront parfois à voter pour des candidats communistes ! Par exemple, l’eurodéputée LR Nadine Morano annoncera voter pour le candidat de gauche au second tour en Meurthe-et-Moselle ou encore, en maintenant volontairement leur candidat dans la 8e circonscription de l’Essonne, les LR feront perdre son siège au souverainiste Nicolas Dupont-Aignan, député depuis 27 ans, pour faire élire le candidat NFP, syndicaliste de la CGT de son état…
Cette division a ainsi fragmenté l’électorat de droite, empêchant la formation d’un front uni qui aurait pu être plus compétitif et a ainsi privé cette Union des Droites, très loin donc d’être optimale, des relais nécessaires et des appuis territoriaux de cette droite classique, qui bien que moribond sur le plan national possède encore un important maillage local…
Les LR « canal historique » passeront de 61 députés en 2022 à 39 en 2024 !
Ah cette fameuse droite orléaniste et bourgeoise… elle est incorrigible ! L’Histoire de France nous a d’ailleurs appris que dans les moments cruciaux pour le pays, elle se trouvait toujours à l’opposé des intérêts de la nation !
La France vote donc majoritairement à droite (confirmé encore par les chiffres définitifs de ces trois derniers rendez-vous électoraux, cf. le site du Ministère de l’Intérieur). Le RN parvient, même lors de ce second tour, à arriver encore en tête en nombre de voix en dépit des alliances de ses adversaires.
Or avec un mode de scrutin qui le désavantage et qui fausse la réalité des urnes, comme nous l’avons rappelé plus haut, seul contre tous et face à un gouvernement allié à une gauche « la plus intelligente du monde », le RN ne pouvait raisonnablement pas gagner.
Le Front républicain, encore la carte maîtresse d’Emmanuel Macron
Le 9 juin au soir et donc juste après sa défaite cuisante aux Européennes face au RN, le président Macron annonçait la dissolution de l’Assemblée nationale.
Dès le lendemain, j’essayais d’expliquer, dans mon dernier édito, la raison de cette décision, jugée par certains, un peu trop hâtivement peut-être, comme « suicidaire ». Pour ma part, prudent et ne sous-estimant jamais Emmanuel Macron j’écrivais alors :
« Cette décision audacieuse vise à rétablir son autorité et à relancer son agenda réformiste, mais elle comporte également des risques considérables. D’ailleurs, dès les premières minutes après l’annonce présidentielle, la réaction de la majorité des observateurs politiques et même dans le camp de la macronie, complètement affolée, fut : « c’est une folie ! » ou encore « c’est extrêmement dangereux ». Car sur le papier et seulement une heure après les résultats des européennes, cette dissolution amènerait inévitablement à Matignon un Premier ministre RN et un gouvernement issu du parti de Marine Le Pen. Or rien n’est encore joué et ne sous-estimons pas Emmanuel Macron. Même s’il s’est révélé être depuis 7 ans un pitoyable homme d’État, il n’en reste pas moins un redoutable tacticien politique… (…) La dissolution de l’Assemblée nationale par Macron peut être perçue comme une tentative de reprendre l’initiative politique et de sortir de l’impasse législative. (…) Certes c’est une stratégie très risquée, mais Macron est un joueur et il sait que ce sont souvent les coups les plus risqués qui sont les plus payants ! (…) En attendant, la stratégie du Président, qui n’est pas sans risque, demeure limpide et peut se décomposer en deux phases.
D’abord, dans le meilleur des cas pour Macron, cette décision pourrait également lui offrir une opportunité, même s’il est actuellement très rejeté de toute part, de reconquérir un électorat désabusé en présentant un programme renouvelé, tout en se positionnant comme le champion des réformes difficiles mais nécessaires pour moderniser la France (pour rassurer la bourgeoisie et les centristes de gauche et de droite). Parallèlement, il va surtout se présenter comme le grand rempart face à la « Grande Peur » de « la bête immonde aux portes du pouvoir » (il sera aidé en cela par la majorité des médias mainstream !) et il peut compter ainsi, avec sûrement des alliances locales objectives, comme lors des entre-deux tours de 2017 et 2022, sur ses idiots utiles de la gauche. Une gauche française qui, à la différence de la droite, se révèle souvent, lorsque l’enjeu est de taille, comme « la gauche la plus intelligente du monde » en réactivant des alliances salvatrices pour contrer coûte que coûte l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite ! Dans ce cas-là, il est fort probable que nous assistions alors plutôt à une cohabitation avec une gauche unie, qui serait beaucoup plus facile à gérer pour l’Élysée… »
C’est exactement ce scénario qui s’est réalisé !
Car l’autre dynamique significative de ces élections a été la réactivation par le locataire de l’Élysée du fameux « Front républicain » contre le RN avec les mêmes poncifs érodés sur « les heures les plus sombres de notre histoire » et le sempiternel reductio ad Hitlerum des déclarations pour discréditer, isoler et maintenir hors du pouvoir l’adversaire…
On l’a vu les centristes et les cadres de la droite classique ont foncé tête baissée comme en 2017 et 2022 (en échange de quoi ?).
Quant à la gauche, pour le coup « la plus intelligente du monde », elle a rapidement retrouvé ses vieux réflexes mais non moins efficaces de l’union contre les dangers de la «peste brune». Tous les courants de la gauche, communistes, verts et socialistes, n’ont pas hésité une seconde, eux, sans scrupules et toute honte bue, à s’allier contre le RN au sein d’un Nouveau Front Populaire, et ce, avec l’extrême-gauche et le parti majoritaire LFI !
Oubliés donc la violence des amis de Mélenchon (le candidat LFI, antifa et fiché S, Raphaël Arnault a même été élu député dimanche !), leurs appels à l’insurrection en juillet 2023 lors des émeutes, leurs déclarations anti-flics et antisémites, leurs délirantes et dangereuses positions pro-migrants et communautaristes ainsi que leur soutien assumé aux islamistes et aux terroristes du Hamas ! C’est passé crème ! Sacré « privilège rouge » (Goldnadel)…
Ajoutons à cette coalition hétéroclite et parfois antagoniste, une « alliance du déshonneur » (Bardella) entre l’exécutif et le NFP, dans une stratégie de désistements mutuels et concertés en cas de triangulaire face au RN, et vous avez les résultats de dimanche soir : NPF en tête, avec 184 sièges (dont 78 pour LFI, 9 pour le PC, 69 pour le PS et 28 pour les écolos), et Ensemble (99 élus) + alliés, 168 sièges.
Pour résumer donc, le nombre d’électeurs RN et alliés est 44% supérieur au nombre d’électeurs du Nouveau Front Populaire ! Tous les perdants du premier tour se sont ainsi ligués pour faire perdre celui arrivé en tête en nombre de voix (aux premier et second tours, 10 110 011 voix) ! Ubuesque et inédit dans la plupart des démocraties de la planète digne de ce nom !
Quoi qu’il en soit, la première phase du piège de Macron s’est déroulé comme prévu. Il a écarté le RN du pouvoir et il a même « sauver » son parti. Reste à savoir comment il va gérer la suite avec le NFP… à moins que ce dernier n’éclate tout seul comme en son temps la NUPES…
En attendant, certains observateurs évoquent un inévitable blocage et une crise institutionnelle à cause de l’absence de majorité absolue. A voir. Pour Julien Aubert, « c’est ingouvernable car dans cette Assemblée des castors, 3 blocs minoritaires ne peuvent gouverner seuls, mais ne peuvent non plus s’allier au Parlement. La seule majorité possible, sans LFI mais avec Ensemble, serait une trahison ».
Or comme disait le grand Michel Audiard : « Il y a une chose plus grave que la trahison, c’est la bêtise ! »
On l’a dit, en bêtise, la droite française s’y connait…
Quant à Macron et tous les «progressistes» du « camps du Bien », il ne faut pas s’inquiéter pour eux. Ils ont su s’allier pour contrer le RN et préserver leur Système. Ils trouveront bien assurément un moyen de s’entendre pour nous constituer une belle coalition de bric et de broc et une « union nationale » des plus excentrique, progressivo-bourgeoise, centro-libéralo-socialiste ou démocrato-communiste… Tout en poussant toujours un peu plus encore ce pays au bord du précipice…
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Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue, spécialiste du Moyen-Orient et des questions de sécurité et de défense. Fondateur et directeur de la publication du Diplomate.
Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à Excelia Business School de La Rochelle.
Il est régulièrement sollicité par les médias du monde arabe. Il est également chroniqueur international pour Al Ain. Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment : « Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI – Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l’Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L’Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104. Il est l’auteur d’Israël au secours de l’Algérie française, l’État hébreu et la guerre d’Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.). Co-auteur de La guerre d’Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d’Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022. Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020.
Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l’influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) – Préface d’Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023).
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