“Le féminisme islamique : une imposture intellectuelle”

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féministes musulmans
Les féministes islamiques ont ainsi d’autres objectifs. Elles ont besoin de prouver qu’elles sont musulmanes et surtout qu’elles ne revendiquent les mêmes droits que les femmes revendiquent en Occident. Photo DR.

Par Razika Adnani – Son site : https://www.razika-adnani.com

TRIBUNE. La philosophe et islamologue Razika Adnani estime que le « féminisme islamique » ne porte pas un projet émancipateur pour les femmes musulmanes.

Le féminisme islamique est présenté, par beaucoup et notamment en Occident, comme une solution pour les femmes musulmanes afin qu’elles puissent accéder à l’égalité. Beaucoup de femmes de confession musulmane désirant s’émanciper regardent également la démarche des féministes islamiques comme le meilleur moyen leur permettant de donner une légitimité à leurs revendications. Quant à l’appellation « féminisme islamique » que les adeptes de ce mouvement, revendiquent, elle vient du fait que ces militantes se présentent comme celles qui dénoncent les discriminations à l’égard des femmes, toute en inscrivant leur lutte pour « les droits des femmes à l’intérieur du cadre religieux musulman » (Asma Lamrabet, Féminisme islamique, asma-Lamrabet.com). Il s’agit d’un féminisme « de et par l’islam, et à partir des références islamiques », précise Asma Lamrabet. Ainsi, le féminisme islamique prend l’islam comme source de légitimité de son combat et pour cadre délimitant son champ et une femme musulmane ne peut, dans ce cas, revendiquer un droit que s’il est validé par l’islam.

L’islam n’y est pour rien ?

Mais, pour les féminismes islamiques, cela ne pose aucun problème, car l’islam est une religion de justice et d’égalité.  « Je conteste la tendance à vouloir trouver dans les textes l’origine de l’inégalité entre les sexes, de l’oppression et du patriarcat », écrit Asma Barlas (Asma Barla, Féminismes Islamiques de Zahra Ali, éditions La Fabrique 2012, p. 81). « Rien dans les textes coraniques ne peut justifier ou cautionner une quelconque discrimination envers les femmes »atteste Asma Lamrabet . C’est le premier principe sur lequel se fonde leur mouvement. Le second concerne l’islam tel qu’il a été pratiqué pendant la période prophétique. Pour les féministes islamiques cette partie de l’histoire des musulmans a été celle de l’égalité et de la justice, car « l’islam originel ne fait pas la promotion d’un quelconque patriarcat, mais au contraire promeut l’égalité des sexes » (Margot Badran, Féminismes Islamiques de Zahra Ali, éditions La Fabrique 2012, p. 49).

Ainsi, pour les féministes islamiques, les discriminations dont sont victimes les femmes dans les sociétés musulmanes ne sont pas dues à l’islam, mais au contraire à une sortie de ses enseignements et du chemin tracé par le prophète. Quant à la cause, elles l’attribuent à l’interprétation masculine erronée des textes coraniques. De ce fait, elles avancent la réinterprétation qu’elles veulent féminine comme solution pour en finir avec ces discriminations. Cette nouvelle herméneutique, selon Margot Badran, a pour objectif de confirmer de manière convaincante que les recommandations du Coran instaurent l’égalité homme-femme. Parmi les textes coraniques que les féministes islamiques ont soumis à la réinterprétation se trouve le verset 34 de la sourate 4, Les Femmes, qui reconnaît, selon les commentateurs, l’autorité de l’homme sur la femme : « Les hommes ont une qawama (traduite par autorité) sur les femmes en raison des privilèges que Dieu accorde à certains par rapport à d’autres et en raison des biens qu’ils dépensent […]. » Elles affirment que le terme qawama ne signifie pas l’autorité, mais renvoie à l’idée de subvenir aux besoins des femmes au moment de porter ou d’élever les enfants. Quant aux privilèges dont parle le verset, elles racontent qu’il s’agit de la part de l’héritage que le Coran a accordé à l’homme, qui est égal au double de celle qui revient à la femme pour justement subvenir aux besoins de celle-ci pendant cette période de vulnérabilité.

« Les féministes islamiques font certes de la rhétorique mais n’arrivent pas à prouver que les inégalités existant dans les textes coraniques ne sont pas des inégalités »

Si l’on admet que le terme qawama ne signifie pas l’autorité, cette interprétation ne règle pas le problème. En voulant démontrer qu’il n’y a pas d’inégalité dans les textes coraniques, elle atteste les inégalités successorales et confirme, par là même, l’idée que les conservateurs utilisent pour les justifier. Pire, elle complique davantage la condition des femmes. Car si pour les conservateurs l’homme prend en matière d’héritage une part qui est égale au double de celle qui revient à la femme, il a le devoir de subvenir aux besoins de sa femme tant qu’elle est en vie. Alors que, selon ces féministes, le partage en matière d’héritage ne change pas mais l’homme n’a le devoir de subvenir aux besoins de sa femme qu’à une certaine période de sa vie. Rappelons que certaines femmes ne se marient pas ou n’ont tout simplement pas d’enfant.

Un autre verset que les féministes islamiques soumettent à la réinterprétation est celui qui s’adresse aux hommes en leur disant : « Vos femmes sont vôtre (harth) labour ; allez donc à vos (harth) champs comme vous l’entendez », verset 223 de la sourate 2, La vache.

En se référant à l’imam Sayid Fadlaallah, Asma Lamrabet raconte que le terme harth signifie non pas le champ de labour comme le pensent certains, mais « la source de la vie ». Pour elle, ce verset stipule donc la liberté sexuelle dans le couple, la richesse et la vie et n’appelle à aucun traitement négatif à l’égard de la femme. Cependant, si l’idée de harthcomme métaphore semble intéressante, cela ne change pas que le texte s’adresse aux hommes et non aux femmes, et ce sont les hommes qui disposent de cette liberté sexuelle et de cette source de vie que sont les femmes.

Ainsi, les féministes islamiques font certes de la rhétorique mais n’arrivent pas à prouver que les inégalités existant dans les textes coraniques ne sont pas des inégalités. Elles n’arrivent pas à démontrer que le commentaire est le seul responsable d’un sens dérangeant. En effet, bien que la subjectivité du commentateur ne soit pas à exclure, celui-ci « ne génère pas le sens indépendamment du texte » (Razika Adnani, Islam : quel problème ? Les défis de la réforme, UPblisher, France, 2017, Afrique Orient, Maroc, 2018).

L’interprétation féminine comme moyen pour accéder à l’égalité homme-femme ne fait que fragiliser le discours de ces féministes et complique le combat des femmes dans les sociétés musulmanes pour accéder à l’égalité en droits. Car, d’une part, la vérité n’est ni masculine ni féminine et cela non seulement au sujet de la femme, mais aussi de toutes les questions qui se posent, et, d’autre part, pourquoi une interprétation féminine serait-elle plus valable et plus juste qu’une interprétation masculine ? Comment ces féministes pourraient-elles convaincre les sociétés musulmanes conservatrices de remplacer une interprétation masculine par une interprétation féminine ?

Prétendre que tous les versets du Coran attestent l’égalité femme-homme implique soit que les Arabes du VIIe siècle reconnaissaient déjà aux femmes les mêmes droits que les hommes alors que d’une part, le principe d’égalité entre tous les êtres humains appartient à la modernité et, d’autre part, ce n’est pas non plus ce que raconte l’histoire de cette société.

« Il ne s’agit pas d’efficacité seulement, mais aussi d’honnêteté morale et intellectuelle »

Soit que le message coranique n’est pas inscrit dans la culture du peuple auquel il s’est adressé ni ne répond pas aux exigences du temps et du lieu alors que le Coran lui-même affirme qu’il a parlé aux Arabes un langage qu’ils comprenaient. « Nous avons fait de ce Livre explicite une lecture arabe afin que vous puissiez le comprendre », disent les versets 2 et 3 de la sourate 43, Les Ornements. Le verset 4 de la sourate 14, Abraham, affirme également que le message du prophète s’inscrit dans son époque. « Nous n’avons envoyé aucun messager qui n’ait parlé la langue de son peuple afin de les éclairer (…) ». Au VIIIe siècle, les mutazilites, adeptes de l’école théologique rationaliste le mutazilisme, disaient que les Arabes n’auraient jamais pu adhérer au message coranique et avec une telle rapidité si le Coran leur avait parlé de valeurs morales et sociales qu’ils ignoraient totalement.

Toutes ces incohérences et ces interprétations contre interprétations nous amènent à rappeler qu’il est pourtant plus efficace de reconnaître les inégalités qui existent dans les textes et de les déclarer caduques tout comme cela a été fait pour d’autres recommandations du Coran. Il ne s’agit pas d’efficacité seulement, mais aussi d’honnêteté morale et intellectuelle.

Une idée préalablement établie et un féminisme non occidental

Cependant, ces féministes, qui ne sont pas que des femmes car parmi elles il y a également des hommes, ne sont pas dans une étude scientifique ou dans une approche objective des textes coraniques. Elles ont une idée préalablement établie qu’aucune inégalité n’existe dans les textes coraniques dont elles veulent prouver la justesse au détriment de la vérité et de la cohérence, ce que ces textes ne valident pas. On ne peut pas forcer un texte à dire ce qu’il ne veut pas dire.

Mais ce n’est pas la seule explication. Les féministes islamiques veulent également démontrer que leur féminisme n’est pas importé de l’Occident. Elles refusent ce qu’elles appellent « féminisme occidental » et s’y opposent comme le précise Zahra Ali dans l’ouvrage collectif : Féminismes Islamiques. Pour elle, le féminisme occidental est un féminisme colonial qui veut « déterminer pour les femmes du Sud les modalités de leur émancipation » (Zahra Ali, Féminismes Islamiques, Parsi, La Fabrique 2012, p. 31). Pourtant, la majorité de ces femmes ne sont pas « des femmes du Sud » mais du Nord. Elles vivent en Occident et beaucoup y sont nées.

Pour comprendre cette position, il est important de savoir que le féminisme islamique remontant aux années 1970 appartient à un autre mouvement plus large, celui des modernistes islamiques qui a vu le jour après l’échec de la Nahda ou « renaissance », portée par des modernistes, et la victoire des islamistes. Contrairement aux intellectuels de la Nahda, ceux de la post-Nahda revendiquent une modernité islamique issue de l’islam. Eux aussi prétendent que les problèmes que rencontrent les musulmans n’ont rien à voir avec l’islam mais découlent uniquement d’une interprétation erronée des textes coraniques.

Le féminisme islamique, d’autres objectifs

Les féministes islamiques ont ainsi d’autres objectifs. Elles ont besoin de prouver qu’elles sont musulmanes et surtout qu’elles ne revendiquent les mêmes droits que les femmes revendiquent en Occident. Deux objectifs qui ne sont pas ceux du féminisme et comportent le risque de devoir accepter les discriminations à l’égard des femmes. Voilà pourquoi, beaucoup de femmes qui se disent être des féministes portent le voile comme signe qu’elles sont musulmanes. Elles se contredisent avec elles-mêmes car le voile est une pratique discriminatoire à l’égard de la femme.

Elles peuvent prétendre qu’elles le font par choix personnel. Cependant, elles le portent au nom de la charia qui non seulement ne reconnaît pas le principe de liberté mais aussi, dans toutes ses règles, considère les femmes comme des êtres inférieurs et les hommes comme des êtres supérieurs. Il ne suffit pas à une personne de dire qu’elle est libre pour qu’elle soit libre ainsi que le disent Spinoza et Nietzsche.

Avec une telle position, les féministes islamiques ne peuvent pas être des féministes tout court. Autrement dit, qui refusent que les femmes soient considérées comme des êtres inférieurs à qui on accorde moins de droits que ce que l’on accorde aux hommes. Ce féminisme qui, dans un village où les hommes vont à la plage, revendique pour les femmes le droit de profiter également de la plage, dans un autre où les hommes se promènent dans la forêt refuse que les femmes en soient privées et dans un autre encore où les hommes sortent sans porter un foulard sur la tête pour dissimuler leur chevelure conteste toute règle obligeant les femmes à le porter. Le féminisme ne consiste pas à exiger les mêmes droits partout, mais à revendiquer partout que les femmes aient le droit d’avoir les mêmes droits que les hommes. Le caractère d’universalité du féminisme réside dans ce principe d’égalité qui exige le refus de toute discrimination à l’égard des femmes parce qu’elles sont des femmes.

Tribune publiée dans Marianne, le 07/06/2021


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