Par David Lisnard, président de Nouvelle Energie et maire de Cannes – Son site
TRIBUNE
Et la France dans tout cela ? Je crois traduire le sentiment de la grande majorité de nos compatriotes en parlant d’un immense gâchis.
Après une dissolution insensée parce qu’impensée et au terme d’une énième campagne de pugilat sans débat, la nouvelle Assemblée nationale élue le 7 juillet, ressemble à un puzzle éclaté. La « grenade » lancée crânement par le président de la République dans le jeu politique a réussi au-delà de ses espérances – même s’il avait sans doute une autre cible en tête que son propre camp et un autre objectif que la victoire surprise de la gauche en nombre de sièges. Précipitation, confusion et combinazzione auront ainsi abouti à un résultat improbable et à une chambre ingouvernable.
Et la France dans tout cela ? Je crois traduire le sentiment de la grande majorité de nos compatriotes en parlant d’un immense gâchis.
Gâchis de temps et d’énergie alors que tout le monde avait autre chose en tête et que le pays devait se préparer à la grande fête des Jeux olympiques, priorité nationale absolue nous jurait-on.
Épreuve. Gâchis institutionnel ensuite, avec ce résultat qui met à rude épreuve la grande souplesse de la Ve République. Sans doute Emmanuel Macron, tout à la préservation de son propre pouvoir, verrait d’un bon œil notre régime politique transformé en chimère institutionnelle : une assemblée fragmentée de type IVe République et un Président doté des pouvoirs de la Ve. Avec en ligne de mire, de tractations en débauchages, la reconstitution d’une « Troisième force » pilotée par l’Élysée.
« Cette victoire en trompe-l’œil suscite déjà de fortes craintes dans l’immédiat : ne voit-on pas déjà la gauche réclamer Matignon à cor et à cri ? »
Gâchis politique enfin, avec une victoire de façade de la gauche dans une France clairement de droite. Chiffre curieusement peu évoqué dans les commentaires et rappelé par le politologue Dominique Reynié : 20 points (27 % contre 47 %) séparent la première de la seconde. Pour qu’il n’en paraisse rien dans la distribution des sièges, il aura fallu rien moins que l’effet combiné d’une forte participation, du scrutin majoritaire à deux tours, des désistements massifs et l’effet repoussoir d’une victoire du RN.
Résultat qui, s’il a provoqué la divine surprise d’une gauche en perdition, devrait susciter un examen de conscience chez les demi-habiles et les songe-creux qui nous ont demandé de voter pour le Nouveau Front populaire – La France insoumise – « puisqu’il n’avait aucune chance ». Sans voir que la conséquence logique de leur appel était justement de lui en donner une…
Trompe-l’œil. Cette victoire en trompe-l’œil suscite déjà de fortes craintes dans l’immédiat : ne voit-on pas déjà la gauche réclamer Matignon à cor et à cri ? N’est-elle pas, après tout, la coalition gagnante ? N’a-t-elle pas droit à « l’application de son programme, rien que son programme, tout son programme » ? C’est-à-dire toujours plus de dépenses, toujours plus d’impôts, toujours plus de normes, toujours plus d’immigration, toujours plus d’insécurité. Sans compter les surenchères de La France insoumise, qu’il faudrait peut-être un jour interroger sur sa stratégie explicite mi-électorale, mi-insurrectionnelle.
Voilà la situation aujourd’hui : elle ressemblerait à la farce de l’arroseur arrosé ou à la comédie des quiproquos, si les risques n’étaient pas aussi imminents. Si les défis intérieurs et extérieurs n’étaient pas aussi grands. Et si les petits jeux parlementaires ne nous éloignaient pas des vrais enjeux du pays, comme ce fut précisément le cas sous la IVe République.
« C’est tout autre chose qu’a voulu dire le vote des Français. D’abord un immense besoin d’ordre : ordre dans la rue, ordre dans l’école, ordre dans les comptes »
Alternative. Car c’est tout autre chose qu’a voulu dire le vote des Français. D’abord un immense besoin d’ordre : ordre dans la rue, ordre dans l’école, ordre dans les comptes. Ensuite, non pas une énième alternance mais une véritable alternative, que le RN, par son incompétence et ses ambivalences, ne pouvait incarner.
Une alternative non pas entre le régime des technocrates et les promesses des démagogues. Les premiers nous ont mis au bord du gouffre ; les seconds, de droite comme de gauche, nous y précipiteraient. Or, condamnés désormais aux hasards des manœuvres politiciennes, nous accélérons vers le mur de la crise financière ; et, plus grave, nous y entraînons nos enfants et nos petits enfants à qui nous allons léguer la dette cumulée de tous nos égoïsmes.
Il faut donc sortir de la concurrence dépensière comme programme et des jeux de couloirs comme méthode.
Contre les extrêmes, le temps n’est pas au consensus mou mais à la radicalité du diagnostic et des solutions. Il faut se ressaisir, comme disait le général de Gaulle.
Vérités. Mais pour se ressaisir, il faut d’abord faire renaître l’espoir dans un peuple désemparé et déboussolé avant et plus encore après ces élections de tous les dangers. Il faut donc recréer une espérance fondée sur des vérités, des valeurs et une vision.
Les vérités sont simples : non, on ne peut pas dépenser plus que l’on produit ; non, on ne peut pas partager les richesses si l’on décourage leurs producteurs. Oui, les salaires nets sont trop faibles ; oui aussi le coût du travail est parmi les plus élevés du monde. L’employeur comme l’employé sont pénalisés. Quand cessera-t-on, en France, de jouer à « perdant-perdant » ?
« Contre les extrêmes, le temps n’est pas au consensus mou mais à la radicalité du diagnostic et des solutions. Il faut se ressaisir, comme disait le général de Gaulle »
Les valeurs sont consensuelles : liberté, dignité et responsabilité de tous et à tous les niveaux, telles sont les aspirations profondes de la grande majorité de nos concitoyens.
La vision est rassembleuse : rétablir l’ordre, libérer la société, unifier la nation. Là encore, de quoi réconcilier les Français avec eux-mêmes.
Car ce n’est pas sautant sur sa chaise comme un cabri en criant : « rassemblement ! », « rassemblement » ! qu’on les rassemblera.
Combinaisons. On les rassemblera sur un constat et sur un projet, pas sur des dénis et des vœux pieux. Encore moins sur des combinaisons de convenance et de circonstance. De changement de pied en changement de cap, d’alliances avec les ennemis de la veille en accords avec ceux de l’avant-veille, notre vie politique montre depuis trop longtemps, et aujourd’hui plus que jamais, le spectacle désolant de l’inconstance érigée en mode de gouvernement.
C’est peut-être par là qu’il faudra commencer pour que justement notre pays se ressaisisse : mettre au-dessus de tout la constance. Constance des principes, constance des engagements, constance de l’action.
Et il faudra faire vite, avant que la grenade dégoupillée par le chef de l’État n’atteigne le cœur même du pays. Ainsi va la France.
Tribune publiée dans L’Opinion, le 10/07/2024
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David Lisnard
David Lisnard est membre des Républicains, il est notamment maire de Cannes depuis 2014, vice-président du conseil départemental des Alpes-Maritimes depuis 2015, président de la communauté d’agglomération Cannes Pays de Lérins depuis 2017 et président de l’Association des maires de France depuis 2021.
Il est le président du mouvement Nouvelle Énergie pour la France.