Quand le Sultan d’Ankara veut se rabibocher avec le Raïs de Damas

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Bachar al-Assad Erdogan
Ankara entend donc se rapprocher de Damas pour collaborer, notamment en matière de lutte contre le terrorisme

Le président syrien n’est pas contre l’idée de rencontrer Recep Tayyip Erdogan mais a « des exigences ». En effet, pour Bachar al-Assad, le problème réside dans la présence des troupes turques sur le sol syrien et le soutien au terrorisme. Erdogan a, à plusieurs reprises, manifesté le désir de rencontrer le raïs de Damas…

« Si rencontrer [Recep Tayyip Erdogan] aboutit à des résultats […] et sert les intérêts du pays, alors je le ferai », a indiqué Bachar al-Assad le 15 juillet depuis un des centres électoraux de Damas. 

Néanmoins, sur les ondes de la radio Sham FM, le président syrien a indiqué plusieurs « exigences » avant de rencontrer son homologue turc, avec lequel il n’a plus de relations depuis 2011. La Turquie a en effet pris fait et cause pour l’opposition syrienne dès le début du conflit.  « Le problème […] réside dans le contenu de la réunion », a insisté Bachar al-Assad, « le soutien au terrorisme et le retrait du territoire syrien » des troupes turques constituant « l’essence du problème », selon lui.

Ankara avait lancé entre 2016 et 2020 plusieurs opérations militaires sur le territoire syrien, à l’instar de l’opération Bouclier de l’Euphrate en août 2016 afin d’empêcher l’irrédentisme kurde à la frontière. Cette intervention a été suivie de l’opération Rameau de l’olivier en 2018, puis de Source de paix en 2019 et Bouclier du printemps en mars 2020. L’armée turque est donc présente dans le nord de la Syrie pour contrer l’influence kurde dans la zone.

Il était une fois ou Erdogan et Assad passaient des vacances ensemble

« Si nous voulons parvenir à des relations normales, nous devons retirer de la circulation tout ce qui est anormal, comme l’occupation, le terrorisme, la violation du droit international et le manque de respect à la souveraineté des États », a résumé le président syrien. Les propos de Bachar al-Assad interviennent quelques jours après ceux de son homologue turc.

Tendant la main à son ancien ennemi, Recep Tayyip Erdogan avait ainsi déclaré, en marge du sommet de l’OTAN le 11 juillet dernier : « Il y a deux semaines, j’ai invité le président al-Assad à tenir une réunion soit en Turquie, soit dans un pays tiers, car nous voulons lancer un nouveau processus et surmonter les tensions dans nos relations ». Ankara entend donc se rapprocher de Damas pour collaborer, notamment en matière de lutte contre le terrorisme. Selon le vocable turc, il s’agit ici de combattre l’« irrédentisme » kurde à la frontière syro-turque. En effet, les Forces démocratiques syriennes (FDS), majoritairement composées de Kurdes, disposent d’une relative autonomie à l’est de l’Euphrate, tout en conservant le soutien des troupes américaines présentes illégalement sur le territoire syrien. « Nous constatons qu’il est nécessaire de renforcer la coopération entre alliés dans la lutte contre le terrorisme », a par ailleurs insisté Recep Tayyip Erdogan.

« Nous ne voyons aucun obstacle au rétablissement des relations avec la Syrie », avait notamment déclaré le président Erdogan le 28 juin dernier, jurant par ailleurs que la Turquie n’avait «jamais eu l’objectif de s’immiscer dans les affaires internes de la Syrie», selon des propos rapportés par le quotidien Hürriyet. Le site T24 a quant à lui cité le président turc, rappelant que les deux familles Erdogan et Assad avaient passé ensemble plusieurs vacances sur la Riviera turque… en 2009. 

A cette époque les relations diplomatiques et économiques bilatérales étaient plus que cordiales. Au début de la décennie 2010, c’est la politique étrangère turque de « zéro problème avec les voisins », théorisée par Ahmet Davutoğlu, le ministre des Affaires étrangères de l’époque. Pour émerger comme puissance régionale, la Turquie solde ses disputes avec son voisinage : les ennemis d’hier deviennent les amis d’aujourd’hui. Se produit ainsi un réchauffement spectaculaire des relations avec la Syrie de Bachar el-Assad, avec l’Égypte d’Hosni Moubarak, avec le Fatah et le Hamas en Palestine. Ce rapprochement avec les voisins se fait aussi grâce à la « diplomatie du chéquier » : en effet, la puissance économique turque se propose d’investir en Méditerranée orientale et conclut avec les États riverains de nombreux accords de libre-échange (notamment avec l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, l’Égypte, le Liban, et la Syrie). Ces partenariats économiques sont censés créer en Méditerranée une zone comme la CECA (Communauté économique de charbon et d’acier) susceptible de souder la Turquie à son voisinage et d’établir un espace de paix et de prospérité dans le bassin méditerranéen. Erdoğan va jusqu’à proposer la mise en place d’un espace « Shamgen » – en écho à l’espace Schengen – caractérisé par la libre circulation des populations des rives sud et est de la Méditerranée (Shamgen venant étymologiquement du terme « Bilad al-Sham » indiquant la région du Machrek, du Levant).

Des camps du PKK dans la Békaa libanaise ?

La Turquie et la Syrie avaient ainsi réussi à mettre de côté (un temps) leurs contentieux d’hier. En effet, dans la décennie 80-90, Ankara reprochait à Damas d’être un refuge aux organisations de gauche agissant en Turquie telles que le PKK, de sensibilité marxiste-léniniste. Hafez el-Assad critiquait de son côté la gestion des eaux de l’Euphrate et du Tigre par les autorités turques. Outre les jeux de pouvoir de la guerre froide, il s’agit pour la Syrie d’un instrument de déstabilisation de la Turquie.  Le fondateur et leader du PKK, Abdullah Öcalan, coordonne la lutte armée depuis Damas. Les autorités turques accusent même le pouvoir syrien de laisser le mouvement kurde s’entraîner dans les plaines de la Bekaa au Liban. Au cours de la décennie 1990, la Turquie va se rapprocher de l’Etat hébreu dans le domaine militaire et faire pression sur la Syrie.

Les tensions culminent en 1998 lorsqu’Ankara décide de militariser la frontière et menace d’intervenir en Syrie pour lutter contre le PKK. Mais, Damas prend la décision d’expulser le leader du PKK de son territoire, et évite ainsi un affrontement armé. Abdullah Öcalan est finalement arrêté en 1999 au Kenya par les services américains et israéliens. Il est depuis emprisonné sur la petite île d’Imrali au sud de la mer Marmara. Ainsi sous la médiation de l’Egypte et de l’Iran, les deux pays finissent par signer l’accord d’Adana. Damas s’engage à lutter contre le PKK sur son sol.

L’histoire récente des relations entre la Syrie et la Turquie est parsemée d’embûches plus ou moins surmontables. De la perte de la province de l’Hatay en 1939 au soutien des mouvements kurdes et de l’Armée secrète arménienne de libération de l’Arménie (ASALA), en passant par la gestion hydrique à l’appui des différents groupes djihadistes au début du conflit syrien, les liens entre Damas et Ankara ont du plomb dans l’aile. Le dernier contact officiel remonte au 28 décembre 2022 à Moscou lors de la rencontre des ministres de la Défense des deux pays.

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