TRIBUNE – Éloge de la sécession

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Sécession
Les travaux fondamentaux de Christophe Guilluy sur la France périphérique caractérisent parfaitement la sécession des élites. Photomontage Le Diplomate

Par Ghislain de Castelbajac

Le sociologue Michel Maffesoli dans son ouvrage « Le temps des tribus » en 1988 décrit la postmodernité qui frappe à la porte des changements de notre temps. En prédisant le passage vers une société caractérisée par des affinités électives, il anticipe notre époque où, si l’individualisme prévaut, il est accompagné d’un désir paradoxal de connexion et de communauté.

Pour l’homo occidentalis désabusé, aux prises avec la laideur, la pollution, les incivilités, la violence, la lâcheté, la médiocrité, l’insulte envers ses croyances, la servilité et sa métastase qu’est la corruption des élites, ou plus prosaïquement face à une prise de conscience de ne jamais voir ses idées l’emporter via des règles démocratiques abscondes, la tentation est grande de la sécession d’un monde courant à sa perte, vers un hermétisme de la renonciation.

Le Kétheisme dans la Pensée Captive de Milosz qui décrit les mécanismes de la domination idéologique des régimes totalitaires peut paraître à certains toujours d’actualité, avec cette subtilité technologique qui rend instantanés les flux d’information, et la propagande de masse, ce qui donne aux régimes démocratiques ou non, la tentation facile de l’activation du levier surpuissant des peurs et de l’espoir vain des masses pour les soumettre.

En Europe occidentale, nous pourrions décrire quelques groupes tribaux qui font sécession, pour des raisons radicalement différentes, et sur une échelle de valeurs qui ne se vaut pas.

Entre-soi mortifère

Les travaux fondamentaux de Christophe Guilluy sur la France périphérique caractérisent parfaitement la sécession des élites, notamment dans les centres urbains et péri-urbains qui ne font plus société, mais se recomposent en urbains connectés « bobos », prédateurs des classes moyennes et populaires, avec la complicité de circonstance des populations immigrées des centres péri-urbains et des banlieues. Ces dernières sont à leur service, au sens de l’appellation du secteur tertiaire (livreurs, centres d’appel…), et de moins en moins en main d’œuvre ouvrière du fait de la désindustrialisation de la France ces trente dernières années.

La sécession est ici celle du mur de l’argent, de l’accès aux soins face aux déserts médicaux et aux aéroports internationaux, des « villes du quart d’heure » face à celles du quart de réservoir de diesel. Jacques Attali évoquait les « nowhere » face aux « somewhere ». Cette sécession est celle du snobisme (sans noblesse), de la condescendance et de l’entre-soi. Glissade mortifère vers un wokistan d’élites vulgaires, de moins en moins éduquées, cultivées, conscientes de leurs devoirs, et qui vont subir la dure réalité d’une confrontation avec leurs allogènes clientélisés et communautarisés, qui enfonceront les barrières morales de leurs cités pour profaner leurs douteuses orgies subventionnées.

L’hermétisme face au réel

Dans une tout autre forme, la sécession « hermétique » s’apparente à une protection face aux vents mauvais des flux d’informations continus. Soljenitsyne en 1978[1] évoquait déjà l’uniformité de l’opinion publique, l’esprit grégaire, et notait qu’une personne qui « mène une vie pleine de sens et de travail n’a pas besoin de ce flot incessant d’informations ».

L’hermétisme est ici une simple déconnexion : le travail comme échappatoire. Le sens donné par la vie associative ou spirituelle serait une manière de faire sécession d’une déchéance programmée de son référentiel.

Pourtant, le réel frappera à la porte de l’honnête travailleur, de la retraitée impliquée dans sa communauté locale, quand l’impôt devient confiscatoire, que sa fille ne peut plus se rendre au bal du village sans risquer l’agression, quand la périphérie de sa petite ville est enlaidie par des zones commerciales qui tuent son centre bourg, et quand l’eau qui sort de son évier devient non potable : La politique étant peu encline à l’hermétisme, à l’ascèse, elle enfonce la porte du quotidien pour détruire à coup de boutoirs les frêles digues sécessionnistes hermétiques des simples citoyens, qui n’ont que leurs yeux pour pleurer, et leurs «mauvais » votes de colère pour s’exprimer à chaque calende grecque, en vain.

Noblesse de la sécession homérique

Pourtant, la défaite de nos idéaux dans les urnes ou dans les âmes éteintes, le dépit ou la nostalgie, portent nos rêves de gosse : ceux de batailles homériques et de joutes verbales de princesses. Ceux de pays imaginaires et de grandes étendues. D’une liberté d’imagination qui faisait souffler l’Esprit d’enfants que nous étions, que l’immonde diktat de la routine du quotidien tue à petit feux : armée qui nous mène droit vers la mort, la routine est notre ennemie. Elle engonce le jeune-cadre-dynamique dans une course absurde au « succès » carriériste, et fauchera tout aussi absurdement l’agriculteur qui se tue à la tâche pour un maigre pécule. Tous deux courbent l’échine sous le poids des normes, des taxes, d’un légalisme sans but guidé par les peurs et la voracité de législateurs « élus » et maintenant vulgaires, sans trouver dans leurs harassants quotidiens la Force de rassembler le courage d’un combat spirituel, mais aussi d’une empreinte dans la société.

Ce courage, cette empathie combative, c’est dans une sécession puisée au tréfond de notre imaginaire, de notre Foi en nous, en notre civilisation, en nos textes sacrés ou profanes selon nos croyances, que nous le retrouverons.

C’est d’un rêve que nous reconstruirons l’espoir que nos idées vaincront un jour, que notre société sera plus juste, plus apaisée, en harmonie avec ce que nous sommes vraiment.

Notez que le mythe est le miroir de la réalité. Celui-ci commence souvent par une image, celle d’un ou d’une aïeule. Nos grands-mères, nos grands-pères peuvent être des modèles pour se baser sur des situations difficiles auxquelles ils ont été confrontés et analyser leurs réactions, du mieux qu’ils le purent, pour y faire face.

Le mythe est aussi celui d’un royaume imaginaire dans lequel nous nous réfugiâmes étant enfants. Replongeons-y sans entrave. Et recréons ces imaginaires à partir de nos connaissances, de nos affinités.

En bon gascon, l’inspiration naturelle de l’auteur va vers le Royaume de Navarre séculairement disparu, mais dont les récits de la cour de Pampelune, puis de Nérac, servent d’inspiration tant aux garçons de son clan, qui voient en Eneco Arista, premier roi de Navarre et pourfendeur de l’envahisseur sarrasin un membre légendaire issu de notre famille au IXème siècle. Et pour les filles qui prennent pour héroïne la grande lettrée Marguerite de Navarre, une illustre figure qui fit de sa cour l’une des plus courues d’Europe.

Se sentir sujet du royaume de Navarre aujourd’hui apporte une dimension épique et une ode à une civilisation très attachée à son indépendance, les navarrais eurent soin de repousser tant l’envahisseur mauresque que le Franc, comme en témoigne la chanson de Roland. Les références des gascons sont innombrables, Gaston Fébus comte de Foix et le duc d’Epernon sont d’autres personnages sources d’inspiration. Les gascons partis en croisades redonnent aux royaumes francs de terre Sainte toutes leurs lettres de noblesse, avec une pensée particulière à ce que pourraient être la rémanence de ces royaumes au Levant d’aujourd’hui alors que la région est à feu et à sang.

Les royaume de Navarre, parlements de Béarn, Languedoc, Corse et les nombreuses libertés pourvues aux provinces qui composaient le royaume de France avant le rouleau compresseur jacobin sont autant de rappels à des alternatives possibles à une république de moins en moins une-et-indivisible, tant elle ploie sous les attaques et influences allogènes, et à ses mises en contradictions de peuples qui peuvent avoir une revanche sur un régime qui imposa le « bien » par la force aux paysans du bocage vendéen, aux peuls, aux berbères et aux dogons qui n’en demandaient pas tant.

Les plus aventuriers ne manqueront pas d’adopter la patrie de cœur qu’est le royaume de Patagonie de Jean Raspail, avec ses personnages attachants car Antoine de Tounens refuse d’abandonner son rêve, malgré les réalités cruelles.

Les familles pourront se rendre aux cinéscénies du Puy-du-Fou pour raviver un imaginaire historique et mythologique d’une infinie richesse chez les plus jeunes.

Les plus doués en spiritualité pourront également puiser la Force de leur futur engagement dans les textes sacrés. Saint Jean est une merveille insoupçonnée

Pourquoi ne pas aussi observer avec une certaine candeur les « royaumes » de la Sape, le sartorialisme, comme pied-de-nez à la laideur, à la mortifère routine ? Les Congolais et leurs rites d’élégances sont autant de touches de sécession face à la brutalité du monde et de la pauvreté.

Quels que soient les mythes, la noble sécession de l’âme permet au gentilhomme des temps modernes de devenir l’Homme différencié d’Evola, qui, malgré la décadence environnante, maintient une intégrité spirituelle et une connexion avec des principes métaphysiques supérieurs. Cet Homme est capable de « chevaucher le tigre » (Julius Evola, 1963) de la modernité sans se laisser dévorer par elle.

Sa révolte est intérieure et spirituelle plutôt qu’une rébellion externe, inefficace et futile, du moins dans un premier temps, en préalable à l’action.

Cette préparation physique et spirituelle de la Noble Sécession permet la pratique de la discipline intérieure, le détachement des valeurs superficielles, et la recherche de la transcendance personnelle. Mais le pire ennemi du noble sécessionniste n’est pas tant son adversaire politique ou métaphysique, que la mortifère routine et ses forces du mal que sont les contraintes administratives, les fins de mois difficiles, et le poids du légalisme absurde appuyé par une technologie toujours plus invasive.

En considérant le monde comme une illusion, en chevauchant le tigre des contraintes et de la désillusion face à l’échec -provisoire- de ses idéaux, le noble sécessionniste peut réconcilier une vie « normale » d’employé, de cadre et de mère/père de famille, avec une sécession stoïcienne mais non hermétique, qui lui permettra de puiser les forces d’un combat pour ses idées, qui deviendra impossible de perdre.

Son détachement des affres du quotidien doublé de l’inspiration pour ses héros donne au stoïcien sécessionniste le contrôle d’une taqîya (dissimulation) face à ses adversaires politiques, le temps d’organiser la victoire de ses idées.

L’Homme de droite pourra ainsi puiser dans les ressources de sa Patrie intérieure et tout donner pour l’éducation et l’instruction de ses enfants.

L’écologiste sincère et non corrompu par les lobbys du lave-plus-vert, saura utiliser son sens de l’observation et les pratiques de ses aïeux pour redonner du sens aux valeurs de proximité, de partage en communautés villageoises, et de circuits courts, et avoir un regard critique sur les technologies « vertes » survendues.

Jamais vaincu, le noble sécessionniste est un optimiste introverti, un intransigeant intègre, qui sait utiliser la ruse face à la routine et à ses adversaires politiques et philosophiques. En s’élevant grâce à ses mythes, il prône l’ascension de son âme, et donc de ses idées.

Enfin prêt et revigoré par sa traversée du désert il affrontera l’agora des sophistes de tous bords et les eunuques de la pensée, formé comme un Platon et combatif comme un candidat qui vient d’échapper à un assassinat en plein meeting électoral.

Génératrice d’un courage salvateur, la noble sécession est aussi une ascension qui nous mène vers une nouvelle étape anthropologique. Pour conserver nos mythes fondateurs et pour sauver notre Civilisation, nous n’avons pas d’autre choix que de monter toujours plus haut, et de combattre, toujours plus fort.

[1] Discours de Harvard du 8 juin 1978



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