ANALYSE – A l’assaut de la Nouvelle-Calédonie (PARTIE 2), Bagnards et colons contre Kanaks

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L’ex-voto de L’Alcmène, réalisé par le rescapé Yves le Marrec. ©️ Ouest-France (fair-use)

Par André Boyer – Son blog : http://andreboyer.over-blog.com/

Pour coloniser la Nouvelle-Calédonie, Napoléon III saisit « l’occasion » du massacre, de plusieurs officiers et hommes d’équipage de la corvette française L’Alcmène, envoyée en mission de reconnaissance pour étudier la possibilité de l’installation d’un bagne en 1850, à Yenghebane, dans le nord de la Grande Ile.

Il ordonne au contre-amiral Despointes de prendre possession de la Nouvelle-Calédonie le 24 septembre 1853, qui devient le troisième élément des Établissements français du Pacifique après le royaume de Tahiti (1842), et les Îles Marquises (1842). 

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Pour asseoir juridiquement la colonisation, Tardy de Montravel, établit un code en 1854, visant à faire renoncer les chefs de tribus à leurs coutumes, dont celui de rendre la justice. La même année, un établissement militaire est fondé en Nouvelle-Calédonie qui est d’abord nommé Port-de-France, avant d’être rebaptisé Nouméa en 1866. 

Le 14 janvier 1860, la Nouvelle-Calédonie devient une colonie à part entière, affranchie de la tutelle de Tahiti. Son premier gouverneur, nommé en 1862, le contre-amiral Charles Guillain, est chargé d’organiser la mise en place du bagne et donc de trouver des terres qui seront confiées aux libérés en échange de l’engagement de s’installer dans la colonie tout en étant « libre ». Pour ce faire il va cantonner les Kanak dans des « réserves autochtones ». Le premier convoi pénitentiaire arrive le 5 janvier 1864 avec 250 condamnés, criminels de droit commun, relégués ou auteurs de délits récidivistes à bord de l’Iphigénie.

Napoléon III a en effet signé un décret en 1863 autorisant la création en Nouvelle-Calédonie d’un établissement de travaux forcés. Les convois de bagnards se succéderont de 1864 à 1897, mais le centre pénitentiaire ne fermera ses portes qu’en 1922. 

Après la Commune de Paris, la Nouvelle-Calédonie sert de lieu de déportation pour les anciens communards condamnés par les conseils de guerre mis en place par le gouvernement d’Adolphe Thiers. Parmi eux, Henri Rochefort qui réussira à s’évader et Louise Michel. À ceux-là s’ajoutent les Kabyles ayant participé à la révolte du cheik El Mokrani en Algérie en 1871. 

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L’administration pénitentiaire, ou « Tentiaire » possède une grande partie du foncier : outre les pénitenciers de l’île Nou et de Ducos à Nouméa, de Prony dans le sud ou de l’île des Pins, elle possède aussi des villages alloués aux anciens forçats doublant leur peine comme Dumbéa, La Foa, Bourail ou Pouembout. 

En parallèle se développent les concessions offertes aux bagnards et une colonisation libre venue de France, notamment d’Alsace ou de Lorraine à quoi s’ajoutent des déçus de la ruée vers l’or australienne. Ces colons libres deviennent surtout éleveurs dans de grandes propriétés sur la côte ouest de la Grande Terre dans les environs directs de Nouméa ou encore à Païta, Bouloupari, Moindou et Koné, entre autres. Il s’y ajoute la venue de Réunionnais que l’administration coloniale fera venir en Nouvelle-Calédonie pour y développer l’exploitation de la canne à sucre.

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En 1895, un nouveau gouverneur, Paul Feillet, met fin à la colonisation pénale en déclarant qu’il s’agit de « fermer le robinet d’eau sale ». En revanche, il lance des campagnes en métropole pour faire venir des colons, les « colons Feillet » qui devaient venir pour cultiver le café. En outre, pour l’exploitation minière qui se développe, l’immigration de travailleurs asiatiques, tonkinois, indonésiens ou japonais, est encouragée.

Car, en 1864, l’ingénieur des mines Jules Garnier a découvert un ensemble de minéraux silicatés riches en nickel, minerai qui sera baptisé « garniérite ». Son exploitation débute dans les années 1870 et marque profondément l’économie, le territoire, la culture et les modes de vie néo-calédoniens, au point que La Société Le Nickel (SLN), créée en 1880, deviendra un opérateur économique hégémonique et que les termes suivants sont devenus courants dans le vocabulaire néo-calédonien :  

  • Le wharf qui permet d’évacuer le minerai, 
  • Le Caillou qui désigne, avec une nuance affectueuse, la Nouvelle-Calédonie), 
  • Le « bull » ou bulldozer, 
  • Le « rouleur » qui est le camionneur qui transporte le nickel de la mine à l’embarcadère. 

L’immigration, qui arrive par vagues successives, implique la nécessité pour l’Administration coloniale de trouver des terres aux nouveaux arrivants. Après la prise de possession de l’archipel, l’État s’est proclamé, par deux déclarations de 1855 et 1862, propriétaire de toutes les terres. L’arrêté du 22 janvier 1868 laisse une partie de ces terres aux Kanaks : une propriété « incommutable, insaisissable et inaliénable » des domaines attribués est reconnue aux tribus. Les Kanaks ne peuvent ni les vendre, ni en acheter, mais sont aussi théoriquement protégés contre toute violation de terres. 

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Or la délimitation est faite de telle manière que certaines terres initialement concédées sont finalement retirées aux Kanak au profit des colons, tandis que du bétail de ces derniers s’introduit régulièrement sur les terres coutumières et abîme leurs champs d’ignames et de taros. 

Plus tard, le code de l’indigénat, mis en place par les décrets de 1874 et 1881, sera appliqué en Nouvelle-Calédonie par le décret du 18 juillet 1887. Il fait des Kanaks des « sujets de la France », ne jouissant d’aucun droit civil mais uniquement de leur droit personnel conféré par la religion et la coutume.

Ils doivent payer un impôt de capitation, sont soumis aux réquisitions de main d’œuvre au profit des autorités ou des colons. Le gouverneur nomme les chefs de tribu et les grands-chefs et délimite leurs pouvoirs. Le code de l’indigénat aboutit à une politique de cantonnement menée à partir de 1897, visant à rassembler tous les Kanaks dans les réserves en leur allouant une superficie moyenne de trois hectares par habitant et qui remet en cause le découpage de 1868. 

Ce domaine est régulièrement rogné par les autorités afin d’y installer des colons : les « réserves » passent ainsi de 320 000 à 124 000 hectares de 1898 à 1902. Seules les Îles Loyauté reste des réserves kanaks intégrales.

Au cours du temps, l’espace indigène est sérieusement grignoté, ce qui n’ira pas sans révoltes. 

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