ANALYSE – Le jeu vidéo et le conflit israélo-palestinien

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Par Valère Llobet et Théo Claverie

NOTE PSYOPS du Cf2R N°18 / Juillet 2024

Dans la conclusion d’une précédente publication, nous évoquions brièvement le détournement d’images tirées de jeu vidéo comme outil de désinformation dans le cadre de la guerre Israël-Hamas[1]. En effet, depuis le début du conflit et les massacres du 7 octobre 2023, on assiste à un phénomène identique à celui déjà à l’œuvre dans le conflit actuel entre l’Ukraine et la Russie[2]

Pourtant, le recours au médium vidéoludique dans le cadre du conflit israélo-palestinien n’est pas nouveau. Entre propagande et désinformation, le conflit s’est étendu depuis plusieurs années sur le terrain vidéoludique. Citons, par exemple, le jeu Special Force[3] – développé en 2003 par le Hezbollah Central Internet Bureau, l’organisme en charge de gestion de « l’architecture internet du Parti de dieu »[4] – qui place le joueur dans la peau d’un membre de l’organisation terroriste devant combattre les troupes israéliennes au sud-Liban durant l’occupation de la région entre 1985 et 2000[5].

Ainsi, l’utilisation du jeu vidéo est en réalité une composante ancienne et importante du conflit israélo-palestinien, la majorité des acteurs impliqués directement comme Israël et le Hamas, ou indirectement comme le Hezbollah et l’Iran, n’hésitent pas à recourir à ce médium pour porter leurs narratifs et mener une guerre informationnelle contre leurs ennemis.

LE JEU VIDÉO UN OUTIL DE PROPAGANDE 

Le conflit israélo-palestinien, de par son ancienneté et son importance sur la scène internationale, a depuis longtemps intégré le jeu vidéo comme une composante des opérations de propagande et d’influence des différents acteurs de ce conflit.

LES GROUPES PALESTINIENS 

Avant toute chose, il est nécessaire de noter que depuis le 7 octobre, le recours aux jeux vidéo comme outil de propagande suit le modèle déjà à l’œuvre dans le conflit russo-ukrainien. En effet, dans ce dernier, on a « pu voir des joueurs russes reconstituer la bataille de Soledar dans Minecraft (…) ou encore une parade en ligne, sur le jeu Roblox, à l’occasion de la fête nationale russe[6] ». Dans le cadre du conflit israélo-palestinien, les mêmes jeux ont été utilisés. Citons, par exemple, la reconstitution d’une vidéo d’hommes du Hamas attaquant un char israélien dans Minecraft[7], ou encore l’organisation de manifestations propalestiniennes sur Roblox[8].

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Capture d’écran de jeux disponibles sur le Google Play en 2015[9]

Ces exemples récents ne représentent qu’une petite partie de l’utilisation du jeu vidéo comme outil de propagande par des groupes palestiniens. Nous pouvons évoquer le jeu sur ordinateur The Liberation of Palestine sorti en 2014[10], ou encore le titre mobile Gaza-man[11], sorti en 2015. Ce dernier met en scène le super-héros palestinien éponyme qui doit affronter et détruire le maximum de véhicules et de troupes de Tsahal pour engranger des points[12]. Ce jeu créé par des activistes gazaouis est loin d’être un cas isolé ; outre les nombreux projets similaires aux moyens modestes et souvent disponible mobile – comme le satirique Raid Gaza![13]Rocket Pride[14]Gaza DefenderGaza Hero[15] ou encore Liyla and the Shadows of War[16] –, il existe également des jeux beaucoup plus ambitieux.

Le jeu le plus abouti et le plus populaire est certainement Fursan al-Aqsa: The Knights of the Al-Aqsa Mosque, développé et édité par Nidal Nijm Games. Le jeu publié en avril 2022 est disponible en cinq langues, dont l’arabe et l’hébreu, et a été créé par Nidal Nijem, un palestinien résidant au Brésil et dont le père fut membre du Fatah[17]. Le titre, disponible en deux versions (une originale et une version remake qui « améliore les graphismes, la physique »[18]), raconte l’histoire d’un étudiant palestinien, Ahmad al-Falastini, qui après avoir été injustement torturé et emprisonné pendant cinq ans, et dont la famille a été tuée par une frappe aérienne, décide de se venger[19]. Dans ce jeu qui reprend de nombreux symboles et slogans propres à la cause palestinienne[20], les joueurs affrontent des policiers et des soldats israéliens dans le cadre d’évènements réels, comme la bataille de Naplouse en avril 2002[21], ou d’événements fictifs.

Bien que son créateur affirme que son jeu « n’est pas plus violent que n’importe quel autre jeu fait aux États-Unis, que ce soit Mortal Combat, Grand Theft Auto ou Call Of Duty, (…) ou que tout autre jeu standard d’aujourd’hui[22] », la violence graphique du titre interroge. En effet, là où les jeux précédemment cités offrent bien une violence crue, Fursan al-Aqsa va plus loin en proposant, entre autres, d’éviscérer des soldats et policiers israéliens avec une tronçonneuse, de les brûler vifs, ou encore de les achever au couteau en criant « Allah ‘Akbar[23] ». Bien que le débat sur la violence dans les jeux vidéo ne soit pas récent, si l’on compare cette œuvre aux autres jeux du même genre, c’est-à-dire aux FPS[24] qui traitent directement ou s’inspirent de conflits réels, il est clair que des licences comme Call Of Duty ou Battlefield n’offrent pas un tel condensé de représentations violentes et ne vont généralement pas aussi loin que Fursan al-Aqsa. Rajoutons également que Nidal Nijem tient ouvertement des positions virulentes sur les réseaux sociaux et promeut des actions violentes à l’encontre de responsables politiques et de médias israéliens[25].

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Image de promotion de Fursan al-Aqsa : The Knights of the Al-Aqsa Mosque[26]

Particulièrement critiqué en Israël pour sa représentation du conflit[27], le jeu connait depuis le 7 octobre un regain de popularité sur la plateforme en ligne Steam. Par exemple, au mois d’octobre 2023, le nombre de joueurs a augmenté de plus de 233,3%[28]. Ainsi, depuis de nombreuses années, les jeux vidéo sont une composante à part entière de la propagande palestinienne visant Israël, mais il ne s’agit pas d’une exception, les autres acteurs du conflit n’hésitant pas non plus à y avoir recours. 

L’IRAN

Dans le contexte des tensions existantes entre Israël et son allié américain face au développement de l’influence iranienne et surtout son accession à l’arme atomique, les jeux vidéo ont à plusieurs reprises mis en scène un possible conflit entre ces acteurs. Citons, entre autres, la série de jeux Heavy Fire, qui propose de s’infiltrer en territoire iranien et de détruire des installations nucléaires avant le lancement d’un missile[29], ou encore le célèbre Battlefield 3, qui propose aux joueurs d’incarner des soldats américains participant à l’invasion de l’Iran[30]. Précisons que dans le jeu, les principaux antagonistes sont les membres d’une organisation iranienne, le PNR (People’s Liberation and Resistance), un groupe fictif largement inspiré des Gardiens de la révolution (Pasdaran) et qui est notamment responsable d’une attaque terroriste à l’arme nucléaire perpétrée dans Paris le 13 novembre 2014[31]. Notons que le jeu fut considéré par Téhéran comme de la propagande[32] et interdit sur son territoire[33].

Terminons en mentionnant le jeu Call of Duty : Modern Warfare II (2022) qui permet au joueur d’éliminer, à l’aide d’un missile, un général de l’armée iranienne nommé « Ghorbrani » et dont l’apparence et les circonstances du décès sont une référence au général Qassem Soleimani, mort en 2020 à Bagdad victime d’une frappe de drone américain[34].

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Comparaison entre Qassem Soleimani et le « général Ghorbrani » dans Call of Duty : Modern Warfare II[35]

De son côté, l’Iran utilise également les œuvres vidéoludiques dans un but de propagande à destination aussi bien de sa population que des autres nations. Bien que les jeux vidéo, alors balbutiants, aient été bannis du pays en 1979 lors de la révolution iranienne, le pays a recommencé à s’y intéresser dès 1995. D’abord libéral en matière de création, l’État a vite repris la main en produisant des jeux par l’intermédiaire d’institutions ou d’organismes contrôlés par le pouvoir[36], notamment au travers de la Fondation iranienne pour l’informatique et les jeux vidéo fondée en 2007[37], ou encore de l’organisation paramilitaire Basij[38].

On trouve dans la production locale deux grands types de jeux : d’abord les jeux historiques ou prenant pour cadre la culture du pays, comme Safir Eshgh – également connu sous le nom de Ambassador of LoveMoktar : the season of rebellion[39] –, 1979 Revolution : Black Friday[40] ou encore la série de jeux Quest of Persia[41]. Dans ces jeux, c’est la vision du régime de Téhéran sur l’histoire du pays qui est mise en avant.

Ensuite, des jeux visant à porter la propagande de Téhéran sur les conflits récents dans la région et surtout à prendre pour cible ses ennemis, au premier rang desquels les États-Unis, mais aussi Israël. Citons des jeux comme Special Operation 85 : Hostage Rescue – créé par l’Union des étudiants islamistes – qui permet au joueur d’incarner un membre des forces spéciales iraniennes qui doit libérer un couple de scientifiques atomistes iraniens enlevé par des soldats américains et détenu en Israël[42]. Mentionnons également les jeux Nid du diableFlotille de la liberté[43]Missile Strike ou encoreAttack on Tel-Aviv qui visent ouvertement Israël[44]. Ajoutons encore le jeu The Commandor of the Resistance : Amerli battle, sorti en 2022, qui permet aux joueurs d’incarner des combattants iraniens aux prises avec les hommes de l’État islamique. Le jeu, produit par la Basij Cyberspace Organization, la branche numérique de l’organisation Basij, glorifie la figure de Qasem Soleimani qui est ici le héros de l’histoire[45]. Notons que le deuxième opus de la série de jeu Battle of Persian Gulf met en scène un personnage aux traits similaires au général Soleimani[46].

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Image de promotion du jeu The commandor of the resistance : Amerli battle[47]

Terminons en mentionnant deux autres jeux. Le premier, Défendre la liberté, pure œuvre de propagande, qui place les joueurs dans la peau de George Floyd devant échapper à la police américaine[48]. Le second, actuellement en développement par l’entreprise Kosar3D, créatrice de la série Battle of Persian Gulf, est dénommé Revenge. Largement inspiré par la licence de jeux Call Of Duty, il mettrait en scène affrontement entre, d’une part, la Russie et l’Iran, et d’autre part, les troupes de l’OTAN et d’Israël. Le jeu devrait compter sept niveaux, dont l’un se déroulant sur le sol ukrainien au sein d’un laboratoire secret américain chargé de développer « un virus qui transformerait les Ukrainiens en zombies [49] », ces derniers étant ensuite envoyés affronter les troupes russes. 

Ainsi, l’objectif iranien dans l’utilisation des jeux vidéo est clair. La production locale vise à porter à la fois un discours de propagande à l’extérieur du pays, en utilisant le monde vidéoludique comme un outil de softpower, mais également à l’intérieur de ses propres frontières à destination plus spécifiquement la jeunesse, surtout dans le contexte actuel de fragilisation du régime depuis les manifestations de 2022.

LE HEZBOLLAH

En introduction, nous citions le jeu Special Force[50], créé en 2003 par le Hezbollah Central Internet Bureau[51], qui place le joueur dans la peau d’un membre de l’organisation terroriste devant combattre les troupes israéliennes au sud-Liban durant l’occupation de la région entre 1985 et 2000[52]. Ce jeu n’est pas une exception, en effet l’organisation terroriste a créé un nouveau jeu en 2018 nommé Défense sacrée – Protéger la patrie et les sanctuaires dans lequel les joueurs incarnent des membres du Hezbollah qui doivent combattre les hommes de l’État islamique. S’inspirant de véritable combat ayant eu lieu en Syrie ou encore au Liban[53], le jeu s’inscrit dans la lignée de Special Force, aussi bien dans son objectif de valorisation de l’action de l’organisation chiite, que dans sa conception qui a également été l’œuvre du Hezbollah Central Internet Bureau[54]. La création de jeux vidéo par le Hezbollah semble d’ailleurs être une composante bien ancrée de la propagande de l’organisation. En effet, en 2007 l’organisation terroriste a créé Special Force II qui se base sur la guerre au Liban en 2006[55].

Ainsi, depuis le début des années 2000, chaque conflit majeur dans lequel est impliqué directement l’organisation semble être rapidement adapté en jeu vidéo et il est fort possible que ce phénomène perdure dans les années à venir, notamment face au risque actuel de conflit avec Israël[56]. Rappelons que le groupe terroriste utilise également le marché du jeu vidéo pour se financer ; c’est le cas, par exemple, d’une organisation affiliée au Hezbollah qui aurait vendu des copies pirates de jeux[57] « pour récolter des fonds, tout en implémentant sur certains jeux des images et des films de propagande »[58].

Notons qu’il existe également des mods[59] sur le conflit ; certains sont anciens, comme le mod Middle East Conflict –qui permet aux joueurs d’incarner notamment des membres du Hamas ou encore du Hezbollah[60] – ou encore le modHamas Naval Commandos[61] – qui offre la possibilité aux joueurs d’incarner les Nukhbal’équivalent des commandos-marine des Brigades Izz al-Din al-Qassam[62]. D’autres, plus récents, sont apparus quelques jours après les évènements du 7 octobre. Précisons que la majorité d’entre eux ont été créés pour le jeu Digital Combat Simulator. Ils permettent aux joueurs de récréer la riposte israélienne, l’opération Iron Sword[63].

Pour conclure, il semble qu’Israël, contrairement au Hamas, au Hezbollah et à l’Iran, n’utilise que peu le jeu vidéo comme vecteur de propagande. En dehors de quelques jeux mobiles assez confidentiels comme Bomb Gaza, Whack the Hamas[64], Iron Dome Missile Defense[65], Gaza Assault : Code Red[66], le titre le plus mise en avant fut Tsahal Ranks. Ce dernier était disponible sur le site officiel de Tsahal et encourageait les joueurs à partager, notamment sur les réseaux sociaux, les publications de l’armée israélienne en échange de points. En fonction de leur score, les participants se voyaient attribuer des grades allant du soldat de 1ère classe à chef d’état-major au sein d’un classement public[67]. L’objectif assumé de ce jeu était de promouvoir l’image de l’armée israélienne et la politique du pays vis-à-vis de la Palestine. 

LE JEU VIDÉO COMME OUTIL DE DÉSINFORMATION

Tout comme il a été utilisé à des fins de propagande dans le cadre du conflit russo-ukrainien[68], le jeu vidéo est également exploité depuis le début de la guerre Israël-Hamas dans un but de désinformation[69]. En effet, dans les jours qui ont suivi les attaques terroristes du 7 octobre et le déclenchement de la riposte par Tel-Aviv, on a pu assister à l’utilisation sur les réseaux sociaux de séquences de jeux vidéo issus de ARMA III[70] et de Digital Combat Simulator[71].

Ces vidéos, souvent altérées afin d’en diminuer la qualité et la résolution pour qu’il soit plus difficile d’en deviner l’origine réelle, sont traduites en plusieurs langues et circulent sur de nombreux réseaux sociaux afin de maximiser leur partage, leur circulation et leur impact sur le public. L’efficacité du procédé est telle que certains media s’y laissent prendre, à l’image de la chaîne roumaine Romania TV qui a présenté une vidéo d’Arma III comme des images réelles du conflit. Ces images avaient été commentées par « un ancien ministre de la Défense ainsi qu’un ex-chef des services de renseignement [72] ».

Prenons pour exemple une vidéo particulièrement virale, partagée sur les réseaux sociaux par un compte ayant usurpé celui de l’armée israélienne, qui prétend montrer l’action de l’Iron Beam (« Faisceau de fer »), un canon laser mobile conçu pour succéder au Dôme de Fer dont chaque tir représente un coût de 50 000 dollars[73]. Un tir d’Iron Beam ne coûterait que 3,5 dollars et pourrait pulvériser « en une fraction de seconde, roquettes, missiles ou drones avec un rayon laser d’une puissance de 100 kW [74]».

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Prétendues images de l’Iron Beam, relayées sur les réseaux sociaux[75]

Si l’Iron Beam existe bel et bien, aucune véritable image de son fonctionnement en situation réelle n’a été diffusée à ce jour. A nouveau, cette séquence provenait d’Arma III et a été massivement consultée et relayée[76]. Pourtant, le studio à l’origine du jeu, Bohemia Interactive, ne cesse de mettre en garde contre les utilisations frauduleuses des images issues de son jeu dans le cadre des conflits en cours. Il a même publié un guide pour aider à reconnaître les images virtuelles[77].

Si ces méthodes sont employées au profit de Tel-Aviv, elles ne lui sont pas exclusives. En effet, après le tir par l’Iran de drones et de missiles balistiques sur Israël en avril 2024, plusieurs vidéos montrant le prétendu résultat de ces frappes, et représentant des paysages de dévastation et un ciel orangé par les flammes, ont été diffusées sur les réseaux sociaux et la chaîne de télévision nationale iranienne. Ces images se sont avérées être issues d’autres conflits, d’incendies passés, voire d’intelligence artificielle et de jeux vidéo[78]. Rappelons qu’en 2020, les images d’une attaque iranienne sur une base américaine ont été diffusées juste après la mort de Qassem Soleimani, images issues, encore une fois, d’Arma III[79]. La télévision iranienne avait également diffusé en 2016 des images censées montrer les exploits d’un tireur d’élite du Hezbollah face aux combattants de l’État islamique, images en réalité issues du jeu Medal of Honor (2010)[80].

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Diverses images extraites de jeux vidéo et employées à des fins de désinformation[81]

Le réalisme visuel d’Arma III – qui, rappelons-le, sert de base au logiciel de simulation tactique Virtual Battlespace III –, ainsi que la possibilité de personnaliser les environnements et matériels affichés à l’aide de simples mods comme évoqué plus haut, en font la plateforme idéale pour propager ce type de désinformation. En effet, des jeux déjà réalistes comme Arma III ont pour particularité d’être rendus très modulables et personnalisables quant aux « factions » et environnements disponibles, notamment grâce à des add-ons ou DLC[82]. Ces ajouts au jeu, qu’ils soient officiels ou non, permettent de disposer d’un très large éventail de modèles 3D prêts à l’usage représentant des matériels et environnements affichables, et donc utilisables à des fins de désinformation. Par exemple, le jeu Digital Combat Simulator, un simulateur de pilotage très réaliste, propose des cartes additionnelles, reproduisant fidèlement la région du Sinaï[83], le golfe Persique[84] ou encore le détroit d’Ormuz[85].

Les plateformes de diffusion – essentiellement des réseaux sociaux conçus pour une consommation rapide de contenu –participent à diffuser rapidement et massivement ces images auprès d’un public qui n’est pas forcement habitué aux jeux vidéo et sensibilisé à ce type de manipulation[86]. Ces vidéos sont pour la plupart finalement identifiées comme factices, mais leur propagation est telle que leur impact demeure. Si certains gouvernements et leurs partisans sont conscients de l’impact de tels outils, il en va de même pour des groupes à l’influence plus modeste, pour qui la désinformation par les réseaux sociaux est une arme de choix, efficace et peu coûteuse.

C’est notamment le cas du Hamas, qui a propagé en octobre 2023 des images censées montrer une attaque de ses militants contre Israël, images issues, à nouveau, d’Arma III[87]. Le même procédé a été utilisé pour montrer des destructions d’hélicoptères israéliens par des combattants palestiniens, ou encore un prétendu bombardement ayant détruit un char israélien et éliminé des membres de la Delta Force américaine[88].

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Ainsi, dans le cadre du conflit israélo-palestinien, le jeu vidéo est devenu une composante non négligeable des opérations d’influences médiatiques lancées par chaque camp. Propagande, communication choc et désinformation sont les principales applications de l’outil vidéoludique dans le cadre du conflit. De telles pratiques semblent s’internationaliser et se démocratiser chez la plupart des belligérants des conflits actuels. Cela s’est vérifié notamment en 2020 durant la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au Haut-Karabagh[89] et aujourd’hui avec le conflit russo-ukrainien[90].

Bien qu’il soit déjà suffisamment élaboré pour être employé comme outil de désinformation et de propagande, le jeu vidéo poursuit son inexorable évolution en matière visuelle et technologique. L’apparition de jeux aux graphismes photoréalistes tels que Unrecord ou Bodycam laisse présumer un usage toujours plus varié et répandu des jeux vidéo à des fins d’influence.

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Images tirées des jeux Unrecord et Bodycam[91]

Bien que moins actif dans l’usage du jeu vidéo comme outil de propagande et de désinformation, Israël et ses soutiens lui préfèrent d’autres vecteurs. En effet, dès le 8 octobre 2023, Tel-Aviv a utilisé la plateforme YouTubepour diffuser des spots de propagande dénonçant les agissements du Hamas[92]. Cette campagne semble toujours en cours ; ainsi, une vidéo publiée en trois langues, anglais, français et allemand par la chaine officielle du ministère israélien des Affaires étrangères déclare que la situation actuelle entre le Beyrouth et Tel Aviv est « de la responsabilité du gouvernement libanais [93] ».

Des messages pro-israéliens auraient également été diffusés dans des publicités de jeux mobiles[94] et un groupe basé en Israël aurait même eu recours à l’IA générative pour créer des comptes réalistes et laisser des commentaires sur les réseaux sociaux à propos du conflit[95]. Notons que l’usage de l’IA se généralise aujourd’hui dans les opérations d’influence en ligne et que des technologies comme les Deep Fakes peuvent être utilisées. C’est par exemple le cas des États-Unis qui veulent permettre à l’USSOCOM d’y avoir recours dans le cadre de ses opérations de guerre psychologique ou PsyOps[96].


[1] Valère Llobet et Théo Claverie, « Le jeu vidéo et la guerre en Ukraine », CF2R, Note Renseignement, Technologie et Armement n°67, décembre 2023.

[2] Valère Llobet et Théo Claverie, « Le jeu vidéo et la guerre en Ukraine », in É. Denécé & O. Dujardin (dir.), La guerre russo-ukrainienne. Réalités et enseignements d’un conflit de haute intensité, CF2R/The Book Edition, Paris, pp. 97-109.

[3] Toby Harnden, « Video games attract young to Hizbollah », The Telegraph, 21 février 2004.

[4] Briec le Gouvello, « Le Hezbollah libanais : du pragmatisme politique à la subversion par l’information », Sécurité globale, vol. 3, n°1, 2008, pp. 109-127.

[5] Associated Press, « Hezbollah computer game takes propaganda war on Israel to virtual battlefield », News Tribune, 6 avril 2006.

[6] Valère Llobet et Théo Claverie, « Le jeu vidéo et la guerre en Ukraine », op. cit.

[7] Ségolène Le Stradic, « Sur Minecraft et Roblox, la guerre d’information entre Israël et le Hamas se pixélise », Le Figaro, 26 novembre 2023.

[8] Jacob Gurvis, « Roblox, célèbre jeu vidéo et plaque tournante virtuelle des manifestations anti-Israël », The Times of Israël, 28 octobre 2023.

[9] Extrait de, « Gaza Man : un jeu pour tuer des soldats israéliens », op. cit. (crédit Cnews).

[10] « New Palestinian Computer Game Teaches Players: Armed Resistance, Not Negotiations », MEMRI, 28 octobre 2014.

[11] Avi Lewis, « Gaza Man game takes aim at IDF », The Times of Israel, 4 mars 2015.

[12] Précisons que le jeu a rapidement été retiré de la plateforme d’application en ligne Google (« Gaza Man : un jeu pour tuer des soldats israéliens », Cnews, 5 mars 2015.).

[13] Nick Dyer-Witheford, Greig de Peuter, Games of Empire : Global Capitalism and Video Games, University of Minnesota Press, 2009, p. 198.

[14] Matt Peckham, « Google Removes ‘Bomb Gaza’ Game from Play Store, Time, 5 août 2014.

[15] « Google pulls more Gaza-Israel games from Android store », BBC, 5 août 2014.

[16] Allegra Frank, « Palestinian political platformer rejected by Apple App Store, ‘not appropriate’ for games (update) », Polygon, 20 mai 2016.

[17] Aaron Reich, « Anti-Israel video game has players ‘free Palestine’, fight IDF », The Jerusalem Post, 29 septembre 2021.

[18] Nidal Nijm, « Fursan al-Aqsa is on Steam Summer Sales 2023 », page officielle de Fursan al-Aqsa : The Knights of the Al-Aqsa Mosque, Steam, 22 octobre 2023.

[19] Laura Mielke, Lucas Maier/t-online, « Tuez des « sionistes » et devenez « martyr » : ce jeu est disponible en Suisse », Watson, 1 décembre 2023. 

[20] Matthew Impelli, « Video Game of Palestinians Killing Israelis Sparks Backlash », Newsweek, 13 décembre 2023.

[21] Nidal Nijm, op. cit.

[22] Interview de Nidal Njim, « Défense : Un jeu vidéo appelle à tuer les soldats israéliens », I24NEWS, 12 mai 2022.

[23] Aaron Reich, « Anti-Israel video game has players ‘free Palestine’, fight IDF », The Jerusalem Post, 29 septembre 2021.

[24] Acronyme de First Person Shooter ou « jeu de tir à la première personne ».

[25] Sam Sokol, « Palestinian Video Game Developer Threatens Israeli, Jewish Figures and Organizations », Haaretz, 21 juin 2023.

[26] Steam, extrait de la page officielle de Fursan al-Aqsa: The Knights of the Al-Aqsa Mosque.

[27] Raphael Kahan, « Video game reenacting October 7 terror attack puts player in role of Hamas terrorist », Ynet, 27 décembre 2023.

[28] Données extraites de Steam Database le 20 mai 2024.

[29] “Heavy Fire: Shattered Spear”, développeur Teyon, éditeur Mastiff, Steam, 23 octobre 2015.

[30] « Ce jeu vidéo qui a provoqué la première censure officielle en Iran », La Tribune, 28 novembre 2011.

[31] Précisons que le jeu est sorti en 2011.

[32] Sébastian Seibt, « L’Iran voit dans Battlefield 3 une arme de propagande massive », France 24, 28 novembre 2011.

[33] AFP, « Ce jeu vidéo qui a provoqué la première censure officielle en Iran », op. cit.

[34] Ayah El-Khaldi, « Le nouveau Call of Duty comprend une mission où il faut assassiner Qasem Soleimani », Middle East Eye, 28 octobre 2022.

[35] Ibid.

[36] C’est la publication en 2011 de Battlefield 3 et les sanctions visant le jeu d’Electronic Arts qui fut le tournant majeur de la reprise en main de la production locale de jeux par le pouvoir (Clémentine Amblard, « Les jeux vidéo, nouvel outil de propagande du régime iranien », Slate, 6 mars 2023).

[37] Kamiab Ghorbanpour, « Video Games Are a New Propaganda Machine for Iran », Wired, 1 mars 2023.

[38] « Les Bassidji iraniens lancent le premier jeu vidéo « anti-israélien » », France 24, 6 octobre 2010.

[39] Clémentine Amblard, op. cit.

[40] Ky Henderson, « La Révolution iranienne racontée par un jeu vidéo », Vice, 5 avril 2016.

[41] Neal Ungerleider, « Iran, le pays où les jeux vidéo sont princes », Slate, 7 Juin 2010.

[42] Samuel Laurent, « Quand l’Iran se met au jeu vidéo ‘géopolitique’ », Le Figaro, 14 octobre 2007.

[43] « Les Bassidji iraniens lancent le premier jeu vidéo « anti-israélien » », op. cit.

[44] Yara Elmjouie, « Moyen-Orient. L’Iran, île aux trésors de l’industrie des jeux vidéo », Courrier International, 20 mars 2016.

[45] Kamiab Ghorbanpour, op. cit.

[46] Le deuxième épisode prenant place après une attaque américaine sur un centrale nucléaire iranienne déclenchant une guerre dans le golfe Persique entre les Etats-Unis et les Gardiens de la révolution (« Battle of Persian Gulf II », IMDB).

[47] Extrait de « The Commandor of the resistance: Ameri battle », Monadian Media.

[48] Kevin Dufreche, « En Iran, un jeu vidéo pour critiquer la démocratie américaine », RadioFrance, 1 décembre 2021.

[49] Rich Stanton, « ‘Iran’s Call of Duty’ is all about destroying the US and NATO, and ‘with God’s permission will make a lot of money’ », PC Gamer, 29 juin 2023.

[50] Toby Harnden, « Video games attract young to Hizbollah », The Telegraph, 21 février 2004.

[51] Briec le Gouvello, op cit.

[52] Associated Press, op cit.

[53] « Liban : le Hezbollah lance un jeu vidéo pour refléter son « expérience » en Syrie », France 24, 1 mars 2018.

[54] Ibid.

[55] « Hezbollah video game: War with Israel », CNN, 16 août 2016.

[56] « Le Hezbollah libanais menace Israël et Chypre sur fond de guerre à Gaza », France 24, 19 juin 2024.

[57] Nathalie Goulet, L’abécédaire du financement du terrorisme, Le Cherche midi, Paris, 2022, (version numérique), pp. 96-97.

[58] Valère Llobet et Théo Claverie, « Renseignement et jeux vidéo », CF2R, Note Renseignement, Technologie et Armement n°57, mai 2023.

[59] Terme désignant la modification d’un jeu par l’ajout de nouvelles fonctionnalités non prévue par les développeurs.

[60] William Audureau, Madjid Zerrouky, « Un mod d’Arma 3 récupéré par la propagande de l’État islamique », Le Monde, 5 février 2015.

[61] « Hamas Naval Commandos », Steam Workshop, 12 août 2022.

[62] James Rothwell, « Israel sets its sights on destroying Nukhba, the mysterious Hamas commando squad », The Telegraph, 12 octobre 2023.

[63] Les mods en question sont en libre accès sur le site officiel de Digital Combat Simulator.

[64] « Google pulls more Gaza-Israel games from Android store », op. cit. 

[65] Matt Peckham, op cit.

[66] « Gaza-Israel video games cause controversy », BBC, 5 août 2014.

[67] Mathilde Lizé, « L’armée israélienne lance un jeu pour soutenir ses actions », Le Point, 5 décembre 2012.

[68] Valère Llobet et Théo Claverie, « Le jeu vidéo et la guerre en Ukraine », op. cit.

[69] Marc Paupe, « Guerre Israël-Hamas : des images de jeux vidéo utilisées pour illustrer le conflit », France 24, 3 novembre 2023.

[70] Reuters Fact Check, « Fact Check : Clip shows Arma 3 gameplay, not Israel’s laser weapon system », Reuters, 18 octobre 2023.

[71] Pierre Monnier, « Attaques du Hamas en Israël : des images de jeux vidéo sont utilisées pour désinformer », BFM TV, 9 octobre 2023.

[72] « Guerre Israël-Hamas : la désinformation à travers des images de jeux vidéo », Sud-Ouest, 19 octobre 2023.

[73] Pascal Samama, « L’armée israélienne a-t-elle vraiment déployé le laser Iron Beam pour pulvériser les roquettes du Hamas ? », BFM TV, 17 octobre 2023.

[74] Ibid.

[75] Capture d’écran issue d’une vidéo relayée par le compte Mossad Commentary sur Twitter, le 15 octobre 2023.

[76] Elsa de La Roche Saint-André, « Sur le réseau social X, un faux compte du Mossad, le service de renseignement israélien, sème confusion et désinformation », Libération, 1 novembre 2023.

[77] Thomas Leroy, « Attaque contre Israël : comment détecter les « images de guerre » provenant de jeux vidéo », BFM TV, 9 octobre 2023.

[78] Huo Jingnan & Jude Joffe-Block, « As Iran attacked Israel, old and faked videos and images got millions of views on X », National Public Radio, 16 avril 2024.

[79] « Ukraine, Mali, Gaza : images réelles ou jeu vidéo ? », chaine YouTube de l’AFP, 17 octobre 2023.

[80] « Debunked: The ace Hezbollah sniper… is from a video game », France 24, 17 février 2016.

[81] Pierre Monnier, op. cit.

[82] Downloadable content ou contenu téléchargeable en français.

[83] « DCS : Sinai Map by OnReTech », page officielle Steam des contenues téléchargeables de DCS.

[84] « DCS : Persian Gulf», page officielle Steam des contenues téléchargeables de DCS.

[85] « DCS : MAD Campaign », page officielle Steam des contenues téléchargeables de DCS.

[86] David-Julien Rahmil, « Comment le jeu vidéo Arma 3 est devenu l’outil de désinformation idéal en temps de guerre », L’ADN, 16 octobre 2023.

[87] Stephen Totilo, « Video game footage used to spread misinformation about Israel-Hamas war », Axios, 12 octobre 2023.

[88] Marc Paupe, op. cit.

[89] Sonal Gupta, « Armenia Shot Down Azerbaijani MiG-25 ? It’s a Video Game Simulation », The Quint, 14 octobre 2020.

[90] Valère Llobet et Théo Claverie, « Le jeu vidéo et la guerre en Ukraine », op. cit.

[91] Steam, extrait des pages officielles de Unrecord et Bodycam.

[92] Elsa de La Roche Saint-André, « Comment Israël a payé plusieurs millions de dollars pour inonder les internautes français de publicités anti-Hamas », Libération, 25 octobre 2023.

[93] « The Responsibility Lie With The Lebanese Government – French », chaîne officielle du ministère israélien des Affaires étrangères, 2 juillet 2024.

[94] Raphael Satter, Katie Paul & Sheila Dang, « Graphic pro-Israel ads make their way into children’s video games », Reuters, 30 octobre 2023.

[95] Renseignor n°1333, CF2R, 2 juin 2024.

[96] Sam Biddle, « U.S. Special Forces Want to Use Deepfakes for Psy-Ops », The Intercept, 6 mars 2023.


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