Nicolas Maduro, le président vénézuélien, dont la réélection est contestée, a rejeté catégoriquement vendredi dernier toute « négociation » avec l’opposition à sa sortie de la Cour suprême qu’il a saisie pour faire valider sa victoire, appelant sa principale opposante, Maria Corina Machado, à se rendre…
Décryptage avec Francis Mateo, grand reporter, spécialiste de l’Amérique latine et auteur d’un livre-enquête « Cuba… la patrie et la vie » (VA Éditions)
Propos recueillis par Angélique Bouchard
Le Diplomate : Pouvez-vous, tout d’abord, nous rappeler les origines de la crise actuelle au Venezuela, le contexte des récentes élections présidentielles et pourquoi elles ont été contestées par l’opposition et une partie de la communauté internationale ?
Francis Mateo : Ces élections présidentielles s’inscrivaient dans une démarche de légitimation du gouvernement de Nicolas Maduro, sous le soup de sanctions de la part des Etats-Unis pour « manquements démocratiques », suite aux sévères répressions des manifestations de 2014 et 2017, ainsi que l’instauration d’une Assemblée constituante qui verrouille tous les leviers du pouvoir au profit du Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV). Ces Présidentielles, inscrites dans le calendrier électoral, devaient donc permettre d’alléger les restrictions imposées – concernant notamment l’exploitation des ressources pétrolières – en échange de l’organisation d’un scrutin dans le respect des règles démocratiques. Pour autant, Nicolas Maduro n’était pas prêt à prendre le moindre risque de perdre un pouvoir que son parti « bolivarien » n’a jamais lâché depuis l’arrivée à la présidence de son mentor, Hugo Chavez, en 1999.
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Lors de cette dernière campagne électorale, Nicolas Maduro a donc mobilisé tout l’appareil de l’Etat pour nuire à sa principale concurrente, Maria Corina Machado, élue comme représentante officielle de l’opposition lors des primaires, et qui s’est rapidement imposée comme leader charismatique. Jusqu’à la décision du tribunal suprême (aux ordres de Maduro) d’interdire la candidature de Maria Corina Machado. L’opposante soutient alors l’ex-diplomate Edmundo Gonzalez Urrutia, qui va profiter du charisme de la candidate déchue. À la veille des élections, tous les sondages sérieux annonçaient déjà la défaite du président sortant. Mais au soir du scrutin, le Conseil national électoral (CNE) proclame la victoire de Nicolas Maduro avec 51,2 % des voix, contre 44,2 % à son rival. Dans le même temps, l’opposition revendique tout au contraire une différence très favorable en sa faveur, avec de 67 % des votes contre 30 % pour Maduro, sur la base de 80 % des bulletins dépouillés, ce qui suppose une tendance irréversible, et donc l’élection du candidat de l’opposition Edmundo Gonzalez Urrutia. Dans la panique, le CNE suspend le dépouillement en prétextant un « piratage informatique massif », et refuse depuis lors de présenter les procès-verbaux des bulletins déposés dans les urnes. L’opposition crie donc au scandale et à la fraude, tout comme les observateurs internationaux de la Fondation Carter, présents en nombre dans les bureaux de vote, qui estiment que Edmundo Gonzalez Urrutia aurait obtenu des résultats bien supérieurs à ceux de Nicolas Maduro.
LD : Comment la communauté internationale a-t-elle réagi à la réélection de Nicolás Maduro, et quels impacts ces réactions peuvent-elles avoir sur le Venezuela et sa géopolitique, puisque le pays essaie toujours de se rapprocher du fameux « Sud Global » emmené par la Chine et la Russie ?
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FM : Globalement, la communauté internationale accorde peu de crédit à ce processus électoral visiblement frauduleux, avec des réactions cependant très diverses. En dépit des résultats annoncés à Caracas, les Etats-Unis ont ainsi acté la victoire de l’opposant Edmundo Gonzalez Urrutia. L’argentine et l’Uruguay se rangent aussi dans ce camp. A contrario, la Chine, la Russie, l’Iran et Cuba ont aussitôt apporté leur soutien inconditionnel à Nicolas Maduro. Les gouvernements de Luiz Inacio Lula da Silva (Brésil), Gustavo Petro (Colombie) et Andrés Manuel Lopez Obrador (Mexique) se sont en revanche accordés sur une posture plus prudente, proposant une médiation pour trouver une solution au conflit. Un parti pris qui résonne comme une critique voilée à l’égard de Nicolas Maduro, de la part de dirigeants jusqu’alors solidaires avec le mouvement chaviste. C’est ici que se joue peut-être l’équilibre d’un « Sud global » toujours dominé par les régimes autocratiques, mais où les gouvernements réformistes veulent aussi faire entendre leurs voix, à l’instar de ces trois pays médiateurs dans la crise vénézuélienne. La diplomatie européenne se range, de son côté, derrière ces « réformistes » pour réclamer une solution négociée.
Cependant, dans ce rapport de forces géopolitique, le régime de Nicolas Maduro peut toujours compter sur l’appui d’une quarantaine de pays qui ont officiellement reconnu sa réélection, de l’Algérie au Viêt-Nam, en passant par l’Angola, la Corée du Nord, mais aussi le Qatar, l’Arabie saoudite et la Turquie.
LD : Maduro s’estime être victime d’un complot et a annoncé par ailleurs suspendre la plateforme X (ex-Twitter) pendant dix jours. Il est vrai que durant plusieurs décennies l’Amérique latine était un pré-carré étatsunien. Or peut-on encore aujourd’hui, dans le contexte géopolitique international actuel, voir dans la crise vénézuélienne, comme l’affirment certains, la main secrète de Washington, voire de la CIA ?
FM : Au Venezuela, tous les opposants et les journalistes tant soit peu critiques avec le gouvernement de Nicolas Maduro sont accusés d’être des agents de la CIA ! Sans doute les Etats-Unis n’ont-ils jamais cessé de considérer l’Amérique latine comme leur « arrière-cour », selon l’expression de rigueur dans le sous-continent. Sans doute n’ont-ils jamais cessé non plus d’y jouer de toutes leurs influences, même si Washington a semblé se détacher de cette politique internationale durant le mandat de Donald Trump. Mais les Etats-Unis ont aujourd’hui tout intérêt à collaborer avec un gouvernement stable et fiable à Caracas. D’abord parce que l’instabilité qui menace à nouveau risque de réactiver la pression migratoire, devenue l’un des principaux casse-têtes de l’administration de Joe Biden. Mais aussi et surtout car le Venezuela a toujours été une alternative efficace dans l’approvisionnement énergétique des Américains, à commencer par le pétrole ; et compte tenu des risques de conflits au Moyen-Orient, ce partenariat pourrait devenir d’autant plus crucial au cours des prochaines années. Nicolas Maduro avait d’ailleurs repris des négociations avec les États-Unis moins d’un mois avant les élections présidentielles, afin de prolonger les accords dits « de la Barbade » qui avaient été signés au Qatar. Ces tractations s’étaient notamment traduites par des échanges de prisonniers et un allègement des sanctions pétrolières pour faciliter le travail des entreprises transnationales.
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Si le gouvernement de Caracas est sous influence, c’est en fait du côté de La Havane qu’il faut chercher ceux qui tirent les ficelles, à commencer par le président du parti communiste cubain, Raul Castro. Pour beaucoup, Nicolas Maduro n’est qu’un « homme de paille » du castrisme, et l’incarnation des rapports d’intimité – presque de filiation – que Hugo Chavez entretenait avec Fidel et Raul Castro. Aujourd’hui, ce sont les « cadres » cubains qui dirigent une grande partie de l’administration au Venezuela, surtout dans les institutions militaires et policières, le renseignement et la propagande. Pour mémoire : huit accords avaient été signés en ce sens entre les dirigeants des deux pays en 2008. Maria Corina Machado ne s’y trompe pas quand elle déclare ironiquement que la crise électorale au Venezuela se résoudra lorsque Raul Castro décidera de présenter les procès-verbaux des bulletins de votes !
La suspension du réseau social X, méthode d’ailleurs bien éprouvée par la révolution castriste, n’a donc d’autre justification que celle de vouloir étouffer tout discours critique ou non-officiel. Le gouvernement de Nicolas Maduro a aussi intensifié son contrôle de la presse depuis le 28 juillet. Une soixantaine de sites d’information sont aujourd’hui bloqués au Venezuela, dont ceux des organisations de défense de la liberté de la presse ».
LD : Quelle est la situation actuelle de l’opposition au Venezuela, est-elle unie, y a-t-il des figures charismatiques qui émergent ? Quels défis rencontre-t-elle dans son effort pour contester le résultat de l’élection ?
FM : Malgré les manœuvres du gouvernement vénézuélien, l’opposition sort évidemment très renforcée d’un scrutin qu’elle a de toute évidence remporté. Et cette victoire spoliée doit énormément à la figure de Maria Corina Machado, devenue un véritable « phénomène politique » durant une campagne où le gouvernement a utilisé tous les moyens pour l’empêcher de s’exprimer, avec notamment l’emprisonnement d’activistes et de membres de son équipe, accusés de conspiration et de trahison. La candidature de dernière minute d’Edmundo Gonzalez Urrutia, qui a repris le flambeau de son nom, a permis de concrétiser cet élan qui virait parfois à la ferveur lors des meetings. C’est aujourd’hui Maria Corina Machado qui anime les foules de milliers de manifestants dans l’ensemble du pays depuis la proclamation des résultats du 28 juillet.
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La représentante de la Plateforme Unitaire Démocratique propose un modèle économique et social libéral qui veut rompre avec la politique « chaviste » mise en œuvre depuis vingt-cinq ans, et qui vise tout simplement à dupliquer au Venezuela le « modèle » cubain, c’est à dire imposer un contrôle strict de l’individu et une économie totalement étatisée.
Mais ce qui est le plus frappant, c’est sans doute cet engouement et cet espoir de changement que la candidate a su transmettre à ses partisans, auxquels elle semble inspirer parfois jusqu’à la dévotion. Ce que jamais aucun opposant n’avait su incarner au Venezuela depuis le début du chavisme. Ce soutien populaire est aussi sa principale force dans cette contestation des résultats de l’élection présidentielle.
LD : Quels effets ces troubles politiques ont-ils sur l’économie du Venezuela et sur la vie quotidienne de ses citoyens ?
FM : Le scrutin présidentiel devait avoir pour effet de renforcer une stabilité qui semblait se mettre en place après des années de difficultés financières, bien que la croissance économique du pays au premier trimestre 2024 ait été modeste, s’établissant à 2 % du PIB. Une économie tirée par le secteur de l’énergie, et en particulier l’activité pétrolière. Bien qu’on soit loin des 2,5 millions de barils/jour du boom pétrolier (et même 3,1 millions de barils en 1998, avant l’élection d’Hugo Chavez !), la production atteint aujourd’hui 820.000 barils, soit 70 000 barils de plus qu’il y a un an et près de 20 % de plus qu’il y a deux ans. L ‘industrie alimentaire et le secteur pharmaceutique ont également connu une embellie bénéfique. Mais l’économie nationale reste extrêmement fragile, dans un pays où plus de 50 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté : 65% des Vénézuéliens gagnent moins de 100 dollars par mois, alors que le « panier de base » coûte cinq fois plus cher.
La crise politique risque par ailleurs d’aggraver le phénomène de diaspora qui affaiblit aussi le fonctionnement de l’économie, alors que plus des 7,7 millions de Vénézuéliens ont déjà fui le pays. Enfin, même si le gouvernement a assoupli un certains des contrôles de la politique chaviste et entrepris un processus de libéralisation de l’économie au cours des dernières années, le cadre juridique reste très rigide et peu rassurant pour les entrepreneurs. Et la crise politique actuelle ne va certes pas les rassurer.
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LD : Il y a eu des rapports de répression contre les manifestants. Que savez-vous sur l’ampleur de cette répression et les violations des droits de l’homme qui pourraient avoir eu lieu ?
FM : Depuis le début des manifestations qui se sont déclenchées à l’annonce de la victoire supposée de Nicolas Maduro, au moins 25 personnes ont été tuées et 192 blessées dans les affrontements avec la police, selon l’ONG Provea. Et plus de 2.400 manifestants auraient été emprisonnés. Les chiffres sont évidemment difficiles à vérifier, mais ils coïncident avec les annonces du gouvernement, qui a lancé l’opération baptisée « Tun Tun » pour punir d’une main de fer tout opposant au régime. Le message et le ton de Nicolas Maduro, qui promet qu’il n’y aura pas de pardon, ont été extrêmement clairs, et témoignent de la brutalité de cette répression.
Après les élections, la censure s’est également intensifiée. Le Press & Society Institute fait état de 79 violations de la liberté de la presse depuis le dimanche des élections, dont quatre journalistes emprisonnés alors qu’ils couvraient les manifestations. Ils sont poursuivis pour « terrorisme », et encourent donc de lourdes peines de prison. « Incitation à la haine » et « terrorisme » sont en effet les deux principaux chefs d’accusation utilisés par le régime pour emprisonner les citoyens contestataires, comme c’est le cas des leaders d’opposition Freddy Superlano et Ricardo Estévez.
Pour semer la terreur, le gouvernement de Caracas utilise aussi un moyen plus pernicieux et moins visible : l’annulation arbitraire des passeports. Tous les Vénézuéliens (même ceux qui ont une autre nationalité) peuvent ainsi être privés à tout moment de ce sésame, et donc être empêchés de sortir ou d’entrer au Venezuela. Un moyen de coercition efficace pour instiller la peur et faire taire toute critique.
LD : Selon vous, quelle peut être l’issue de la crise actuelle et quelles sont les perspectives pour le Venezuela à court et moyen terme, en termes de stabilité politique et de développement économique ?
FM : L’une des questions est de savoir si l’ampleur des manifestations et les mouvements de déboulonnage des statues du chavisme vont se maintenir. Ce qui semble être le cas. Maria Corina Machado a appelé à une « grande mobilisation mondiale » le 17 août, dans le but de maintenir la contestation interne et d’obtenir un soutien international. Ce sera un test sans doute instructif, mais aussi dangereux dans les rues au Venezuela, car les affrontements peuvent être très violents. Maria Corina Machado n’a pas caché ces derniers jours qu’elle craignait elle-même pour sa liberté, voire sa vie. La situation s’est tellement détériorée que tout est désormais possible… Selon nos confrères du Wall Street Journal, les États-Unis auraient même offert une amnistie à Nicolas Maduro pour quitter le pouvoir avant le mois de janvier ! Cette option reste cependant peu probable, d’autant que le gouvernement de Nicolas Maduro agit sous influence, comme je l’indiquais précédemment. L’Assemblée constituante, aux ordres du chavisme, se prépare ainsi à adopter une série de lois calquées sur la législation qui a servi à mater la rébellion à Cuba lors des derniers grands mouvements de protestation de 2021 : interdiction des ONG et des partis politiques, limitation du droit d’association, criminalisation des opinions « fascistes » (à savoir : toute expression critique envers le gouvernement) et lourdes peines d’amendes pour ceux (dont les médias) qui diffusent ces informations… Après onze années de mandat et 25 ans de « chavisme », le président risque donc plutôt de s’accrocher effrontément à son poste jusqu’en 2031, comme le dernier scrutin lui en donnerait la « légitimité ». Avec, à la clé, des sanctions renforcées de la part des Etats-Unis, ce qui réduirait à néant tous les efforts déployés pour contrôler l’inflation. Fort du soutien de la Russie et de la Chine, Nicolas Maduro peut également se lancer dans une fuite en avant vers davantage de contrôle et d’insécurité juridique. Ce qui, fatalement, aura aussi des conséquences négatives sur les réalités économiques et sociales du Venezuela.
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Diplômée de la Business School de La Rochelle (Excelia – Bachelor Communication et Stratégies Digitales) et du CELSA – Sorbonne Université, Angélique Bouchard, 25 ans, est titulaire d’un Master 2 de recherche, spécialisation « Géopolitique des médias ». Elle est journaliste indépendante et travaille pour de nombreux médias. Elle est en charge des grands entretiens pour Le Dialogue.