LE GRAND ENTRETIEN DU DIPLOMATE avec David Lisnard, maire de Cannes, président de l’Association des maires de France et président de Nouvelle Energie, qui a publié au printemps dernier un essai, avec Christophe Tardieu, inspecteur des finances, aujourd’hui secrétaire général de France Télévision, Les Leçons de Pompidou aux Éditions de l’Observatoire. Un livre qui rend hommage à Georges Pompidou, le successeur du général de Gaulle, dont le bilan et l’action restent injustement encore trop méconnus…
Propos recueillis par Roland Lombardi
Le Diplomate : Dans votre livre, vous explorez l’héritage de Georges Pompidou. Quels aspects de sa présidence trouvez-vous les plus pertinents pour la France d’aujourd’hui, et pourquoi avez-vous choisi de vous concentrer sur ces aspects ?
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David Lisnard : Georges Pompidou incarnait une solidité, une constance et une consistance dans le pouvoir qui inspiraient le respect et créaient de la confiance. Il ne jargonnait pas. Il disait les choses franchement, avec un langage très direct qui aurait pu apparaître brutal, mais qui en fait était ni condescendant ni méprisant. Surtout, il y avait des résultats. Avec lui, la France faisait mieux que le reste du monde, en matière de revenu par habitant ou de croissance. C’était une France de la performance. Par ailleurs, c’était le concret et le bons sens. Il savait que pour être un pays libre et prospère, il fallait travailler, s’industrialiser et savoir s’adapter à son époque. Avec Christophe Tardieu, nous souhaitions montrer en quoi Georges Pompidou a laissé une empreinte très positive. Il était également cohérent, n’était pas dans la posture et jamais dans le narcissisme théâtral, ce qui est rare en politique de nos jours. C’est peut-être aussi pour cela qu’il était tant aimé.
LD : Vous évoquez l’idée de modernité chez Pompidou. Comment pensez-vous que sa vision de la modernité pourrait être appliquée pour répondre aux défis actuels auxquels la France est confrontée?
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DL : Pompidou était un moderne enraciné. Il n’était pas dans la nostalgie. Il affrontait la modernité et voulait la maîtriser. Il nous enseigne que la démocratie ne peut exister et la liberté ne peut être garantie que si l’on est un pays fort et productif, qui se donne les moyens de ses ambitions. C’était l’industrialisation, l’élévation individuelle par la culture, le savoir et l’instruction. C’était la France du mérite républicain. Voilà un enseignement très précieux aujourd’hui, dans un monde de compétition et dans une société fragmentée. Par ailleurs, sa conviction que la culture constitue un vecteur d’unité nationale est d’autant plus pertinente et moderne de nos jours. Pour favoriser ce sentiment d’appartenance commune, qui transcende les diversités et renforce la concorde nationale, l’instruction publique et la culture française jouent un rôle central.
LD : Georges Pompidou était connu pour sa culture littéraire et artistique. Quelle importance accordait-il à la culture dans sa politique, et comment cela se traduit-il dans les politiques culturelles actuelles ?
DL : La culture a en effet imbibé la vie de Georges Pompidou depuis son plus jeune âge, dans le plus pur mérite républicain. Grâce à elle et par ses efforts, le petit fils de paysans et d’enseignants cantaliens devient major de l’agrégation de lettres et Normalien. Avec sa femme Claude, ils ont toujours rencontré et accueilli les meilleurs artistes de leur époque. Cela s’est retrouvé dans toute sa politique qui, parallèlement à l’industrialisation, plaçait l’instruction et l’émancipation culturelle au cœur de son action. Son projet qui deviendra à sa mort le Centre Pompidou est la manifestation spectaculaire de cette ambition. Et dans ce domaine aussi, Pompidou a poursuivi la politique de de Gaulle et Malraux pour rendre la culture accessible à chacun, partout. Hélas aujourd’hui, il manque une vraie politique culturelle à la France dont la priorité devrait être l’apprentissage de l’effort artistique et la rencontre avec les grandes œuvres de l’esprit pour tous les enfants du pays.
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LD : Dans le contexte économique actuel, quelles leçons économiques de Pompidou devraient être, selon vous, mises en œuvre par les dirigeants contemporains pour favoriser la croissance et le développement ?
DL : Pompidou a démontré son inclination libérale par le soutien à l’économie de marché, l’apologie de la libre concurrence, la modernisation industrielle, l’innovation ou encore l’ouverture de la France sur l’économie mondiale, ce qui témoigne d’une approche favorisant l’entreprise et la compétitivité. Malheureusement, les termes ‘’économie’’ et ‘’libéralisme’’ demeurent en France des ‘’gros mots’’. Pompidou fustigeait d’ailleurs déjà ceux qui s’acharnaient à ignorer les lois essentielles de l’économie de marché, notamment le fait que les gains des entreprises non seulement n’ont rien d’antisocial, mais sont la matière même dont peut se nourrir le progrès social.
LD : Pompidou avait une approche particulière de la politique internationale. Quels aspects de sa politique étrangère pourraient inspirer la France dans le contexte géopolitique mondial actuel ?
DL : Si l’on se place sur le plan européen, Pompidou n’envisageait pas l’Europe comme une entité supranationale se substituant aux nations. Il a toujours défendu une Europe des États, de la coopération et des projets, en particulier pour affronter les États-Unis et l’Union Soviétique, mais dans le respect de la souveraineté de chacun. Son approche se voulait, comme toujours, pragmatique et concrète, orientée vers le développement économique et l’amélioration de la compétitivité des États membres. Parallèlement, il alertait déjà sur les possibles dérives centralisatrice et technocratique, c’est-à-dire le risque que l’Europe devienne une machine à produire de la norme, plutôt qu’un cadre pour développer des ambitions et des projets.
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LD : En quoi Georges Pompidou peut nous aider à appréhender la crise de civilisation de notre époque comme sur le rapport du pouvoir aux Français, et la manière de gouverner un pays dont les ferments de la division ne sont jamais loin ?
DL : Pompidou concevait l’autorité de l’État non comme un moyen d’oppression ou de contrôle sur la vie des citoyens, mais comme un cadre permettant à la fois la liberté individuelle et le bon fonctionnement de la société. Dans cette perspective, l’État doit exercer son autorité pour garantir la liberté, l’ordre public et la dignité de chacun, sans empiéter de manière disproportionnée sur les libertés individuelles. Il disait : « Gouverner, c’est décider ; décider, c’est choisir […] On ne gouverne pas avec des “mais” ». Je dirais même que gouverner, c’est l’art d’éliminer les “mais”. Cela raisonne beaucoup avec la période actuelle, celle d’une crise de la démocratie et de l’exécution. Pompidou, c’était une grande constance dans les principes et une grande souplesse dans l’action. Sa force était d’être un chef de projet face aux enjeux de son époque.
LD : Et pour la droite française. Quelle inspiration et quelle leçon peut-elle retenir de Georges Pompidou ?
DL : La droite du gaullisme, de la démocratie chrétienne et du libéralisme, doit revendiquer l’héritage pompidolien. Celui-ci peut se décliner dans la conciliation entre modernisation du pays et respect des traditions, industrialisation et amour du terroir, prospérité économique et cohésion sociale, élévation de l’individu par l’éducation et la culture. Citons aussi la tenue des comptes publics – à son époque, le budget de l’État était excédentaire –, la justice sociale et la dignité humaine. Nous devons aussi nous inspirer de ses principes constants : l’exigence permanente de la performance et des résultats, la liberté comme force de création, la remise en ordre du pays au service de la liberté et de la prospérité, l’unité de la nation par la culture, le savoir et l’instruction ou encore le sens de l’exécution des choses qui nous manque tant ! Nous en avons besoin pour redresser le pays.
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LD : Comment espérez-vous enfin que votre livre influence le débat public et la perception de Georges Pompidou parmi les nouvelles générations de Français ?
DL : Je ne surestime par l’impact de notre livre ! Mais peut-être cela changera-t-il après cet entretien… Et j’espère que chacun en retirera qu’il n’y a pas de fatalité au déclassement français. L’échec ne vient que des lâchetés et du renoncement.
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Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue, spécialiste du Moyen-Orient et des questions de sécurité et de défense. Fondateur et directeur de la publication du Diplomate.
Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à Excelia Business School de La Rochelle.
Il est régulièrement sollicité par les médias du monde arabe. Il est également chroniqueur international pour Al Ain. Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment : « Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI – Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l’Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L’Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104. Il est l’auteur d’Israël au secours de l’Algérie française, l’État hébreu et la guerre d’Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.). Co-auteur de La guerre d’Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d’Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022. Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020.
Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l’influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) – Préface d’Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023).
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