Par Lionel Lacour – Son site : www.cinesium.fr
En 1894, Pierre de Coubertin crée à Paris le Comité International Olympique. La même année, les frères Lumière développent une machine révolutionnaire dont la première séance à Paris le 28 décembre 1895 se tient quelques mois seulement avant la première édition des jeux olympiques modernes à Athènes (6-15 avril 1896). Ces deux inventions françaises ont bouleversé le XXe siècle en touchant les populations du monde entier. Le cinéma qui se penche sur à peu près tous les faits de société s’est-il pour autant intéressé aux jeux olympiques ?
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En 2014, lors de la première édition du festival Sport Littérature et Cinéma à l’Institut Lumière de Lyon, Thierry Frémaux rappelait toute la difficulté de représenter le sport au cinéma. Dans leur anthologie Sport et cinéma(2021), Gérard et Julien Camy recensent l’intégralité des films évoquant le sujet mais proportionnellement à l’immensité de la production, peu apparaissent comme de bons films car ceux-ci ont besoin d’une dramaturgie quand les compétitions sportives disposent de la leur : l’évolution d’un score au football, les dépassements lors d’une course, les défaillances des sportifs. Le cinéma est donc dans la difficulté de reproduire l’émotion d’un événement, surtout si des millions de spectateurs l’ont vécue en direct. La difficulté s’est d’ailleurs accrue avec le perfectionnement des réalisations télévisées, multipliant les caméras, les angles de vue et participant à ancrer davantage d’images chargées d’émotion chez les spectateurs. Comment le cinéma pourrait mieux représenter l’émotion de Teddy Riner pour son titre olympique aux JO de Paris après les images diffusées en mondiovision ? C’est pour cela que très peu de films centrent leur sujet sur le suspens du résultat sauf à puiser dans des événements dont la mémoire collective se résume au mieux à quelques courts témoignages audiovisuels. Il en va ainsi par exemple pour Les chariots de feude Hugh Hudson en 1981 qui a pu évoquer la concurrence entre deux athlètes britanniques aux Jeux de Paris en 1924 sur fond d’antisémitisme et de rigorisme protestant. Pour Jappeloup (2013), le réalisateur Christian Duguay s’intéresse moins à la compétition menée par Jappeloup le cheval et Pierre Durand son cavalier qu’à leur relation et leur histoire les menant au titre olympique à Séoul en 1988.
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Les JO sont un rêve individuel et le titre un Graal absolu car si un compétiteur a été champion du monde, il reste définitivement champion olympique. Ainsi, caractériser dans un film un personnage ayant concouru pour des Jeux permet de le définir efficacement comme un athlète de très haut niveau, sachant faire des sacrifices personnels pour atteindre l’ultime objectif. Parfois jusqu’à l’obsession. Jusqu’à entraîner la haine de ses concurrents. Moi Tonyade Craig Gillespie en 2017 évoque ainsi l’histoire de la patineuse américaine Tonya Harding prête à tout pour être sélectionnée aux Jeux d’hiver de Lillehammer en 1994, quitte à s’en prendre à sa rivale Nancy Kerrigan. Foxcatcheren 2014 de Bennett Miller témoigne également du prestige des Jeux chez le milliardaire John du Pont qui veut vivre l’émotion du champion olympique par procuration en montant une équipe de lutteurs pour les Jeux de Séoul. D’autres cinéastes se sont également intéressés à des sportifs ayant fait leur la phrase de Coubertin « l’important est de participer » comme Jon Turtleaub dans Rasta rocket de (1994) sur l’équipe jamaïcaine de bobsleigh s’engageant aux Jeux d’hiver de Calgary ou Dexter Fletcher avec Eddie the eagle(2016) racontant la volonté de Michael Edwards de participer à la compétition de saut à ski des mêmes Jeux. Enfin, des films sans aucun rapport avec les Jeux caractérisent leurs personnages par leur participation olympique. C’est le cas de The Social Network (2010) dans lequel David Fincher rappelle que les frères Winklevoss s’entraînent pour les JO tout en poursuivant Mark Zuckerberg pour contrefaçon. Mais ce sont deux films de Clint Eastwood qui montrent l’universalisme des Jeux. Dans Lettres d’Iwo Jimaen 2006, l’officier Takeishi Nishi a été champion olympique d’équitation à Los Angeles en 1932. Dans American Sniper, le héros Chris Kyle affronte Mustafa, un sniper syrien médaillé à des Jeux olympiques en tant que tireur. Mais après les cérémonies de clôture, plus de trêve et les antagonismes idéologiques reprennent leurs droits…
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Si l’importance du classement des pays par nombre de médailles témoigne aussi des enjeux diplomatique et politique lors des JO, d’autres questions dépassent les résultats sportifs. Ceux-ci sont pourtant rarement filmés et souvent tardivement. Ce n’est qu’en 2016 qu’un biopic sur Jesse Owens fut tourné : La couleur de la victoire. Si les succès légendaires du sprinter aux JO de Berlin en 1936 étaient la trame, c’est bien le contexte historique de l’Allemagne nazie – comme dans la comédie de Gérard Oury L’as des as (1983) ou dans Ils étaient un seul hommede George Clooney (2023) – et l’Amérique ségrégationniste qui intéressaient le cinéaste Stephen Hopkins. De même, la victoire aux Jeux d’hiver de Lake Placid (1980) de l’équipe américaine de hockey sur glace contre celle soviétique, considérée alors comme la meilleure du monde, n’a été –médiocrement – portée à l’écran par Gavin O’Connor qu’en 2004 dans Miracle. Ainsi, alors que les Jeux ont toujours été un événement autant sportif que diplomatique, notamment pendant la guerre froide, le cinéma n’a finalement que peu produit de films en rendant compte, pas même les boycotts des jeux de Moscou en 1980 par le bloc de l’ouest ou ceux de Los Angeles en 1984 par le bloc de l’est. Quant aux attentats meurtriers perpétrés aux Jeux de 1972 contre la délégation israélienne, ils n’ont fait l’objet d’un film de fiction qu’avec Munichde Steven Spielberg en 2005. À l’issue de ces jeux, il en fut fini de l’illusoire trêve olympique. La sécurisation de l’événement devint une obsession, même si un attentat fut perpétré aux JO d’Atlanta en 1996 qui fut l’objet central du film de Clint Eastwood Le cas Richard Jewell(2019), évacuant tout regard sur les compétitions sportives.
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Ainsi, il est un paradoxe que de recenser aussi peu de films consacrés aux JO compte tenu de leur importance dans notre monde contemporain. Ceux de Paris 2024 ne dérogent pas à la règle. C’est comme si les JO constituaient une parenthèse sacrée sublimant les sacrifices et exploits des athlètes au nom d’un idéal parfois bafoué mais toujours espéré. Les souvenirs des victoires de Comaneci, Bolt ou Riner, comme ceux des drames ou des rapprochements diplomatiques qui accompagnent les JO participent à un universalisme émotionnel qui se dilue difficilement dans l’universalisme d’un discours cinématographique, car comme le rappelle souvent Thierry Frémaux, peu de cinéastes savent trouver l’angle juste ouvrant l’olympisme au monde des spectateurs de cinéma.
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