Le grand entretien du Diplomate avec le général Pinatel sur les derniers évènements en Ukraine

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le général Pinatel
Montage Le Diplomate

Jean-Bernard Pinatel est Vice-Président du Think Tank GEOPRAGMA. Il est également chroniqueur régulier pour Le Diplomate et il a publié au printemps Ukraine, le grand aveuglement européen : carnets de deux ans de guerre, chez Balland.

Il analyse ici les dernières actualités du conflit en Ukraine…

Propos recueillis par Angélique Bouchard

Le Diplomate:Dans le contexte actuel du conflit en Ukraine, comment évaluez-vous l’impact stratégique des récentes offensives ukrainiennes dans la région de Koursk, et quel message cela envoie-t-il à la Russie et à la communauté internationale ?

Cette offensive n’aura aucun impact stratégique sur l’issue de cette guerre.

Le but pour Kiev en lançant une offensive qui va aboutir à la perte de personnels et de matériels qui composaient sa réserve stratégique est, comme toujours pour Zelensky, plus politique que stratégique.

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Bien que l’ampleur de la progression des forces ukrainiennes ne soit pas claire, je réfute l’argument que l’objectif soit économique et serait la ville de Soudja (5 kms de la frontière ukrainienne) par où passe le gazoduc de Gazprom qui continue à livrer son gaz dans le Sud de l’UE notamment vers Slovaquie et de la Hongrie car ce gazoduc traverse ensuite, du Nord vers le Sud, tout l’Ouest de l’Ukraine. Les Ukrainiens n’ont pas besoin d’entrer en Russie pour couper cet approvisionnement.

Clairement l’objectif est avant tout politique et médiatique.

C’est en effet la première incursion de l’armée régulière ukrainienne, même limitée au volume maximum d’une brigade, en territoire Russe et, c’est en soi un événement à répercussion médiatique mondiale.

Cela permet à tous les propagandistes ukrainiens de disserter sur cette action offensive qui a visiblement surpris la Russie et de masquer ainsi la progression des forces russes dans le Donetsk. C’est aussi une tache sur la fiabilité du renseignement militaire Russe et pour l’image de Vladimir Poutine en Russie à qui ses adversaires ne manqueront pas de reprocher, comme l’avait déjà fait Evgueni Prigojine, d’avoir préféré mettre en place dans les structures de la Défense des hommes fidèles mais insuffisamment compétents.

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Les Ukrainiens ont pu espérer aussi, à tort, un effet tactique :  celui de soulager la pression que subissent les forces ukrainiennes dans le Donetsk où les forces russes avancent nettement plus vite que dans le passé. Les analystes américains comme ceux de l’« Institute for the study of war » affirment qu’il n’en est rien.

Sur le plan politique, cette offensive permet à Zelensky de contrer les critiques de son aile radicale sur sa déclaration indiquant qu’il était  prêt à discuter de la neutralité de l’Ukraine avec la Russie et donc d’abandonner le projet d’intégrer l’OTAN et surtout de fournir à sa communication vers une population de plus en plus fatiguée de la guerre par les revers successifs dans le Donbass et les pertes qui y sont liés, des nouvelles positives que ses conseillers présentent comme la nécessité de mettre l’Ukraine en position de force avant de  négocier.

Enfin c’est aussi un message vers les Etats-Unis. Il fournit aux démocrates un contre-argument aux déclarations de J.D.Vance, critiquant que, malgré l’aide massive fournie par les Etats-Unis, les Ukrainiens aillent de défaites en défaites et affirmant que la solution de paix pour l’Ukraine ne pourra passer que par de nettes concessions au profit de la Russie : “Cette guerre se terminera de la même manière que presque toutes les autres : lorsque les gens négocient et que chaque partie cède quelque chose qu’elle ne veut pas céder […] Personne ne peut m’expliquer comment cette guerre peut se terminer sans concessions territoriales par rapport aux frontières de 1991”, avait-il ainsi expliqué auprès de la NBC en décembre 2023.

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LD : La situation sur le front du Donbass semble s’être stabilisée en faveur des forces russes ces dernières semaines. Quels facteurs contribuent à cette avancée russe, et que peuvent faire les Ukrainiens pour inverser cette tendance ?

La situation ne s’est pas stabilisée dans le Donbass, les Russes y progressent régulièrement et à un rythme bien supérieur à celui de 2023 et cela depuis la prise d’Avdiivka fin février 2024.

Ces avancées russes dans le Donbass s’exercent sur deux axes principaux.

Le premier à partir de Bakhmout, où elles ont atteint la première ligne de fortification défendant Kramatorsk et Sloviansk.

Le second, à partir d’Avdiivka où les forces russes ont progressé jusqu’à une dizaine de kilomètres de Pokrovsk, une des trois grandes villes de l’oblats du Donetsk encore sous contrôle ukrainien. Une fois conquise cette ville, les Russes pourront atteindre sans obstacle les limites ouest de l’oblats du Donetsk et s’y installer en défensive et couvrir ainsi une action à partir de cette ville pour menacer Kramatorsk et Sloviansk sur un second axe sud-nord.

Je ne peux répondre simplement à l’autre partie de votre question. Il faut un livre pour le faire et analyser tous les facteurs politiques internationaux, stratégiques militaires, économiques, industriels et sociétaux qui expliquent pourquoi les Ukrainiens ne peuvent gagner cette guerre. Ce livre je l’ai écrit et c’est celui que vous citez dans votre présentation.

LD : Comment une victoire électorale potentielle de Donald Trump ou de Kamala Harris aux États-Unis pourrait-elle influencer l’issue du conflit en Ukraine, notamment en termes de soutien militaire et diplomatique ?

Il est clair que les démocrates sont influencés par les néoconservateurs et le lobby militaro-industriel. Donc rien de changera si Kamala gagne la présidentielle même si les stratèges américains et le pouvoir financier qui se sont exprimés dans les colonnes de Foreign Affairs et dans The Economist pensent qu’une guerre longue en Ukraine n’est pas favorable aux objectifs des Etats-Unis et au maintien de leur primauté mondiale.

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Du coté des Républicains, Trump et ses soutiens pensent que la vraie menace pour les Etats-Unis est la Chine et que ce sont aux européens de soutenir l’Ukraine. Donc quel que soit le résultat des élections américaines la tendance au désengagement des Etats-Unis et à leurs pressions pour que les européens supportent l’essentiel du fardeau du soutien de l’Ukraine se poursuivra. Et donc on s’achemine à pas comptés vers des négociations car les européens sont incapables seuls de soutenir ce conflit. En effet leur industrie de défense est incapable aujourd’hui de produire actuellement les armements et les munitions consommés chaque jour par l’Ukraine. Et des divisions existent en Europe pour en payer le prix sur le long terme.

LD : Quelles leçons les forces ukrainiennes et la communauté internationale peuvent-elles tirer des récents développements du conflit, et quelles stratégies peuvent-elles adoptées pour renforcer la position de l’Ukraine dans les négociations futures ? Est-ce encore possible ?

L’Ukraine dépend totalement de l’aide extérieure qui est en valeur et par année de conflit équivalente à son PIB. Plus le conflit durera plus le prix territorial à payer pour l’Ukraine sera important et plus le risque de dérapage de ce conflit vers sa nucléarisation augmentera. Zelensky a déjà admis dans sa tête qu’il perdrait la Crimée et le Donbass. Il est évident que Poutine ne restituera pas les territoires qu’il a « reconquis » et annexés.

Tous les analystes qui se fondent sur des faits et qui n’ont pas une position idéologique ou n’ont pas été achetés par ceux qui ont intérêt à ce que ce conflit dure, ont déjà admis cette réalité.


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