Décryptage de l’attaque aux bippers au Liban

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Par Rym Robin

 Cet enclenchement simultané de plusieurs Bippers au même moment, visant des dignitaires importants du Hezbollah, rappelle beaucoup un modus operandi qui a été employé par le Shin Bet et le Mossad, notamment avec Yahya Ayache, surnommé “l’ingénieur”, figure emblématique du Hamas, et première personne à avoir introduit la matière première explosive dans la lutte armée du Hamas contre Tsahal.

A Beyt Lahia, là où il s’est réfugié, Ayache a fait l’objet d’une traque sans relâche par le Mossad, au bout de laquelle, son cousin fut approché et “retourné” jusqu’à ce qu’il accepte que les renseignements israéliens piègent son téléphone mobile, entre temps, les lignes téléphoniques sur Gaza ont été brouillées, le cousin se dévoue pour prêter son téléphone à Ayache, la suite, on la connait.

Même si les services secrets Israéliens ont comme doctrine de ne jamais revendiquer les assassinats ciblés, l’empreinte de l’État hébreu est tout à fait reconnaissable dans ce genre d’opérations, dénotant là de techniques pointues de traques.

Le choix des bippers et talkie walkie n’est pas inédit chez le Hezbollah et le Hamas (même si ce dernier est passé en mode dégradé, sur un réseau de communication filaire). En fait, Nasrallah avait dicté à son cercle proche l’interdiction totale des téléphones mobiles, mais c’était sans savoir que son adversaire avait la possibilité de pirater le réseau Hertzien, et là encore, on connait la suite.

Depuis le 7 Octobre 2023, aucune riposte israélienne ne fut vraiment à la hauteur du piège des bippers. En effet, si l’attaque sur la ceinture de Gaza est considérée comme un échec cuisant d’un service de renseignement réputé imbattable, la riposte des talkies et pagers est un regain du poil de la bête, qui confirme la supériorité technologique et la précision des renseignements Israéliens.

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 Conséquences ?

Il s’agit là d’un coup dur pour le Hezbollah, qui montre à son tour les failles de son système de renseignements, il en est de même pour l’Iran, là où quelques semaines plus tôt ; Ismail Haniyeh avait trouvé la mort, en venant aux obsèques de l’ancien président Raissi.

Le message est clair : Israël a les moyens d’infiltrer le cœur du système sécuritaire de l’Iran et ses proxys.

A l’exception de Gaza, dont la situation enclavée a rendu la tâche possible, il est impossible de ne pas implanter des agents en Cisjordanie, à Beirut ou à Téhéran.

En faisant régner la terreur à Gaza, Sinouar avait réussi à la rendre impénétrable par Israël, traquant tous ceux sur qui un soupçon de collaboration plane, et les tuant de manière assez spectaculaire pour dissuader tous ceux chez qui l’idée d’une possible collaboration avec Israël pouvait germer.

Ce fut là un des points clés de la réussite du 7 Octobre, sans parler du mystère qui plane encore sur le peu de considération, dont les rapports des observatrices de la bande de gaza ont fait l’objet, concernant des mouvements suspects des membres de Hamas et l’intensification de leurs entrainements, quelques semaines avant l’attaque.

 Il est indéniable que cette opération va déstabiliser le Hezbollah, du moins sur le moment, cela  peut ébranler sa doctrine de la patience stratégique, et c’est probablement l’effet recherché: une réaction passionnelle et à chaud pour entraîner l’Iran de manière directe dans le conflit, car il est difficile d’envisager que  l’Iran lâche le Hezbollah.

 Une possibilité d’un transfert des terrains d’affrontements du sud au Nord Israël n’est pas écartée, en effet, le Cabinet israélien avait annoncé le repeuplement du Nord Israel,  zone hautement   stratégique pour l’État hébreu, et son évidement est vécu comme un véritable échec, ainsi que sa pénétration par les drones espions Hodhod du Hezbollah.

A travers cette opération, on voit un autre aspect du glaive de David, celui du renseignement poussé et précis.

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Possible réchauffement du conflit ?

Cette thèse n’est   pas écartée, même si un affrontement type 2006 serait assez probable, la rupture de la résolution 1701 pourrait alors impliquer plus que le Liban et Israel dans une guerre totale.

Outre la possible entrée des Houthis, du Hamas, des factions irakiennes, syriennes et iraniennes de l’axe de la résistance dans une riposte contre Israël, l’embrasement d’un conflit de haute intensité aura de sérieuses conséquences sur la stabilité de Mena, mais aussi de tous les pays avoisinants, même si pour organiser une riposte simultanée, il va falloir quelques semaines, voire des mois d’organisation.

Il ne faut pas oublier que depuis le traité de Wadi Arafa et les accords de Camp David, la région n’a plus vraiment connu de guerre généralisée comme pendant les années 60 et 70.

Il faut toutefois noter que Hezbollah et Israel sont des adversaires de longue date, donc ils se connaissent et s’observent bien assez pour étudier mutuellement les failles de l’un comme l’autre, sans jamais vraiment aller à l’affrontement direct depuis 2006.

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La réponse de Nasrallah, analyse du discours

Jeudi 19 sept. 24, Hassan Nasrallah s’adresse à ses sympathisants dans une allocution fortement attendue, l’homme fort du parti adopte un ton de voix bas, solennel et monocorde, présentant ses condoléances à ses paires.

Nasrallah, comme à son habitude, adopte un ton didactique et divise son discours en trois sections :

Dans la première : il évoque les pertes humaines civiles, et adopte une posture du faible au fort, jouant sur la saturation cognitive de son auditoire, suscitant l’émoi et la colère populaire, il s’adresse à un Liban uni dans la douleur, et remercie les pays qui l’ont soutenu, en l’occurrence l’Iran.

Dans la seconde partie de son discours, l’homme change de posture, il redevient un chef de guerre, le ton est plus martial, les pertes sont minimisées, pour le citer “Beaucoup des bippers visés étaient éteints, ou même pas encore utilisés, ni même à la portée de leur propriétaires”.

Toujours en chef de guerre, il se veut objectif et factuel, il reconnait la supériorité technologique de son adversaire, il admet le caractère cyclique des batailles et des victoires, il avoue que la frappe est douloureuse.

Cela ne l’empêche toutefois pas de rappeler que les batailles remportées par le parti ont été, de son point de vue, stratégiques : les drones espion Hodhod, l’évidement du nord de sa population et l’arrêt quasi total des activités de ce secteur, considéré comme névralgique pour l’État Hébreu.

En filigrane de cette reconnaissance de défaite, Nasrallah promet la traque et la captation de toutes les personnes ayant collaboré avec Israël, y compris des investigations poussées de la société qui a vendu les bippers.

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Dans la dernière section de son discours, le ton change, la voix est haute, le rythme est plus soutenu et le langage plus virulent, dans des allusions sibyllines, il joue les Cassandres, annonce une riposte qu’il enrobe d’un mystère, “où ? Quand ? Comment ? Quelle intensité ? Vous verrez” tonna-t-il “ en temps et heures voulus, nous allons riposter, vous nous défiez de repeupler le Nord ? Soit ! Défi relevé, et si pour ça pour vous comptez investir le sud Liban, nous vous attendons, pour tout dire, nous n’attendons que ça !”.

Il semble donc que le ton est donné, le paradigme de la guerre de basse intensité, de la riposte mesurée, de la pression psychologique et la patience stratégiques semblent de mise, la non communication reste une forme de communication, cherche-t-il à sauver la face, ou à gagner du temps ? Dans les deux cas de figure, un conseil de guerre avec Téhéran et tout l’axe de la résistance ne semble pas écarté, en attendant de réorganiser ses troupes et se remettre du choc.

L’armée libanaise et le Hezbollah avaient procédé à la destruction de plusieurs gadgets électroniques suite aux attaques, ce qui laisse penser que la riposte va s’organiser dans une communication en mode dégradé, reste à savoir quand, comment et surtout, à quel point sera-t-elle à la hauteur du coup de maitre joué par Israël.

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