Tribune de Julien Aubert
Il y a quelques semaines, j’avais rédigé un long papier expliquant comment s’étaient déroulées les précédentes cohabitations, entre parfum de Guerre Froide (1986-88), coexistence pacifique (1993-95) et guerre de tranchée (1997-2002).
La France pensait avoir tout vu, tout vécu. Erreur. En juin dernier, la peur du RN a fait dérailler le scrutin majoritaire et la France s’est réveillée avec une majorité – et non une Chambre comme en 1815 – introuvable.
En choisissant, pour y répondre, de nommer le plus vieux Premier ministre de la Vème République, issu d’un groupe Les Républicains réduit à la portion congrue, Emmanuel Macron a eu recours à la solution du « vieux sage » qui a souvent été utilisée dans notre pays pour débloquer des crises financières, de Raymond Poincaré (1926) à Antoine Pinay (1958).
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Bienvenue donc à la cohabitation de « paix armée »
Michel Barnier a aussitôt entamé une recherche de majorité en tentant de composer un gouvernement capable de passer la censure. Cependant, compte-tenu de la faiblesse numérique de son soutien naturel, deux innovations sont apparues : d’une part, il a assuré vouloir faire rentrer des ministres de Gauche dans sa Curie ; d’autre part, à l’heure où j’écris ces lignes, les noms des ministres macronistes sortants (Darmanin, Dati, Vautrin…) circulent comme éligibles à la pourpre cardinalice.
Quelle étrange cohabitation que celle-ci où le camp présidentiel figurerait en bonne place dans un gouvernement rallié par des figures de l’Opposition ? Quel étrange équilibre que de vouloir intégrer des ministres de la Gauche, qui prévient qu’elle censurera le gouvernement, mais pas du RN, qui pourrait, lui, le laisser vivre ?
La situation de départ est en effet complexe : le RN pourrait soutenir mais ne participera pas. La Gauche ne soutient pas mais pourrait participer. Les Républicains sont prêts à participer en opposition … à Renaissance qui serait aussi représenté. On nage dans les contradictions.
On le voit bien, chacun cherche à projeter sur un gouvernement non-issu des urnes des interprétations différentes.
Pour Macron, ce gouvernement doit permettre de poursuivre son quinquennat, ce qui fait que le groupe Ensemble conditionne sa participation à des lignes rouges concernant la sanctuarisation, par exemple, de la réforme des retraites.
Pour les Républicains, et notamment Laurent Wauquiez, ce gouvernement doit marquer une réorientation de la politique menée dans le sens de l’agenda législatif dévoilé en juillet.
Pour Michel Barnier, qui hérite d’une équation politique impossible, il s’agit de constituer un gouvernement de mission, parce qu’il en faut un, ne serait-ce que pour payer les fonctionnaires et assurer la continuité de l’État. En proposant d’ouvrir le dossier des retraites, de la proportionnelle ou de prendre des ministres issus de la Gauche, Michel Barnier, sans le dire, tente de constituer un gouvernement d’Union nationale qui ne dit pas son nom.
Ces trois visions ne peuvent pas simultanément s’additionner. En revanche, hasard ou coïncidence, les approches d’Ensemble et de LR ne se gênent pas pour manœuvrer puisque les Républicains, au plan économique, n’ont pas de rupture fondamentale avec Ensemble (ils ont voté la réforme des retraites) et que leur programme est surtout axé sur les questions régaliennes.
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Quel avenir pour le gouvernement Barnier ?
S’esquisse alors la perspective d’un gouvernement – minoritaire – qui ne serait pas de cohabitation mais de coalition. Cela pose un double problème politique :
1/ LR, en acceptant le principe d’une coalition, remet en cause 7 années d’opposition et de refus de gouverner avec Emmanuel Macron, alors qu’en 2027, il est fort probable que le bloc central sera le grand perdant des urnes. Comment dans ces conditions avoir un candidat distinct du bilan de la majorité sortante en 2027 ?
2/ LR et Ensemble sont les grands perdants des législatives et n’ont pas de légitimité aux yeux de l’opinion publique pour gouverner ensemble ou séparément.
On serait même tenté d’ajouter un troisième problème. Quel que soit l’assemblage – projet de Michel Barnier de s’ouvrir à la Gauche ou association LR et Ensemble – ce parfum gouvernemental aura des effluves macroniennes, en recréant la fragrance phare de 2017, qui n’est pas Shalimar ou Miss Dior mais « En même temps ». Mais, n’est-ce pas ce qui fut sanctionné par les urnes ? Qu’ils aient voté pour sortir par la Gauche (NFP) ou par la Droite (RN), les Français ont exprimé majoritairement un souhait clair : en sortir.
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Les camps politiques sont donc piégés en absurdie.
Pour sortir de cet imbroglio, il n’y a pas beaucoup d’options possibles. Si la logique technique devait l’emporter, alors il faudrait un gouvernement d’union nationale qui aille de LFI au RN, ce que je crois impossible.
Si la logique politique doit triompher, alors il faudrait aller vers un gouvernement cohérent de droite, épicentre d’une majorité gazeuse allant d’Ensemble au RN, soutenant sans participer.
Ce second chemin est peut-être moins chimérique mais très incertain. « En même temps », à l’impossible nul n’est tenu. Le vrai problème est le macronisme, qui, en congelant une partie de la gauche et de la droite dans un parti artificiel, empêche de voir où se trouve le centre de gravité de l’Assemblée.
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