Par André Boyer – Son blog : http://andreboyer.over-blog.com/
Le statut issu des accords de Matignon devait aboutir à l’organisation d’un scrutin d’autodétermination en 1998. Mais les deux camps convinrent de rechercher une solution qui éviterait de nouveaux affrontements.
La vente par Jacques Lafleur de la Société minière du Sud Pacifique (SMSP) aux indépendantistes de la province Nord fut capitale pour la suite des évènements, car les discussions achoppaient sur ce qu’on a appelé le « préalable minier », c’est-à-dire la nécessité pour la SMSP de détenir des gisements suffisamment importants pour construire une usine métallurgique en province Nord permettant un rééquilibrage économique entre les régions.
Par l’accord de Bercy, la SMSP obtint le massif minier du Koniambo en échange du massif de Poum[1] qui revint à la SLN. La voie était désormais libre pour l’accord de Nouméa, conclu entre le RPCR et le FLNKS, signé par le Premier ministre Lionel Jospin le 5 mai 1998 et approuvé par référendum le 8 novembre 1998.
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La Nouvelle-Calédonie devint une collectivité sui generis, au sein de la République Française, en faisant l’objet d’un titre spécial qui constitutionnalise les orientations définies par l’accord de Nouméa, reposant sur des dispositions largement dérogatoires, avec notamment la création des « lois du pays » ou la mise en place d’une « citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie » reposant sur l’exigence d’une durée de résidence. L’accord engageait la Nouvelle-Calédonie, qui, rappelons-le, est inscrite sur la liste des territoires à décoloniser établie par les Nations unies, sur le chemin de l’autonomie et de l’autodétermination par des transferts de compétences déclarés irréversibles.
Il repoussait de vingt ans, à échéance de 2018, le choix de son accession ou pas au rang d’État souverain, avec l’organisation d’un à trois referendums. Pour donner du temps aux indépendantistes, il était prévu qu’en cas de rejet de l’indépendance au premier referendum, ces derniers pourraient demander d’en organiser un deuxième, voire un troisième au plus tard en novembre 2022, si le résultat du deuxième était toujours négatif.
L’inscription sur la liste électorale spéciale pour cette consultation (LESC) était restrictive pour les non-natifs de Nouvelle-Calédonie, qui devaient justifier de leur arrivée avant le 31 décembre 1994 et de vingt ans de domicile continu, ou avoir été admis à la consultation du 8 novembre 1998. Une telle limitation du corps électoral reposait constitutionnellement sur le fait que ne devaient être consultées que les « populations intéressées ».
Les résultats des referenda ont été les suivants :
– le 4 novembre 2018, 56,7 % des votants ont répondu « non » à la question « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souverainetéś et devienne indépendante ? » avec 81 % de votants parmi les électeurs inscrits sur la liste électorale.
– le 4 octobre 2020, le taux de participation avait augmenté́ de 4,6 % par rapport au referendum précédent et ils n’étaient plus que 53,3 % à refuser l’indépendance.
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– Mais le 12 décembre 2022, lors du dernier referendum organisé, la participation s’effondrait à 43,9 % des inscrits, les partis indépendantistes ayant appelé́ au boycottage du scrutin après le refus gouvernemental de le reporter malgré la situation sanitaire générée par le COVID. Du coup, son résultat, 96,5 % des voix en faveur du maintien dans la République, fut non significatif.
Ainsi le fossé politique se creusait entre les indépendantistes et les non-indépendantistes. Or, que ce soit dans le cadre français ou d’un pays indépendant, le projet d’un « destin commun » se heurte à la persistance de fortes inégalités entre les communautés : en ce qui concerne les différences de niveau de vie en Nouvelle Calédonie, celui des 10% les plus aisés est sept fois plus élevé́ que celui des 10 % les plus modestes, alors que ce ratio est de 3,5 en France hexagonale.
En matière de formation, seuls 4 % des Kanaks avaient un diplôme universitaire pour 26 % des non-Kanaks en 2014. Aussi la part des ouvriers dans la population active occupée dépasse le tiers chez les Kanaks contre un dixième chez les Européens.
En matière sociale, alors que 40% des Kanaks vivent dans l’agglomération de Nouméa, cette urbanisation est un facteur déstabilisant pour la jeunesse kanak qui n’est plus encadrée par le clan. Aussi, la très grande majorité́ des détenus est constituée par les Kanaks et les responsables et les victimes des accidents de la route en Nouvelle Calédonie sont massivement kanaks.
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Dans le domaine du foncier, un dualisme, né de la période coloniale, oppose une agriculture commerciale très majoritairement d’origine européenne et une agriculture en tribus, essentiellement vivrière ou destinée à la vente de proximité́, avec l’igname qui est au cœur de la culture kanak. Ces terres collectives kanaks, qui représentent 19% de la superficie de l’archipel, sont d’ailleurs régies par le « principe des quatre i », à savoir inaliénables, insaisissables, incommutables et incessibles.
Au plan juridique, si les tribus regroupaient en 2014 plus de la moitié des Kanaks, il faut ajouter que la très grande majorité́ des Kanaks relève d’un statut, consacré par l’article 75 de la Constitution, qui leur permet d’être régis par la coutume dans les domaines de l’état civil, la filiation, le mariage, la propriété́ et les successions, le tout relevant du Senat coutumier issu de l’accord de Nouméa.
Ce monde néo-calédonien, qui ne peut être que profondément marqué par les différences, semble réagir aux crises qui l’atteignent en les accentuant encore…
À SUIVRE
[1] Ce qui n’a pas porté chance à l’exploitation minière de Poum, à l’extrême nord de la grande ile. L’entreprise sous-traitante de la Société Le Nickel (SLN), la Somarep a été liquidée le 11 juillet 2023 en raison d’une forte dette engendrée, semble-t-il, par une gestion calamiteuse liée à de graves soupçons de détournements de fonds.
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