AGRICULTURE – les inégalités et les besoins agricoles

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Inégalités de productivité agricole
AGRICULTURE – les inégalités et les besoins agricoles

Par André Boyer – Son blog : http://andreboyer.over-blog.com/

Ces inégalités d’équipement et de productivité entre les différentes agricultures du monde ont des effets très négatifs pour les perdants de la compétition.

D’un côté, quelques millions d’actifs qui disposent d’un matériel important et qui utilisent les intrants les plus efficaces, peuvent produite plus de deux mille tonnes de céréales par an pour chaque travailleur ! D’un autre côté, des centaines de millions de paysans, qui ne peuvent utiliser qu’un outillage manuel et n’ont pas les moyens d’acheter les intrants modernes, délivrent une tonne de céréales par an, par travailleur ! Ils ont donc une productivité mille fois moindre. Mille fois ! Car la révolution agricole du XXe siècle a entrainé un centuplement de l’écart entre les deux types d’agriculture. 

À cela s’ajoute de fortes inégalités des prix des moyens de production, que ce soit pour la terre comme pour la main d’œuvre, qui entrainent d’importants écarts de prix de revient. Ainsi, dans les grandes exploitations d’Argentine ou d’Ukraine, la terre ne coûte que quelques dizaines d’euros par hectare et la main d’œuvre quelques milliers d’euros par travailleur et par an. Cela explique l’appétit du gestionnaire d’actifs Black Rock pour les terres ukrainiennes. Dans ces grandes exploitations, le prix de revient d’une tonne de blé est inférieure à 80 euros la tonne alors que, dans les exploitations familiales modernes d’Europe de l’Ouest, il est de l’ordre de 150 à 250 euros la tonne. Quant aux centaines de millions de paysans produisant une tonne de céréales par an, le prix de revient moyen s’élève à 400 euros la tonne

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La faible productivité confrontée aux bas prix des produits agricoles explique pourquoi 70% des pauvres vivent en milieu rural. Selon la FAO, les trois quarts des personnes sous alimentées sont des ruraux, alors que cette dernière relève cette pauvreté paysanne massive provient aussi du manque d’accès à la terre, confisqués par de grands domaines publics ou privés. Beaucoup de paysans ne disposent en conséquence que de quelques ares qui ne leur permette pas de couvrir les besoins alimentaires de leurs familles et ils sont contraint d’aller chercher du travail au jour le jour pour des salaires dérisoires. 

Ces populations n’ont aucune autre opportunité d’emploi salarié ou d’auto-emploi dans un secteur non agricole ni d’accès à un quelconque système de sécurité sociale. Leur dépossession signifie donc leur éviction de tout moyen d’existence.

La situation économique des paysans sans terre est encore plus grave, si c’est possible. Souvent contraints de migrer en fonction des travaux saisonniers, ils sont particulièrement frappés par la pauvreté, les maladies, les accidents du travail et le chômage. Leur nombre est estimé à 450 millions de personnes, alors que loin de se ralentir, les acquisitions de terre ont au contraire tendance à s’accroitre. 

Elles sont le fait, soit d’entreprises privées diverses, compagnies agro-alimentaires, d’institutions financières, soit de fonds souverains qui, comme la Chine ou les pays du Golfe, visent soit la sécurisation de leurs approvisionnements en denrées agricoles soit d’étendre leurs activités en prévision d’un accroissement des prix agricoles à moyen terme.  

Au total, les formes d’agriculture issues de la deuxième révolution agricole ne paraissent ni généralisables ni soutenables à long terme pour des raisons économiques, sociales et écologiques. 

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En effet, le sort des centaines de millions de paysans qui n’ont pas les moyens d’acheter des engrais minéraux ou des pesticides va s’aggraver car le prix des engrais va probablement augmenter en raison de l’accroissement des coûts d’extraction des phosphates et de la hausse du prix de l’énergie nécessaire pour fabriquer les engrais azotés. Ce ne sont pas les nouvelles formes d’agriculture qui les emploieront, car, justement, elles ne demandent que peu de main-d’œuvre.

En outre, du côté des méfaits écologiques de la seconde révolution agricole, certains pensent que les plantes génétiquement modifiées (PGM) pourraient contribuer à résoudre certains des problèmes environnementaux car elles nécessitent moins de pesticides, alors qu’elles couvrent aujourd’hui plus de 10% des superficies cultivées du monde alors que les superficies en agriculture biologique représentent moins de 2% des superficies cultivées. Mais étendre la culture des PGM est particulièrement risqué dans les régions tropicales parce que les écosystèmes cultivés y sont plus complexes que ceux des régions tempérées et que les variétés sauvages de plantes tropicales sont susceptibles de se croiser avec des PGM cultivées.

Compte tenu de ces risques, de plus en plus d’auteurs appellent à une nouvelle révolution agricole, la « révolution doublement verte », fondée sur des pratiques respectueuses de l’environnement, accessibles aux producteurs pauvres, et tirant parti au mieux des fonctionnalités écologiques naturelles des écosystèmes. Des écosystèmes cultivés de ce genre existent déjà dans plusieurs régions agricoles très peuplées du monde, comme dans certains deltas d’Asie du Sud-Est, aux alentours de Pondichéry en Inde, au Rwanda et au Burundi, au Yucatán et à Haïti. Ces écosystèmes cultivés associent étroitement sur une même parcelle des cultures annuelles, de l’arboriculture, de l’élevage et même de la pisciculture, produisant ainsi de très fortes quantités de biomasse utile par unité de surface.

Il reste que, quelle que soit l’évolution des techniques agricoles, les défis à relever par les agriculteurs du monde seront immenses d’ici 2050. Avec l’augmentation prévue de la population malgré la baisse de la fécondité, les besoins en kilocalories d’origine végétale pour nourrir la population humaine pourraient doubler à l’échelle mondiale d’ici 2050 par rapport à leur niveau de 1995, auquel s’ajoute les matériaux pour produire des textiles, des bois, de la pâte à papier et des agrocarburants. En outre, il sera nécessaire de mettre en place des politiques de développement agricole durable qui permettent aux centaines de millions d’agriculteurs pauvres de couvrir leurs coûts de production, de vivre correctement de leur travail, d’investir et de progresser en productivité. 

Les éléments déterminants de ces politiques seront le niveau et la stabilité des prix payés aux producteurs agricoles, la répartition de l’accès aux ressources productives, la terre, le crédit et l’eau d’irrigation. 

Au début du XXIe siècle, les inégalités des conditions de travail et de productivité n’ont jamais été aussi fortes, mais elles doivent être corrigées à l’horizon de 2050, du point de vue de la productivité et des inégalités pour répondre aux besoins de la population humaine.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne représentent en aucun cas la position éditoriale du Diplomate

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