Jimmy Carter, 100 ans et un bilan plus que négatif que l’Occident paie encore aujourd’hui !

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Jimmy Carter

Le 1er octobre dernier Jimmy Carter a fêté ses 100 ans. Au-delà de la mièvrerie des louanges et des rétrospectives dithyrambiques de la plupart des médias mainstream sur le 39e président des États-Unis, une observation honnête et réaliste de son bilan fait que sa présidence (1977-1981) reste l’une des plus controversées de l’histoire américaine contemporaine.

Si son image a quelque peu évolué avec le temps, notamment grâce à son activisme humanitaire post-présidentiel, son mandat est surtout associé à des échecs retentissants en matière de politique étrangère. La crise des otages en Iran en est l’exemple le plus marquant, mais d’autres événements, comme la gestion de l’invasion soviétique de l’Afghanistan ou les difficultés économiques domestiques, ont largement contribué à sa défaite électorale face à Ronald Reagan. À l’occasion de son centenaire, il est pertinent de réévaluer ces épisodes pour comprendre pourquoi Carter est souvent perçu comme un président faible, incapable de faire face aux défis de son époque et dont les erreurs impactent encore le monde d’aujourd’hui…

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La crise iranienne : un symbole d’impuissance

Le point le plus sombre du bilan de Jimmy Carter, fils de fermiers producteurs de cacahuètes, devenu sénateur et gouverneur démocrate de l’État de Géorgie puis président des États-Unis, reste sans conteste la crise des otages en Iran. En novembre 1979, des militants iraniens prirent d’assaut l’ambassade américaine à Téhéran, prenant en otage 52 diplomates et citoyens américains. Cet événement, survenu après la révolution iranienne qui avait renversé le Chah Mohammad Reza Pahlavi, ami et allié des États-Unis, a plongé l’administration Carter dans une crise longue et paralysante qui allait durer 444 jours.

L’opération Ajax, menée en 1953 par la CIA et le MI6 britannique, fut un coup d’État orchestré pour renverser le Premier ministre iranien Mohammad Mossadegh, issu du parti nationaliste et communiste iranien, Tudeh. Celui-ci avait nationalisé l’industrie pétrolière, jusque-là contrôlée par les Britanniques, déclenchant une grave crise avec le Royaume-Uni. Mossadegh, perçu comme une menace pour les intérêts occidentaux et proche des soviétiques (nous sommes en pleine Guerre froide), perdit le soutien du Chah Mohammad Reza Pahlavi, qui s’exila temporairement. Grâce à une grande « opé noire » avec des manipulations politiques, des campagnes de désinformation et des manifestations organisées, les services secrets anglo-saxons rétablirent le Chah et son armée au pouvoir, renforçant ainsi son régime autoritaire.

Depuis cette date et jusqu’à la fin des années 1970, l’Iran avait été érigé en gendarme du Golfe pour les États-Unis et était même un partenaire voire l’un des principaux alliés dans la région de l’État hébreu !

À partir des années 1960, un membre important du clergé chiite iranien, l’ayatollah Khomeini s’impose progressivement comme un opposant influent au Chah. Critiquant les réformes modernisatrices et laïques du Chah, notamment la « Révolution blanche », Khomeini fut exilé en 1964. Depuis l’étranger, s’inspirant fortement des techniques révolutionnaires des islamistes sunnites, les Frères musulmans, il continua à diffuser ses idées via des cassettes et des discours dénonçant la corruption du régime et l’ingérence occidentale, particulièrement américaine. Le mécontentement populaire grandit face à la répression et aux inégalités croissantes. En 1978, des manifestations massives éclatèrent, culminant en une révolution islamique. En janvier 1979, le Chah fuit le pays, et Khomeini rentra triomphalement en février, devenant rapidement le chef de la révolution. Il consolida ensuite son pouvoir en instaurant la République islamique, avec lui à sa tête en tant que Guide suprême, éliminant avec férocité toute opposition interne notamment la gauche iranienne qui s’était pourtant alliée aux mollahs pour renverser le pouvoir…

Or à cette époque, les dirigeants occidentaux, aveuglés par des universitaires soi-disant spécialistes de la région (déjà !) et les intelligentsias de gauche qui présentaient Khomeini comme le sauveur de l’Iran, un nouveau Che Guevara iranien face au « méchant » Chah, n’ont pas apprécié à leur juste valeur la dangerosité de ce mouvement de fond et l’ampleur du soulèvement.

A cause de la brutalité et de l’impopularité du régime iranien, et on l’a dit « enfumé » par les intellectuels occidentaux, Carter n’a donc que très mollement soutenu le Chah. Comme son autre allié, le français Valérie Giscard d’Estaing, qui le « lâcha » littéralement, pourtant alerté par Alexandre de Marenches, le patron du SDECE (ex-DGSE) … La France accueillera même Khomeini en 1978 après avoir été expulsé d’Irak où il était en exil ! C’est même encore Paris qui organisera de manière pitoyable le retour triomphant de Khomeini à Téhéran à bord d’un Boeing d’Air France spécialement affrété pour l’occasion ! Déjà la « politique de la serpillière » ! (Voir mon livre Les Trente Honteuses)

Le Chah lui-même avait fait preuve d’un angélisme voire d’une naïveté suicidaire. Certes vieillissant et affaibli par la maladie, il était resté sourd aux conseils de ses propres services spéciaux, du Mossad et même de Saddam Hussein, qui lui proposaient d’éliminer purement et simplement Khomeini. Il ne voulait pas en faire un martyr. C’était alors oublier un truisme historique qui fait que parfois il vaut mieux un martyr bien mort qu’un opposant en exil…

Quoi qu’il en soit, lorsque le Chah fut contraint à quitter le pays, Carter accepta cependant de l’accueillir aux États-Unis pour des raisons médicales. Ce qui a exacerbé l’anti-américanisme et déclenché la colère des révolutionnaires iraniens. Ce geste fut l’étincelle qui précipita la prise de l’ambassade.

L’échec retentissant de l’opération militaire « Eagle Claw » en avril 1980, visant à libérer les otages, fut un autre coup dur pour Carter. Cette mission mal préparée, qui se solda par la mort de huit soldats américains dans un accident d’hélicoptère à cause d’une tempête de sable, est devenue le symbole de l’incapacité de l’administration à résoudre la crise. La libération des otages, finalement négociée, n’eut lieu que le jour même de l’investiture de Ronald Reagan, en janvier 1981[1], soit après 444 jours de détention, marquant ainsi l’humiliation ultime pour Carter et renforçant l’image d’un président impuissant.

Une politique étrangère idéaliste en décalage avec la Realpolitik

Le démocrate Jimmy Carter est arrivé dans le Bureau ovale avec une vision idéaliste des relations internationales, centrée sur la promotion des droits de l’homme et de la démocratie. Son approche, moralement louable, s’est cependant heurtée aux brutales réalités du monde de la Guerre froide, dominé par des jeux de pouvoir impitoyables. Cette dissonance a été particulièrement flagrante au Moyen-Orient, où Carter a sous-estimé l’impact des dynamiques régionales, notamment la montée de l’islam politique.

Dans le cas iranien, la volonté de Carter, on l’a dit, de se distancier des pratiques répressives du Chah n’a pas suffi à contenir l’escalade révolutionnaire. Sa politique hésitante et son incapacité à établir un dialogue avec le nouveau régime de Khomeini ont conduit à une rupture diplomatique totale. Cette situation a marqué le début d’une longue période de tensions entre les États-Unis et l’Iran, une dynamique qui perdure encore aujourd’hui.

En outre, Carter a échoué à maintenir l’influence américaine dans la région face à l’Union soviétique. La révolution islamique en Iran et la montée de l’instabilité au Moyen-Orient ont permis à l’URSS de capitaliser sur les faiblesses américaines, comme le montre l’invasion soviétique de l’Afghanistan en décembre 1979. Cet événement, que Carter n’a pas vu venir, a bouleversé l’équilibre régional et plongé l’Afghanistan dans une guerre dévastatrice qui allait durer plus d’une décennie.

L’échec de la détente et la montée en puissance de l’URSS

La politique étrangère de Carter a également été affaiblie par sa gestion des relations avec l’Union soviétique. Au début de son mandat, Carter avait cherché à poursuivre la détente amorcée par ses prédécesseurs, notamment en s’engageant dans des pourparlers sur la limitation des armements nucléaires. En juin 1979, il réussit à signer les accords SALT II avec le dirigeant soviétique Léonid Brejnev, un moment fort qui aurait pu marquer son mandat.

Cependant, la ratification de ces accords fut sabotée par l’invasion de l’Afghanistan par les troupes soviétiques à la fin de la même année. En réaction, Carter annula la ratification des accords SALT II, imposa un embargo sur les exportations de céréales vers l’URSS et appela au boycott des Jeux olympiques de Moscou en 1980. Ces mesures furent largement symboliques et inefficaces. L’invasion soviétique de l’Afghanistan, que Carter n’avait pas anticipée, fut perçue comme un signe d’impuissance face à l’agressivité soviétique. Même si sous l’impulsion du sénateur texan et démocrate Charlie Wilson, et pour transformer l’Afghanistan en « Vietnam pour l’Armée rouge », l’administration Carter va s’engager dans une politique, efficace à court terme mais hasardeuse à long terme (poursuivie par l’administration Reagan), d’un massif soutien financier (grâce à l’argent des pétromonarchies du Golfe) et militaire (opérations clandestines de la CIA) aux rebelles afghans, à tous les rebelles afghans même les moins recommandables, c’est le moins que l’on puisse dire, comme les pires des jihadistes… Al-Qaïda a été créée en Afghanistan en 1987 ! Là encore, les responsables américains de l’époque n’ont pas pris en compte les alertes de certains spécialistes de la région et de leurs services sur les dangers de cette stratégie d’apprenti-sorciers qui finançait et armait des gens qui un jour se retourneraient contre les intérêts occidentaux… La suite est bien connue…

Cette séquence d’événements a terni l’image de Carter comme un dirigeant capable de gérer les crises internationales. L’incapacité de son administration à empêcher l’expansion soviétique, couplée aux échecs en Iran, a renforcé l’impression d’un président dépassé par les enjeux de la Guerre froide.

Une présidence marquée par l’impuissance

La perception de faiblesse géopolitique de l’administration Carter a eu des répercussions directes sur la scène intérieure américaine. En 1980, la population américaine faisait face à une double crise : à l’international, l’humiliation des otages en Iran et la montée en puissance de l’Union soviétique ; à l’intérieur, une inflation galopante et une économie en berne. Cette conjoncture a contribué à l’élection de Ronald Reagan, qui promettait un retour à la fermeté et au pragmatisme dans la politique étrangère, en rupture avec l’idéalisme jugé naïf de Carter.

La politique étrangère de Carter a également montré les limites d’une approche trop moraliste dans un monde toujours régi, qu’on le veuille ou non, par la Realpolitik. En tentant d’aligner les relations internationales sur des principes éthiques, il s’est souvent heurté à des régimes autoritaires et à des acteurs qui n’avaient que peu d’intérêt pour les droits de l’homme ou la démocratie. Cet échec à concilier ses idéaux avec les réalités géopolitiques a affaibli son administration dans la gestion des grandes crises internationales.

Un héritage surestimé ?

Parmi les réussites du mandat Carter, il est souvent rappelé la création des ministères de l’Énergie et de l’Éducation, des mesures de protection de l’environnement et surtout les accords de Camp David. Or là encore, bien que l’engagement de Carter soit certain dans la signature de ces accords le 17 septembre 1978 entre l’Égypte de Sadate et Israël de Begin, suivis d’un traité de paix historique le 26 mai 1979, on oublie souvent que ces évènements sont d’abord l’aboutissement de longues et laborieuses négociations secrètes initiées par Kissinger dès la fin de la guerre du Kippour en 1973, sous Nixon puis Ford…

Ainsi, malgré ses échecs à l’international que nous venons d’évoquer, l’image positive de Jimmy Carter a donc toujours été surfaite. Elle s’est pourtant confirmée après son départ de la Maison-Blanche. Selon Time (en 1989), il fut même présenté comme le « meilleur ex-président des États-Unis » ! Son engagement humanitaire, notamment via la Fondation Carter, et son travail pour la paix dans le monde lui ont valu une reconnaissance internationale, symbolisée par le prix Nobel de la paix en 2002. Toutefois, ces efforts post-présidentiels ne peuvent encore une fois occulter les faiblesses de sa gestion des affaires internationales pendant son mandat.

En ce centenaire, il est utile de réévaluer l’héritage de Jimmy Carter à la lumière des défis géopolitiques contemporains. Sa présidence, marquée par des crises qu’il n’a pas su gérer, nous rappelle l’importance du pragmatisme en relations internationales. Carter, malgré ses bonnes intentions, a échoué à naviguer dans un environnement mondial qui exigeait plus de fermeté et de réalisme. Les conséquences de ses décisions, en particulier au Moyen-Orient et face à l’Union soviétique, continuent de résonner aujourd’hui dans la géopolitique mondiale et notamment dans le conflit actuel entre Israël et l’Iran…

Au final, son passage à la Maison-Blanche reste, pour ceux qui veulent vraiment le voir, un triste rappel sur l’inconséquence traditionnelle des administrations démocrates successives jusqu’à aujourd’hui et leur difficulté de concilier idéaux moraux (souvent hypocrites !) et réalités géopolitiques.

Sauf qu’aujourd’hui, nous le savons, selon que vous serez dit de droite ou de gauche, et toujours au mépris du réel, les jugements de la bien-pensance et de la caste progressiste occidentale vous rendront blanc ou noir…


[1] Des émissaires secrets de l’équipe Reagan avaient secrètement négocié la libération des otages en échange de la vente d’armes à l’Iran, qui venait d’entrer en guerre avec l’Irak, en violation de l’embargo en place. Les fonds issus de ces ventes furent ensuite illégalement utilisés pour financer les Contras, un groupe rebelle luttant contre le régime sandiniste au Nicaragua, malgré l’interdiction du Congrès. Le scandale, sous le nom de l’Irangate ou affaire Iran-Contra, fut révélé en 1986, suscitant une crise politique majeure aux États-Unis. Reagan affirma ne pas être au courant de la diversion des fonds, mais l’affaire entacha profondément sa présidence…


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