Par Lionel Lacour – Son site : http://cinesium.fr et son blog : https://cinesium.blogspot.com
Texte issu de la Conférence du 12 avril 2022, Institut Lumière
Certains pensent que nous vivons une situation économique et politique assez proche des années 30 : crise économique, montée de l’antisémitisme et menaces extérieures par des pays belliqueux. Est-ce que cette situation des années 30 qui a conduit à la guerre s’observait dans les films français ? Et si oui comment ?
Un rapprochement Franco-Allemand chimérique ?
Au lendemain de la première guerre mondiale, l’Europe s’est réveillée avec la gueule de bois. Le cinéma allemand a réagi par l’expressionnisme, symbole du chaos dans lequel la guerre avait laissé les vaincus. En France, c’est Abel Gance qui lance un cri avec J’accuse ! comme un « PLUS JAMAIS CA » cinématographique. C’est surtout un message qui prône l’idée que les Européens ont tous été victimes de cette guerre. Dans Les croix de bois, Raymond Bernard en 1932, fait des Français et Allemands ont participé à une expérience commune et humainement destructrice.
Mais cette vision est celle d’un vainqueur prêt à faire la paix avec l’ennemi. Quelle vaine victoire où les promesses de gloire se transforment en tombes et croix de bois. Plus qu’un élan pacifiste, la France semble vouloir se rapprocher de son ennemi par tous les moyens. Car le pacifisme est l’idéologie des vainqueurs. Elle est incarnée par le ministre Aristide Briand qui fit tout pour le rapprochement avec l’Allemagne. Ainsi, en 1932, Allô Berlin ? ici Paris !de Julien Duvivier en 1932 raconte une histoire d’amour possible entre un jeune opérateur téléphonique allemand et son homologue parisienne. Derrière cette romance se cache une sorte d’utopie géopolitique puisqu’il est évoqué l’espérance d’un continent devenu immense fédération pacifiste.
Ce rapprochement passe également par des collaborations franco-allemandes comme le démontrent les deux versions du film Le chemin du paradis,réalisé en 1930, l’une en français et l’autre en allemand par Wilhelm Thiele, avec le même scénario et où seuls les comédiens changent selon la version. C’est ainsi que la fameuse chanson « AVOIR UN BON COPAIN », chanson phare du film, sera interprétée dans la langue de Molière ou celle de Goëthe selon la version. Hormis la langue, la seule modification à l’écran entre les deux versions réside dans un aspect de la mise en scène. En effet, dans une séquence, les ouvriers défilent dans l’usine en marchant au pas militaire. C’est comme cela que la version allemande montre le pas de l’oie. Preuve que ce pas n’était pas celui des nazis mais celui des Allemands.
C’est dans cette ambiance que Renoir peut réaliser La grande illusion en 1937, montrant la proximité entre le capitaine de Boëldieu – Pierre Fresnay et le commandant von Rauffenstein – Erich von Stroheim. Mais s’il a été dit que ce film était pacifiste, le discours est tout de même plus complexe. La marseillaise chantée par les prisonniers à l’évocation de la prise de Douaumont par la France est sans contestation une exaltation du patriotisme et Boëldieu n’hésite pas à choisir sa patrie quand il s’agit d’organiser l’évasion de ses hommes d’une prison allemande dirigée par le commandant allemand.
Néanmoins, il y a tout une série de films en coproduction franco-allemande utilisant les stars nationales avec deux tournages. Jean Gabin en fit quelques-uns comme Le tunnel de Curtis Bernhardt en 1933 (juste avant son départ pour les USA !) jusqu’à Le quai des brumesqui devait être une coproduction avec la UFA (Universum Film AG) de Goebbels avec tournage dans le port de Hambourg. Mais le sujet rebuta la UFA qui revendit le projet à un producteur… juif. Le tournage se fit donc au Havre. Et cela montrait que pour faire la paix, il faut être deux…
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Une crise économique majeure ?
Il faut dire que le pacifisme est d’autant plus difficile à montrer quand le monde capitaliste subit les effets de la crise venue des USA en 1929. Elle touche la France plus tardivement mais elle y est finalement très peu montrée en France dans ses aspects économiques. Rares sont les films qui mentionnent ouvertement le chômage qui caractérise cette période.
Face à la crise, deux types de réponse sont apportés dans les films des années 30. Le retour à la terre que prône par exemple Pagnol en 1939 dans Regainen adaptant une nouvelle de Jean Giono vante le vrai travail et montre la perte des vraies valeurs des populations des villes. On retrouve la même logique dans L’homme du jour de Duvivier en 1936, les bourgeois et citadins étant ridiculisés par la mère du héros, interprété par Maurice Chevalier. Celle-là est une paysanne qui ne connaît rien des potins qui font le succès d’un jour mais connaît la vraie vie, celle qui permet aux hommes de se nourrir.
Duvivier, dans son film précédent, La belle équipe, illustre le rêve des amis chômeurs ayant gagné à la loterie : une ferme avec des poils et des plumes !
C’est d’ailleurs dans ce film que Duvivier propose deux séquences liées l’une à l’autre présentant la crise et une réponse sociale. Dès la première séquence, Gabin s’en prend à son logeur qui lui réclame le paiement de la chambre, lui reprochant d’être chômeur par paresse et non par absence de travail : « Chômeur, ce n’est pas ce qu’on avait rêvé étant môme » lui crie Gabin dans une de ses colères mémorables du cinéma d’avant-guerre.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la victoire du Front Populaire en 1936. Cette alliance de gauche regroupant notamment la SFIO et le PCF sonne comme le triomphe des revendications sociales plus que véritablement la lutte contre le chômage. Si le tournage de La belle équipe a commencé juste avant la victoire du Front populaire, nul doute que cette affiche renvoie à une des réformes les plus emblématiques de ce gouvernement de Léon Blum : Les congés payés. Pourtant, la classe ouvrière n’a plus de travail…
Renoir, dans Le crime de Monsieur Lange (1936) évoque cette situation de crise qui se manifeste par le chômage des employés d’un journal dirigé par Jules Berry. Le cinéaste s’enflamme sur l’idée d’une direction sous forme de coopérative, sorte d’idéal socialiste qui réussirait face aux patrons capitalistes cupides. Mais la conclusion du film est pessimiste car la réalité sociale est dure pour les classes populaires. Et c’est toujours Renoir dans Les bas-fonds (1936) qui montre son héros joué par Gabin vivre dans une sorte de « squat » avec bon nombre de chômeurs. Le film est une adaptation du livre de Gorki et l’action se passe en Russie. Mais l’identification est bien rapide à la situation française où les rentiers sont eux aussi touchés par la crise. Louis Jouvet jouant le rôle d’un aristocrate ruiné incarne de fait le rôle de ces rentiers français qui voient leurs revenus s’effondrer. Toujours.
Il n’empêche, l’enthousiasme du Front Populaire est présent. Il est même la conclusion d’un mouvement de contestation de la société industrielle que René Clair évoquait dans A nous la liberté en 1931. Il y comparait, 6 ans avant Les temps modernes de Chaplin la situation de prisonnier des ouvriers. Dans un récit quasi anarchiste, René Clair filme les aspirations de la classe ouvrière où la machine doit libérer l’homme du travail et non l’asservir, lui permettre d’augmenter ses temps de loisirs à partager entre ses proches, famille ou amis. Le rêve n’est pas celui de la consommation mais celui du temps passé ensemble. Des guinguettes du bord de la Marne aux séjours à la montagne proposés sur affiches dans La belle équipe, c’est une autre manière de concevoir la société. Même le travail peut être fait dans la bonne humeur, sans le sentiment d’être exploité. Mais la réalité du chômage est bien présente. Le crime de Monsieur Lange (1936) propose justement un exemple de coopérative dans laquelle tous les salariés profiteraient de leur travail à part égale. Cette forme d’égalitarisme se retrouve encore chez Renoir dans La Marseillaise, rendant l’importance de chacun dans la société. Mais l’illusion ne dure que quelques mois. La crise économique continue et le sort des ouvriers ne s’améliore pas. Et c’est bien la fiancée de Jean Gabin dans Le jour se lève (1939) de Marcel Carné qui vit au bord de la voie ferrée, séparée par une seule palissade, subissant autant le bruit que les projections de vapeur et de poussières des locomotives.
Ainsi, deux réponses à la crise sont proposées : soit un retour à la terre remettant en cause une modernité qui asservit les classes populaires, soit une politique de réformes sociales sans remettre en cause véritablement la société de production et de consommation. Ce fut le choix du Front populaire à partir de 1936 bercé par certaines illusions et par un certain aveuglement.
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L’illusion de l’empire colonial
Malgré la crise, la France se rassure. En effet, à la différence de l’Allemagne, elle a conservé un vaste empire colonial qui est une force pour elle : à la fois réserve de matières premières et débouché économique. L’exposition coloniale de 1931 vient à la fois confirmer cette puissance française et rassurer la population sur sa grandeur par rapport à d’autres peuples. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que le film Baroud est coproduit la même année avec le Royaume Uni, réalisé par Rex Ingram et Alice Terry, réalisateurs anglo-saxons mais filmant deux versions du film racontant combien les spahis français aidaient les dirigeants marocains contre ceux les contestant. Derrière cette histoire, c’était surtout pour les spectateurs une manière de légitimer le protectorat exercé par la France sur le Maroc depuis 1912. D’autres films évoquent bien sûr la présence française en Afrique du Nord. Parmi eux, il y a par exemple Princesse Tam Tam d’Edmond T. Greville. Réalisé en 1935, le film raconte la vie d’Aouïna, une jeune tunisienne découverte par un auteur qui veut en faire l’héroïne de son prochain roman : Civilisation. Le film est intéressant à plus d’un titre. D’abord il met en scène Joséphine Baker 10 ans après son triomphe dans la revue nègre à Paris. Elle interprète cette tunisienne ce qui ne manque pas de piquant de l’entendre parler français avec son accent américain tout en essayant d’avoir l’accent arabe. L’autre intérêt est le second degré du film car moins qu’un film de propagande de la colonisation, Greville se moque de la prétendue civilisation que les Européens apporteraient pour justifier leur présence en Afrique. Dans une séquence, Aouïna est battue au nom du code de l’indigénat. Puis elle est amenée à l’auteur qui veut l’éduquer pour qu’elle soit civilisée. Notamment en mangeant à heure fixe, en venant à table quand la cloche sonne:
– ” Mais si on n’a pas faim, on doit manger ?
– Si tu n’as pas faim, tu ne manges pas.
– Alors pourquoi on sonne ?
– Mais non, un estomac ça se civilise, et tu sais Aouïna, c’est beau la civilisation !”
Mais c’est bien avec Pépé le moko que la présence coloniale est la plus forte dans le cinéma français. D’abord parce que le film se déroule en Algérie avec une population européenne plus présente que dans n’importe quel autre territoire colonisé. Avec une administration quasi à l’identique qu’en France métropolitaine. Cela tient de la nature administrative de l’Algérie divisée en départements français depuis 1848 (la conquête ayant eu lieu en 1830). Le film y décrit une cohabitation à la fois pacifiée mais complexe entre les Européens et les Musulmans dans une séquence mythique, celle de la Casbah, le quartier arabe d’Alger.
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La progression des idéologies racistes
Depuis 1933 le parti nazi et Hitler dirigent l’Allemagne et les films germaniques magnifient l’idéologie racialiste et valorisent tout ce qui peut satisfaire la propagande du Führer. Les films de Leni Riefenstahl en témoignent. Parallèlement, les films français des années 1930 dénoncent de la montée des idées racistes, antisémites ou xénophobes qui poussent dans le pays. Si Renoir rappelle la définition du citoyen français dans La Marseillaise(1938), celle d’une citoyenneté choisie par ceux qui se reconnaissent des valeurs communes et un destin commun, il en profite pour faire dire à une émigrée réfugiée bien sûr en Allemagne qu’ «à la vue du roi de Prusse, le plus borné des jacobins ne pourrait croire en l’égalité des hommes » ! Dans une autre séquence, il fait se battre des Républicains contre des Royalistes sur les Champs Elysées (alors verdoyants), renvoyant évidemment aux journées des ligues de février 1934 qui firent trembler la Troisième République.
Cette idée de race se retrouve sous différents aspects. Ainsi, dans Le jour se lève, une habitante d’un immeuble trouve à un certain Gerbois une tête de coupable parce qu’ « il a une sale tête ». Un coupable serait donc reconnaissable à sa tête. Dans La règle du jeu, Renoir va encore plus loin en étant beaucoup plus direct. Un domestique rappelle que son maître était d’origine métèque avec une aïeule du nom de Rosenthal. « C’est tout ». On demande alors à un autre domestique son avis sur la question. Un certain Schumacher. Le doute n’est plus permis quant aux allusions. Et le cuisinier de rajouter : « en parlant de juif… ». Ainsi Renoir, après nous montre un antisémitisme qui ne se trouvait pas que dans les classes bourgeoises mais également dans les classes les plus populaires.
Cette indifférence est encore plus manifeste dans Hôtel du Nord de Marcel Carné (1938). Les thèmes de la pureté du sang qui sont évoquées par le cinéaste dans une forme de parabole dont il est difficile d’imaginer qu’elle est sans rapport avec la deuxième partie de la séquence et surtout avec les thèses racistes qui se diffusaient en Europe depuis l’Allemagne.
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De l’indifférence aux troubles de l’Europe
Toujours dans Hôtel du Nord, le policier reproche à un ami de s’occuper d’un enfant venu de Barcelone, terrorisé par l’orage : « c’est un étranger ». Le film évoque évidemment la guerre d’Espagne et un positionnement clairement nationaliste et xénophobe de beaucoup de Français. Mais rares furent ceux qui s’en préoccupèrent.
Dans La belle équipe, dans l’extrait précédent vu plus haut, Gabin rabrouait déjà son ami ayant des ennuis avec la police parce qu’il s’occupe d’affaires en Espagne, il dit cela devant une affiche gigantesque promouvant les séjours en montagnes par le train. Preuve que le conflit était connu mais que les Français s’en souciaient peu face au chômage et à la promesse du Front Populaire.
Cette indifférence vis-à-vis des troubles en Europe se retrouve dénoncée dans des films apparemment anodins comme Retour à l’aube d’Henri Decoin en 1939. L’action se passe en Autriche alors qu’elle pourrait se passer n’importe où. Alors qu’un ami se demande si le fait de dormir près de la gare ne la dérangeait pas à cause du bruit des trains, le personnage incarné par Danièle Darrieux répond avec candeur qu’on s’habitue au bruit et qu’après on apprécie mieux le silence. Cette allusion à l’entrée des troupes allemandes en Autriche en 1938, conduisant à l’Anschluss, montrait toute l’indifférence des Français à cet événement majeur mais qui n’avait pas suscité que peu d’indignations dans l’opinion publique française.
Il faut dire que la menace Nazie devient plus pressante face à laquelle les cinéastes français adoptent des points de vue variés. Abel Gance revisite en 1935 son Napoléon de 1927 en rajoutant des plans et le postsynchronisant. L’empereur est transformé en visionnaire, bâtisseur d’une Europe des peuples face à l’hégémonie du peuple aryen.
Mais c’est pourtant bien le pacifisme qui s’impose le plus. Jacques Feyder dans La kermesse héroïque, toujours en 1935, réitère le pacifisme d’avant 1933 avec comme morale simple « tout vaut mieux que la guerre ! » qui correspond au mieux à l’opinion publique d’alors.
Le film raconte l’entrée de troupes espagnoles dans la ville de Boum, en Flandres – à l’époque où la Flandres appartenait aux Habsbourg. Cette arrivée espagnole est vécue comme une invasion mais les habitants décident de ne pas s’y opposer, voire de bien les accueillir. Dans une séquence hilarante, et rétrospectivement symptomatique, l’aubergiste voyant plein de soldats espagnols dans son établissement dit à la serveuse : « et on est bien poli avec l’envahisseur ! »
Et finalement, c’est Abel Gance qui allait changer son discours et le remake de son J’accuse de 1919 réalisé en 1938 se conclut par « l’abolition de la guerre ».
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Des valeurs républicaines ébranlées ?
La France des années 30 est donc traversée par toutes ces remises en cause de son modèle républicain. L’affaire Stavisky a d’ailleurs participé à cela. Lui l’escroc français d’origine juive retrouvé suicidé serait lié à des politiciens véreux. La confiance envers la classe politique n’y est plus, laissant penser que les élus corrompus triomphent contre les citoyens vertueux. De fait, les personnages positifs de la fin des années 30 finissent plutôt mal. Ils sont même souvent contraints à faire le Mal, au sens judiciaire, pour faire valoir le Bien, au sens moral.
Ainsi, dans Le jour se lève de Marcel Carné, c’est Jean Gabin le vertueux qui devient le salaud en s’en prenant à Jules Berry, l’odieux séducteur de très jeunes femmes et qui devient la victime aux yeux de la société. On retrouve ce renversement des valeurs toujours avec Gabin dans un autre film : Le quai des brumes de Marcel Carné en 1938. Ce même Gabin y affronte Michel Simon qui lui propose d’éliminer Pierre Brasseur dans Le quai des brumes. « Chaque fois qu’un vaurien disparaît, c’est la société qui s’en porte mieux » dit Michel Simon. Une justice parallèle donc pour suppléer ce que la police puis la justice légales sont incapables de faire. Et malgré la nouvelle colère de Gabin, c’est bien lui qui élimine Brasseur, un vrai vaurien. Mais dans les deux cas, Gabin meurt, suicidé ou tué.
Jean Renoir n’est pas en reste non plus pour montrer combien la société française va mal. Le héros du Crime de Monsieur Lange (1936) croit que le patron du journal pour lequel il travaille est mort. Il monte une sorte de coopérative avec tous les employés et fait de ce journal proche de la ruine une affaire florissante. Or le patron, interprété toujours par Jules Berry, s’était fait passer pour un ecclésiastique. Puis, sachant que son journal rapportait à nouveau, réclame au héros de lui rendre ce qui légalement lui appartient. On se rend donc bien compte que la loi protège le malhonnête. L’honnête, poussé dans ses retranchements par le patron voyou (déjà ?) est contraint de le tuer. Si contrairement à Gabin le héros ne meurt pas, il n’en est pas moins contraint à fuir la police.
Tous ces exemples montrent que ceux qui représentent la vertu semblent abandonnés par la société qui défend davantage les droits des malfaisants comme aurait dit plus tard Audiard.
Cette France coupée entre Province et ses valeurs viriles de camaraderie sincère et Paris, aux valeurs plus superficielles, privilégiant l’illusion de l’argent à celle de la morale. Jean Grémillon l’illustre parfaitement dans Gueule d’amour en 1936, où l’officier Lucien Bourrache (Jean Gabin) découvre que s’il était tout à Orange pour celle à qui il donne son magot, il n’est plus rien une fois à Paris, noyé dans la vanité du luxe dans lequel vit Madeleine.
Jean Grémillon insiste encore en 1938 dans L’étrange Monsieur Victor sur la duplicité des personnages. Victor, un homme bien sous tous rapports est en fait un escroc. Le bien, le mal, autant de notions battues en brèche dans les films comme dans La bête humaine de Renoir en 1939 où les personnages suscitent de l’empathie alors même que leurs comportements les classes comme des criminels.
Et ce n’est toujours pas Renoir dans sa Règle du jeu (1939) qui change la donne, bien au contraire, puisque un crime y est couvert par l’ensemble des témoins et maquillé en accident de chasse ! Renoir dynamitait en fait toutes les valeurs républicaines en montrant combien certains principes étaient oubliés depuis longtemps. Quand un personnage remercie son maître «Monsieur le marquis, vous m’avez rehaussé en faisant de moi un domestique » – peut-on être moins qu’un domestique ? Renoir montre que loin d’être égalitaire, la société républicaine a conservé et peut-être même accentué la société hiérarchique de classe. Mais c’est Renoir lui-même qui dit que depuis trois ans, tout le monde ment, du gouvernement aux journaux. Sur quoi leur ment-on notamment. Bien sûr sur ce qui se passe en France, mais aussi sur ce qui se passe ailleurs.
La France des années 30 a donc été traversée par de nombreuses crises, de natures différentes :
– – une crise existentielle post première guerre mondiale avec la volonté la « der des ders »,
– une crise économique due à l’effondrement du système capitaliste avec notamment le chômage,
– une crise républicaine avec un recul des principes les plus élémentaires à commencer par l’égalité entre les hommes.
Le cinéma en a témoigné. Il a même parfois alerté jusqu’à essayer d’éveiller les consciences. Mais rien n’y fit. Il n’est jamais qu’un témoin qui hurle, qu’on entend mais qu’on n’écoute pas. Combien de films pacifistes ont-ils été tournés ? Est-ce que cela a empêché la Seconde guerre mondiale ? Combien ont dénoncé le racisme ou l’antisémitisme ? La France des années 30 a été observée par les cinéastes et les spectateurs ont regardé ce qu’ils avaient à dire.
Mais les accords de Munich ont bien eu lieu. La République a bien failli. Et la France qui ne voulait plus la guerre a tout fait pour ne plus la faire. Quitte « à être bien poli avec l’envahisseur ».
Certains observateurs contemporains affirment que notre période ressemble sur bien des aspects à la situation des années 30. La filmographie de notre dernière décennie dit-elle alors nous rassurer ou au contraire nous préparer au pire ?
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